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Les dispositifs innovants en protection de l’enfance, « du sur-mesure pour les familles »

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Dans un ouvrage sur les dispositifs innovants dans le champ de la protection de l’enfance, Pascale Breugnot, responsable des formations continues à l’Ecole supérieure de travail social de Paris et ancienne chargée d’études à l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED), analyse ces initiatives intermédiaires entre le soutien à domicile et la suppléance familiale. Celles-ci ont, selon elle, renouvelé le travail des professionnels avec les parents.

Quel est le principe des dispositifs mis en place dans le champ de la protection de l’enfance que vous considérez comme des « innovations socio-éducatives » – titre de l’ouvrage que vous leur consacrez (1) ?

Ce sont des initiatives intermédiaires entre soutien à domicile et suppléance familiale. Qu’il s’agisse d’accueils de jour, d’accueils séquentiels, de placements à domicile ou d’AEMO (actions éducatives en milieu ouvert) avec hébergement mis en place par des services ou des établissements, l’idée est de répondre à des situations familiales pour lesquelles la question du placement pourrait se poser si cet entre-deux n’existait pas, car le milieu ouvert n’est pas assez intensif au niveau du suivi, ni assez porteur.

Comment sont nées ces innovations ?

Elles sont issues du terrain. Je crois que l’un des points importants a été la loi 2002-2 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Les services se sont réunis pour mettre en place les nouveaux outils créés par ce texte. Dans ces espaces de réflexion, les professionnels ont eu l’occasion de débattre de leurs pratiques, notamment des situations pour lesquelles leurs interventions ne fonctionnaient pas. Cela a ouvert une brèche et les a amenés à se demander : comment peut-on faire autrement ? Des équipes se sont mises alors à expérimenter de nouvelles réponses, généralement à très petite échelle, sur une ou deux situations, jusqu’à aller à la création d’un service. Elles ont souvent pris appui sur des expériences déjà existantes, comme celle du placement à domicile initiée depuis une trentaine d’années dans le Gard par le SAPMN (Service d’adaptation progressive en milieu naturel). Pas forcément pour reproduire ce qu’ils avaient fait, mais pour affiner leurs propres idées et construire à leur tour des modalités d’intervention différentes auprès des familles.

D’autant que la loi 2002-2 réaffirme la place prépondérante des usagers…

Bien sûr, c’est aussi pourquoi il s’agissait de savoir comment les aborder autrement. Dans les maisons d’enfants à caractère social (MECS) ou les centres départementaux de l’enfance, on travaillait beaucoup avec l’enfant, mais on avait souvent du mal à voir que faire avec les parents. Par ailleurs, il y avait des jeunes qui ne tenaient plus en internat et qui pouvaient même retourner contre eux leur violence. Les nouveaux dispositifs construits sur l’idée d’une co-éducation établissement-parents apparaissaient comme une des réponses possibles.

Ce qui suppose aussi de faire davantage confiance aux parents…

Sur la notion de danger, l’équipe du Gard a beaucoup fait évoluer la réflexion. Le SAPMN est parti de l’idée que le danger n’est pas forcément constant. Le principe est de mettre l’enfant à l’abri lors des périodes de danger et de travailler avec les parents pour traiter le problème ou la difficulté dans le concret. L’enfant, ensuite, est renvoyé au domicile, avec toujours un suivi intensif. Ainsi, en dehors des situations très pathologiques impliquant des séparations avec visites médiatisées et placement dans la durée, le danger a tendance à être appréhendé comme intermittent. Cela contribue à expliquer pourquoi ces dispositifs de l’entre-deux ne sont pas focalisés sur le danger et les défaillances des parents. Les professionnels envisagent les situations dans leur globalité, notamment sous l’angle de la précarité socio-économique. Qu’en est-il du logement de cette famille ? Y a-t-on à manger le soir ? Est-ce que les trajets sont adaptés et permettent aux parents de venir nous rencontrer ? Ce questionnement des professionnels fait partie de leur approche au même titre que l’évaluation du danger.

Quelles sont les caractéristiques de ces formes renouvelées d’accompagnement ?

C’est une prise en compte de la place du parent et une manière de l’interpeller ou de travailler avec lui complètement différente des pratiques qui étaient habituelles en MECS et surtout en AEMO. Dans la plupart de ces nouveaux services, on n’est plus dans de l’entretien en face à face, mais dans une approche mixte, individuelle et collective. Il y a un référent qui suit la situation de l’enfant, mais celui-ci n’est pas l’intervenant unique. La famille repère les différents membres de l’équipe et elle peut s’adresser à une autre personne pour évoquer tel ou tel point. Les parents que j’ai rencontrés insistent sur l’importance d’avoir le choix, car il y a des préoccupations qu’ils peuvent préférer partager avec une femme, un homme, une personne plus jeune ou plus âgée. Les temps collectifs d’accueil sont également un élément-clé de ces dispositifs. Pour les parents, le fait de pouvoir s’asseoir et parler avec les professionnels de sujets sans importance, tout autant que de leurs difficultés, est très appréciable. Ce n’est pas du tout la même chose que d’avoir rendez-vous de telle heure à telle heure avec la nécessité d’aborder immédiatement ses problèmes. Dans ces moments d’accueil où on peut avoir l’impression qu’il ne se passe rien – des professionnels et des parents discutent autour d’un café –, on se rend compte qu’on est sur des questions de transmission, de relation, d’humanité. Les parents disent que ces espaces un peu interstitiels leur permettent de souffler et de sentir le moment où ils peuvent parler.

Ne s’agit-il pas d’ailleurs autant de faire que de parler ?

Le fameux « être avec, faire avec » est effectivement essentiel. Dans la plupart des cas, on fait sous le regard de l’autre. Il y a, d’une part, le travail de l’éducateur avec l’enfant sous le regard du parent et réciproquement. D’autre part, ce que les parents font en direction d’autres enfants et ce qu’ils peuvent observer des manières d’agir d’autres parents. Une famille peut ainsi s’approprier petit à petit un mode d’intervention qu’elle découvre, mais aussi rejeter des pratiques qui lui semblent violentes quand elle les voit mises en œuvre par autrui. Le « faire avec » est également très important dans les interventions au domicile des familles. Educateur-enfant-parent(s) partagent la préparation du repas puis sa desserte, une sortie, un temps de courses, etc. Ce ne sont pas, comme vous le voyez, des activités révolutionnaires ni très complexes à monter. Il s’agit plus d’une question de cadre, d’ambiance et d’attitudes. Ces nouveaux dispositifs sont des lieux très humains, qui ressemblent beaucoup plus à des lieux d’habitation qu’à des services administratifs ou à des bureaux.

Les professionnels gagnent-ils, eux aussi, en « humanité » ?

Je crois que oui. Ils ont une grande proximité avec les familles. Celles-ci le disent clairement – sans confondre les rôles : « Il s’agit presque d’une relation amicale, mais ce ne sont pas des amis. » Les travailleurs sociaux quittent leur posture d’expert et ils ont avec les familles des échanges sur la parentalité dans lesquels ils peuvent donner de leur intimité. Ainsi leur arrive-t-il de fournir des exemples qui partent de leur vie familiale : « Moi, pour résoudre un problème de coucher avec mon enfant, j’ai essayé ceci ou cela. » Le travail sur les compétences parentales vise précisément à amener les parents à tirer profit d’expériences diverses pour trouver des solutions à leurs difficultés. Comme il y a des rencontres familles-professionnels plusieurs fois par semaine, les parents ont la possibilité de tester telle ou telle idée. Si le problème persiste, on se requestionne pour voir ensemble comment agir autrement. Grâce à cette relation de confiance avec les éducateurs, les parents se voient reconnaître le droit à ne pas savoir faire et à expérimenter, qui leur laisse leur place de parent à part entière même s’ils ne sont pas très doués à un moment donné. C’est bien là où la notion de « compétence » prend tout son sens, avec une restauration de l’estime de soi et un usager qui est forcément beaucoup plus acteur des changements à opérer.

Il est très intéressant, à cet égard, de savoir comment les familles vivent les pratiques des travailleurs sociaux. Les parents m’ont expliqué que des petits riens pouvaient énormément les blesser et les fragiliser. Il suffisait souvent que les professionnels modifient un peu leur attitude pour que les rapports soient différents.

Le regard des professionnels sur les parents a-t-il changé ?

Il a véritablement basculé et ce basculement est à l’origine même de la création des nouveaux dispositifs. En effet, les professionnels ne se sont pas demandé ce qui faisait problème chez les parents, mais ce qui n’allait pas dans leurs mesures. La construction de nouvelles formes d’intervention s’est élaborée dans la réflexion. Je crois qu’on assiste au même processus dans le travail avec les parents : ces derniers ont le loisir de tâtonner et de réinterroger leur manière de faire quand elle ne marche pas. Dans ces services innovants, les parents sont également poussés à s’exprimer. Il faut qu’ils puissent énoncer leurs désaccords pour qu’on en débatte. Ce n’est pas forcément le professionnel qui a tort, mais chacun peut avoir ses bonnes raisons et ce que le parent ne peut pas faire n’est pas considéré comme une carence. Lorsqu’elles interviennent dans un cadre judiciaire, les équipes essaient aussi d’amener les familles à être dans cette prise de parole à l’audience, pour qu’elles puissent exposer leurs souhaits et argumenter.

Se dégage-t-il un archétype de « bon parent » de ces initiatives de soutien à la parentalité ?

Non, il n’y a justement pas de modèle unique. Ces dispositifs revendiquent bien d’être dans une démarche de sur-mesure en direction des familles. Même s’il y a un projet de service, on est dans la construction au cas par cas, en fonction des besoins de l’enfant et des possibilités du parent. L’idée est d’être au plus près de ce parent singulier, avec cet enfant et ce parcours singuliers. Un parent qui a ses manières de faire comme ses limites, et qui peut adapter, remodeler, repenser ses pratiques. Mais si les professionnels ont des représentations diversifiées de parents, j’ai souvent entendu, dans le discours des familles, une demande d’apprendre à être parent – comme s’il y avait une seule façon de l’être. Les familles souhaitent que cet enseignement passe par des supports pratico­pratiques.

Il me semble que les parents ne trouvent pas forcément leur compte dans les groupes de parole proposés. Les équipes, d’ailleurs, le constatent : il y a huit à dix personnes au départ, puis la participation s’effiloche jusqu’à ce qu’il reste seulement un ou deux parents, toujours les mêmes. S’exprimer d’emblée devant les autres peut se révéler trop douloureux. Il y a des choses à restaurer et à affiner au niveau de l’estime de soi avant que les parents puissent s’autoriser à parler dans ces groupes.

Dans votre ouvrage, vous soulignez que plusieurs rapports ministériels ont régulièrement recommandé, depuis une trentaine d’années, l’instauration de prises en charge se situant entre AEMO et placement. Pourquoi ces dernières ont-elles mis aussi longtemps à émerger ?

Jusqu’à la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, ces expériences n’avaient pas de cadre juridique. Elles pouvaient donc être remises en cause à tout moment. La loi est venue leur donner une cohérence et une stabilité. Cependant, même avant 2007, les services innovants étaient beaucoup plus nombreux que ce qu’on imaginait. Quand, en 2005-2006, nous avons effectué leur recensement avec Paul Durning, alors directeur de l’ONED, nous avons eu la surprise de découvrir que plus de la moitié des départements avait mis en place au moins un dispositif de ce type (2). Il était rare que plusieurs formules se combinent sur le même territoire. On constatait vraiment des orientations départementales, certaines collectivités promouvant plutôt de l’accueil de jour, d’autres étant plus axées sur le placement à domicile. Il serait bon de refaire une enquête de terrain pour voir ce qu’il en est aujourd’hui car, depuis quatre ans, ces dispositifs ont proliféré.

Vous en réjouissez-vous ?

Certainement, mais au vu de ce que me disent des cadres de la protection de l’enfance rencontrés en formation continue, j’ai aussi quelques craintes. Avant, les équipes étaient dans un processus réflexif et elles avançaient pas à pas, comme avec les familles. Entre l’expérimentation sur une première situation et la mise en place du projet, il s’écoulait de un à trois ans. Aujourd’hui, on voit des services qui ouvrent en trois ou six mois. Souvent, il y a des demandes de magistrats pour des orientations en accueil de jour ou en accueil séquentiel alors que les internats n’en proposent pas encore. Les établissements doivent alors s’adapter, mais ce n’est pas forcément mûri, surtout dans la durée. Qu’en sera-t-il des pratiques ? Les professionnels pourront-ils s’approprier des postures qui laissent toute leur place aux parents ? Ou bien assistera-t-on à une floraison de dispositifs qui seront un peu comme des coquilles vides, avec un retour des invervenants-experts ? C’est une vraie question.

ITINÉRAIRE D’UNE PROFESSIONNELLE EN RECHERCHE

A la suite d’une première vie professionnelle comme secrétaire médicale, Pascale Breugnot, 51 ans, a découvert la protection de l’enfance lors d’un stage effectué pendant sa formation d’assistante sociale. Mais, après une dizaine d’années d’exercice dans le cadre judiciaire, puis administratif, elle ressent une certaine saturation résultant pour partie de la lourdeur des situations accompagnées, mais surtout liée à la difficulté de trouver des réponses adaptées aux problématiques familiales et à des doutes sur l’efficacité de certaines mesures. Pourrait-on faire autrement ? Pour y réfléchir, l’assistante sociale s’inscrit en sciences de l’éducation à l’université Paris X-Nanterre. En licence, maîtrise, puis diplôme d’études approfondies, elle étudie les questions d’éducation familiale, puis d’innovation en protection de l’enfance, avec l’équipe de Paul Durning, Dominique Fablet et Michel Corbillon. En 2004, quand Pascale Breugnot décide de faire une thèse sur ces nouvelles modalités d’intervention, Paul Durning, qui dirigeait alors le tout nouvel Observatoire national de l’enfance en danger (ONED), la recrute pour travailler sur cette thématique. La chargée d’études restera quatre ans à l’ONED – dont les rapports 2005 et 2006 présentent les dispositifs situés entre intervention à domicile et suppléance familiale. L’analyse de ces derniers est au cœur de l’ouvrage, tiré de sa thèse, que l’auteure publie aujourd’hui. Les innovations socio-éducatives font aussi l’objet de l’enseignement de master dispensé par Pascale Breugnot à l’université de Paris X-Nanterre et de certaines formations continues qu’elle assure à l’Ecole supérieure de travail social de Paris.

Notes

(1) Les innovations socio-éducatives. Dispositifs et pratiques innovants dans le champ de la protection de l’enfance – Presses de l’EHESP – 26 €.

(2) Voir ASH n° 2465 du 21-07-06, p. 33.

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