« Le département de l’Hérault a reçu les premières demandes en mars 2009. Fin juillet 2011, ce sont 524 dossiers qui avaient été déposés, et près de 462 MASP accordées. La montée en charge a été plus lente que prévue : 400 MASP avaient été envisagées la première année et 1 000 la suivante. La plupart des départements connaissent le même phénomène. Cette lente évolution pourrait venir du fait que les fins de mesure TPSA (tutelle aux prestations sociales adultes), supprimées par la réforme sur la protection des majeurs, ne sont pas toujours suivies de demandes de MASP ou de transformation en mesure d’accompagnement judiciaire (MAJ) (1).
Autre explication possible à ce faible volume, la réticence des travailleurs médico-sociaux – pressentie lors des travaux préparatoires de la loi – à proposer cette mesure. En effet, le risque de voir la MASP, mesure contractuelle librement consentie, transformée en mesure judiciaire contraignante, soit en MAJ, soit en “mesure de versement direct des prestations sociales au bailleur” (décidée par le juge d’instance), peut les questionner. La MASP doit être considérée comme un accompagnement social personnalisé qui peut éventuellement déboucher sur une mesure plus contraignante si elle touche un public exposé à un danger (le texte parle de “santé ou de sécurité menacée”).
Il apparaît désormais clairement que des personnes qui étaient suivies dans le cadre de TPSA ne bénéficient plus d’aucune mesure et ne se manifestent auprès des services sociaux ou des services d’urgence que lorsque leur situation est vraiment dégradée. Ironie du système : en voulant déjudiciariser une partie des mesures de protection pour permettre un accompagnement personnalisé non contraignant pris en charge – sans aucun transfert de ressources financières – par le département, le nouveau dispositif aboutit à ce que nombre de personnes ne bénéficient plus d’aucun soutien et voient leur situation – notamment sanitaire – empirer. De plus, les pathologies sont telles que nombre de personnes sont dans le déni, ce qui rend leur orientation vers des accompagnements médico-sociaux ou des mesures de protection extrêmement compliquée.
Alors quel intérêt présente les MASP ?
Lorsqu’elles sont vraiment librement consenties et que les bénéficiaires ne présentent pas d’altération de leurs facultés, elles peuvent apporter une aide parce qu’elles supposent un accompagnement personnalisé d’une grande proximité avec le bénéficiaire, une plus grande disponibilité des travailleurs sociaux chargés de l’accompagnement. En cela, elles peuvent venir en complément des équipes polyvalentes de terrain qui n’ont pas toujours la possibilité de consacrer le temps nécessaire à une même personne. Lorsque les bénéficiaires sont volontaires et coopérants, les résultats positifs sont là, avec des mesures clôturées au motif “objectifs atteints” (pourcentage de l’ordre de 5 %). Elles donnent aussi la possibilité de gérer les prestations sociales et familiales, ce que les mesures d’accompagnement social lié au logement (ASLL) ne permettent pas. Toutefois la MASP n’a pas pour but de se substituer aux différents accompagnements déjà existants.
Pour d’autres MASP toujours en cours, les effets positifs commencent à se faire sentir, les situations financières sont stabilisées, les droits ouverts, l’accompagnement budgétaire a donné au bénéficiaire une autonomie certaine. Pour l’instant, ces situations représentent près de 20 % de l’ensemble des MASP de l’Hérault. Ce pourcentage pourrait être amélioré et le service et les associations concernées y travaillent.
Si la qualité du suivi peut être améliorée, les critères d’entrée dans la mesure, en revanche, sont plus difficilement maîtrisables. En aucun cas la MASP ne doit être utilisée comme un passage obligatoire vers une mesure de protection. Les publics sont différents car si dans le cadre de la MASP, nous faisons appel à la capacité de contractualiser et de s’investir dans l’accompagnement, la mesure de protection, elle, s’adresse à un public présentant “une altération des facultés personnelles”. Mais comment dire non à une demande de MASP pour une personne qui bénéficiait d’une TPSA et pour laquelle une tutelle a été rejetée ?
De notre point de vue, les MASP sont en réalité détournées de leur objectif d’accompagnement vers l’autonomie puisque certains bénéficiaires relèveraient davantage de mesures de protection. On observe que, dans certains secteurs géographiques, la moitié des demandes de MASP correspond à des situations qui relèveraient de mesures de protection pour des personnes qui présentent des altérations de leurs facultés entraînant des incapacités à se prendre en charge au quotidien. Cette proportion est d’environ un tiers pour l’ensemble du département. Ces MASP servent en réalité à accompagner les bénéficiaires vers des mesures judiciaires et ne garantissent en rien que ce public très fragile puisse être protégé des risques engendrés par sa situation médico-sociale.
Pendant un an, voire plus, on va tenter d’aider la personne à recouvrer ses droits, à faire ses démarches, à apurer les dettes, mais très vite, elle n’assistera plus aux rendez-vous, évitera les entretiens, ne suivra plus les conseils… Au vu de la situation, on tentera de faire le point avec la famille et de l’orienter vers une demande de protection civile.
Et là, des difficultés surgissent. Une expertise médicale doit être fournie. L’intérêt de ce document n’est pas à démontrer. Il va permettre de porter un regard médicalement objectif pour éclairer la décision du juge, décision grave potentiellement privative de liberté. Le problème est son coût de 160 € (ou 230 € si le médecin se déplace), qui n’est pas remboursé. L’Etat dispose d’une enveloppe budgétaire pour financer ces expertises pour les publics les plus défavorisés : il s’agit du budget “frais de justice” que peuvent utiliser les magistrats du parquet. En pratique cette enveloppe est inégalement utilisée et les institutions chargées d’un accompagnement social, comme les centres communaux d’action sociale (CCAS), les hôpitaux, les caisses de retraite, les départements…, sont parfois contraints de mettre la main à la poche. Sans cela, la situation des personnes qui sont dans l’incapacité de se prendre en charge serait désastreuse.
La seule question importante est la suivante : le service public apporté à ces personnes est-il vraiment adapté ?
Il faut aussi s’interroger sur le devenir des personnes pour lesquelles une mesure a été refusée alors qu’une expertise médicale avait été fournie. Un autre public plus large est également laissé pour compte : il s’agit de tous ceux qui refusent, et c’est leur droit, tout accompagnement, mais qui risquent de perdre leur logement si les expulsions programmées sont exécutées.
Le résultat est d’entraîner les personnes dans des difficultés plus grandes, à travers une réforme partiellement satisfaisante.
Les MASP peuvent être très positives dans de nombreux cas mais, pour les autres et pour tous ceux qui aujourd’hui n’ont plus de TPSA, ne sont pas connus des services sociaux et n’arrivent pas à gérer leur quotidien, les améliorations suivantes semblent nécessaires :
le remboursement intégral des frais d’expertise médicale par l’Etat ou la sécurité sociale ;
la prise en compte des difficultés sociales des personnes dans la décision de protection ;
l’arrêt de l’interprétation abusive de la MASP comme passage obligé avant une mesure de protection ;
la mise à niveau des moyens dédiés aux parquets et aux juges des tutelles pour leur permettre de consacrer le temps nécessaire à leur mission ;
et, pourquoi pas ? – comme c’est déjà le cas pour les mesures d’accompagnement judiciaire –, la notification des décisions du juge des tutelles aux tiers chargés du suivi social des bénéficiaires, de manière à ouvrir une possibilité pour les départements, les CCAS et les hôpitaux d’interjeter appel de ces décisions. En cas de refus de mesure de protection, ce sont en effet les services médico-sociaux du département (mais aussi les CCAS, les hôpitaux…) qui sont confrontés à des situations ingérables par la seule décision d’un magistrat qui se construit sa propre “politique”. Une régulation plus globale paraît nécessaire.
Ces propositions pourraient paraître onéreuses. En réalité, elles permettraient d’éviter un coût social, médical et financier bien plus élevé. Une intervention en temps utile serait finalement moins coûteuse.
Est-il utile de rappeler le principe fondamental repris dans l’article 415 du code civil : “la protection des personnes est un devoir des familles et de la collectivité publique” ? Les diverses composantes de la collectivité publique ont intérêt à travailler ensemble sur ces sujets qui concernent les plus vulnérables d’entre nous. »
Contact :
(1) La loi du 5 mars 2007 a instauré un dispositif d’intervention gradué en trois strates. La MASP, de nature contractuelle et inscrite dans le code de l’action sociale et des familles, est à la charge du département. Celui-ci apporte au bénéficiaire de prestations sociales une aide à leur gestion ainsi qu’un accompagnement social individualisé. Cette mesure vise à éviter le recours à une protection juridique pour remédier aux difficultés sociales constatées. En cas d’échec de cette approche contractuelle, le département peut demander au juge d’instance l’affectation directe des prestations sociales au bailleur pour couvrir les frais de logement et les charges locatives de l’intéressé. Ce n’est qu’en l’absence d’effet de ces deux démarches qu’une MAJ – insérée dans le code civil – pourra être prononcée par le juge des tutelles – Voir ASH n° 2504 du 20-04-07, p. 23.