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« Le salariat associatif demeure très largement précaire »

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Avec plus de 1,8 million de salariés, les associations pèsent lourd désormais en matière d’emploi. Mais la situation des salariés associatifs est rarement idéale. Emplois souvent précaires, faibles rémunérations, cohabitation parfois tendue avec les bénévoles… Sans compter l’émergence de pratiques d’entreprises dans le fonctionnement des associations. Spécialiste du travail associatif, le sociologue Matthieu Hély en brosse un panorama en demi-teinte.

Les associations, qui reposent normalement sur le bénévolat, emploient de plus en plus de salariés. Combien sont-ils ?

Ils étaient environ 600 000 au début des années 1980. Aujourd’hui, on estime leur nombre à un peu plus de 1,8 million, soit l’équivalent de l’effectif total de la fonction publique territoriale. Ce triplement des effectifs en trente ans est pourtant passé assez inaperçu. Il est vrai que les enquêtes Emploi de l’INSEE sont construites sur la distinction entre public et privé. Or le secteur associatif est entre les deux. Très souvent, les associations sont assimilées aux entreprises de droit privé alors que leurs activités relèvent plutôt des missions de service public. L’essentiel des employeurs associatifs interviennent en effet dans les domaines de la santé, du social et de l’éducation. Sans compter qu’une même association peut réaliser des prestations dans des domaines très différents, comme la culture, le social, le sport ou la santé. Les grandes catégories statistiques sont donc assez mal adaptées à cette réalité. Le Conseil national de l’information statistique a d’ailleurs souligné cet état de fait à plusieurs reprises.

Pourquoi une telle hausse de l’emploi associatif ?

Il faut savoir que, de 1993 à 2005, l’emploi a augmenté deux fois plus vite dans les associations que dans la fonction publique. Il ne s’agit cependant pas de raisonner en termes de vases communicants. Je ne souscris pas à la thèse du désengagement de l’Etat, surtout dans le secteur social. Dans les domaines du handicap ou encore des tutelles aux prestations sociales, l’Etat a toujours délégué l’intervention directe aux associations. Mais on ne peut pas interpréter cette forte augmentation de l’emploi associatif sans prendre en compte le fait qu’il existe des affinités évidentes entre les missions des travailleurs associatifs et celles de la fonction publique. D’ailleurs, une proportion non négligeable de salariés associatifs sont nés de parents travaillant dans la fonction publique. Dans la période actuelle, on peut penser qu’ils trouvent là une alternative à la crise de la fonction publique. Lorsque les postes de fonctionnaires sont rares, le secteur associatif apparaît comme une possibilité.

Pourtant, les associations tendent de plus en plus à calquer leur fonctionnement sur celui des entreprises privées…

Effectivement, cela se voit notamment dans leurs recrutements, qui concernent de plus en plus des managers, des juristes, des gestionnaires, etc. A mon avis, deux grands facteurs contribuent à cette évolution. D’une part, les pouvoirs publics imposent de plus en plus aux associations de faire la preuve de leur efficacité. Ce qui est une conséquence directe des nouvelles formes d’intervention de l’Etat, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et la révision générale des politiques publiques (RGPP), avec le développement d’une culture du résultat via ce que l’on appelle le « nouveau management public ». Les administrations soumettent à leur tour le monde associatif à ces injonctions sous forme d’indicateurs de performance, d’évaluation… D’autre part, depuis dix ans se produit un rapprochement entre entreprises et associations, avec de nouvelles formes de partenariat comme les fondations d’entreprise ou le mécénat d’entreprise… Tout cela favorise évidemment le développement de pratiques de gestion et de management dans les associations.

Vous montrez que la situation de nombreux salariés associatifs reste assez difficile…

Le salariat associatif demeure en effet très largement précaire. On compte deux fois plus de contrats à durée déterminée dans les associations que dans le secteur marchand. A cela s’ajoutent les politiques publiques qui incitent les associations à recourir à des contrats aidés ou, à l’inverse, les suspendent brutalement, comme cela est arrivé l’année dernière. Or ces salariés en contrats aidés ne sont pas tout à fait comme les autres, et leur arrivée massive finit par dégrader le statut déjà fragile des salariés associatifs. D’une façon générale, dans le monde associatif, l’emploi atypique finit par devenir typique. Environ 30 % des salariés associatifs ne sont couverts par aucune convention collective, contre seulement 8 % dans le secteur marchand. Cela s’explique notamment par la petite taille de nombreuses associations, mais montre aussi que le secteur associatif ne se considère pas comme appartenant réellement au monde du travail. D’autant qu’on voit se développer des statuts hybrides entre salariat et bénévolat, à l’image du volontariat en service civique.

Ne demande-t-on pas souvent aux salariés un engagement à la mesure de celui des bénévoles ?

De fait, se pose la question des conditions de travail, avec souvent des temps de présence exigée le soir ou le week-end, quand les bénévoles sont disponibles, ou encore celle du niveau des salaires qui, toutes choses égales par ailleurs, est plus faible dans le secteur associatif que dans le privé. Au-delà de la question des ressources associatives, qui est une réalité, l’idée reste souvent présente qu’il ne faut pas gagner trop bien sa vie lorsqu’on s’occupe de personnes en difficulté ou qu’on travaille au service d’une « bonne » cause. En mars 2010, quand les salariés de l’association Emmaüs se sont mis en grève, l’argument qui leur a été immédiatement renvoyé était qu’ils mettaient en péril l’association, donc ses bénéficiaires. Mais les choses bougent, par exemple avec la création du syndicat ASSO en avril 2010. Affilié à Solidaires, celui-ci se présente comme le premier syndicat des salariés du monde associatif, tous secteurs confondus. Même s’il existe déjà de nombreux syndicats de branches, notamment dans le secteur social et médico-social, cela montre que certains salariés prennent davantage conscience d’appartenir à un groupe social commun. Cela n’est pas rien.

Les difficultés des salariés ne reposent-elles pas sur un manque de reconnaissance de l’utilité sociale des associations ?

Je dirais plutôt qu’il faudrait évaluer cette utilité sociale autrement. Mais on n’en prend pas le chemin. J’ai ainsi appris que certains cabinets d’audit et de conseil proposaient des prestations aux associations afin d’évaluer leur utilité sociale. Je ne suis pas le premier à dresser ce constat, mais ce que l’on pouvait craindre est en train de se réaliser. Les associations elles-mêmes n’étant pas parvenues à un accord sur la manière de valoriser ce qu’elles produisent, d’autres le font à leur place. Et si ce ne sont pas les structures du marché, ce seront les administrations. Faute d’unité, le monde associatif est soumis à ce que ses propres normes soient définies de l’extérieur.

Pour certains, les associations pourraient trouver une reconnaissance dans le champ de l’économie sociale et solidaire. Qu’en pensez-vous ?

A mon sens, il faut désenchanter l’image d’Epinal que revêt l’économie sociale et solidaire. La crise devrait être la consécration de l’alternative qu’elle représente avec l’émergence d’un véritable tiers secteur entre l’Etat et le marché. Or ce n’est pas le cas. D’ailleurs, ce que certains présentent comme une nouvelle alternative remonte en réalité à plus de deux siècles. Cela pose question.

Peut-on néanmoins espérer que le salariat associatif acquière une véritable visibilité ?

Sans doute, car bientôt deux millions de salariés, cela va commencer à se voir. Je crains pourtant que ce salariat associatif ne devienne une simple variable d’ajustement des politiques publiques, si ce n’est pas déjà le cas. Je pense notamment à la circulaire Fillon de janvier 2010 (1) qui intègre dans le droit français les dispositions communautaires sur le financement des associations. Elle aboutit à établir ce que l’on appelle un dialogue de gestion dans le cadre de projets annuels de performance indiquant des objectifs précis à atteindre. Par exemple, dans le secteur de l’insertion par l’activité économique, on prend en compte le taux de sorties positives calculé six mois après que les personnes aient quitté le dispositif. Mais pour atteindre cet objectif, certaines associations sont tentées de présélectionner les publics afin d’obtenir les meilleurs résultats. Je ne suis pas certain que cela soit en conformité avec les finalités de leur projet associatif.

REPÈRES

Le sociologue Matthieu Hély est maître de conférences à l’université Paris X-Nanterre et chercheur à l’IDHE-CNRS.

Spécialiste du travail associatif, il a publié Les métamorphoses du monde associatif (Ed. PUF, 2009). Il a participé à la réalisation de L’année sociale 2011 (Ed. Syllepse, 2011).

Notes

(1) Voir ASH n° 2643 du 22-01-10, p. 10.

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