Le chef de projet « développement social urbain » (DSU) n’existe pas. Ou plutôt, les profils sont tellement divers que ce sont presque, à chaque fois, des prototypes uniques : postes, statuts, rattachements hiérarchiques (ville ou agglomération), territoires d’intervention (quartier, commune, intercommunalité)… sont extrêmement variables. En témoigne l’hétérogénéité des appellations (coordinateur DSU ou contrat de ville, chef de projet, directeur de projet, agent de développement, chargé de mission politique de la ville ou développement urbain…), qui rend difficile l’identification de leurs missions et leur dénombrement.
Selon l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé), il y aurait environ 1 000 chefs de projet « politique de la ville ». D’autres avancent plutôt le chiffre de 7 000 à 8 000 professionnels, dont un certain nombre sont représentés au sein de l’IRDSU (Inter-réseaux des professionnels du développement social urbain) ou du réseau Amadeus (Association des missions d’aménagement et de développement économique urbain et solidaire) (1).
« La difficulté tient au fait qu’on ne peut pas dire véritablement où commence et où finit une équipe “politique de la ville”, les configurations sont très différentes d’un endroit à l’autre », explique Emmanuel Dupont, responsable de la direction du suivi des interventions, des études et de l’évaluation à l’ACSé. En cela, le rapport Brévan-Picard (2), publié en 2000, est toujours d’actualité : il pointait déjà ces « métiers de la ville » « aux contours mal définis » ainsi que la difficulté des chefs de projet « à dire ce qu’ils font et à définir les éléments constitutifs de ce qu’est leur profession ». « Ces métiers sont peu formalisables. Si nous voulions les cadrer, nous perdrions l’essentiel de leur signification », avançait également la DIV (délégation interministérielle à la ville), en 2002, à propos des chefs de projet « politique de la ville » (3). La profession est à l’image de la complexité de la politique de la ville dont les multiples sigles – ZUS, CUCS, ZFU, GPV, PRU, PRE, ASV… – sont l’héritage de 30 ans d’empilement de dispositifs.
L’ACSé distingue, dans un rapport rendu public en mai 2011 (4), « quatre grandes “figures” » des chefs de projet « politique de la ville »: les « superviseurs à distance » qui exercent une « supervision d’ensemble »; les « chefs d’orchestre » définis comme « des professionnels proches du terrain et des niveaux politiques, donc haut placés dans la hiérarchie et encadrant souvent des équipes dans une commune » ; les « ingénieurs » qui « se sentent plutôt isolés et assez peu soutenus » ; les « animateurs de territoire » qui « bénéficient d’une légitimité et d’une reconnaissance importantes sur le terrain, mais peuvent se juger contraints par le caractère limité des tâches assignées et le caractère chronophage de l’intervention de proximité ».
Ces quatre archétypes se réfèrent tous – certes de façon plus ou moins forte –à un système d’outils forgé dans le bouillonnement initial de la politique de la ville, qui allie approche territoriale, méthodologie de projet, transversalité, participation des habitants et contractualisation. Une marmite commune qui, rompant avec la logique verticale des politiques publiques, fait la « marque de fabrique » de ces professionnels. Ce sont des « facilitateurs qui contribuent à faire émerger les initiatives locales », résume Patrick Norynberg, directeur général adjoint chargé du développement social et territorial au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) et auteur d’ouvrages sur la politique de la ville (5). Ils doivent répondre à la question suivante : « Comment, concrètement, sur le terrain, construire des projets avec les habitants pour améliorer la vie d’un territoire en les impliquant fortement ? » « Les professionnels de la ville se définissent volontiers comme des “accoucheurs” : accoucheurs de projets, accoucheurs de partenariats », note également la DIV (6). Ils sont « dans l’impulsion et la proposition plus que dans la commande. Il s’agit de mettre au jour des difficultés, de suggérer des pistes d’action, puis de mobiliser les acteurs susceptibles d’intervenir dans la construction de réponses », développe l’ACSé dans son rapport. Dans cette perspective, la mise en réseau et le partenariat sont des passages obligés. « C’est un métier de médiation entre les habitants (individu, collectifs, associations…), les institutions et les élus locaux pour que tous les acteurs trouvent un intérêt commun à travailler ensemble », précise Patrick Norynberg.
Ce qui a longtemps été un savoir-faire forgé sur le terrain est désormais abordé dans le cadre d’une des multiples formations supérieures qui se sont déployées, à partir des années 1990, sur les thèmes du développement local ou de la politique de la ville (voir encadré, page 36). Plus qualifiées, les équipes se sont également étoffées avec l’arrivée de chargés de mission, de médiateurs, d’animateurs, etc., que les chefs de projet ont été chargés de coordonner. Revers de cette (relative) institutionnalisation : « Certaines configurations de travail, l’accroissement des tâches administratives et la gestion de multiples dispositifs font que le contact avec le public et la prise en compte de leurs points de vue deviennent plus difficiles », regrette Philippe Carbasse, adjoint au chef de projet du CUCS (contrat urbain de cohésion sociale) de Perpignan. Même si cela vaut « surtout pour les professionnels chargés du volet de rénovation urbaine et un peu moins pour ceux qui s’occupent du volet social », comme le précise Patrick Norynberg, cette « dérive » gestionnaire se double d’une spécialisation d’une partie des chefs de projet en fonction des dispositifs (réussite éducative, rénovation urbaine, contrat éducatif local…).
A rebours de cette tendance à la segmentation, l’agglomération lyonnaise, forte d’une vieille tradition d’intervention urbaine – forgée à la suite des émeutes des Minguettes (1981) et de Vaulx-en-Velin (1990) –, a opté pour une démarche « intégrée » qui reste une exception, a fortiori depuis la création de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) en 2003 : les professionnels du volet urbain de la politique de la ville y travaillent de concert avec leurs collègues du volet social au sein de la direction de l’habitat et du développement solidaire et urbain, qui fédère les chefs de projet des 26 CUCS du Grand-Lyon. A son échelle, la ville de Lyon a également adopté une démarche transversale avec une direction du développement territorial qui emploie des chargés de mission territoriaux et assure les relations avec les associations locales (centres sociaux, MJC…). En outre, à l’intérieur de certains services (culture, prévention de la délinquance), la municipalité s’est dotée de missions spécifiques chargées d’intervenir dans les quartiers. Objectif : réduire les écarts de niveau de vie entre ces derniers et le reste de la ville.
Le quartier lyonnais de La Duchère, qui comptait 12 000 habitants et 80 % de logements sociaux en 2003, est l’illustration des efforts du Grand-Lyon et de la municipalité en matière de politique de la ville. Entré dès 1986 dans une démarche de développement social des quartiers (DSQ), il est l’un des tout premiers grands projets de ville (GPV) à être signé pour la période 2003-2016. Au programme : un volet urbain (près de 750 millions d’euros jusqu’en 2016), avec notamment la destruction et la reconstruction de 1 700 logements pour diversifier l’habitat et baisser la part du logement social à 55 % (ce qui reste très élevé), un volet économique, avec la réimplantation de commerces et d’entreprises, et un volet social (4 millions d’euros par an). L’équipe chargée de coordonner les volets « humain et urbain » du projet de territoire comprend une dizaine de chargés de mission territoriaux (habitat, gestion sociale et urbaine de proximité, développement économique, zone franche urbaine…). Leur présence permet de donner corps à des initiatives locales, tels un voyage d’études à Fribourg (Allemagne) – qui fait figure de modèle en matière d’écoquartier – ou la création d’un compost de quartier, d’impulser des actions transversales, comme ce lieu-ressources pour les seniors, et de favoriser le travail en réseau – une « coordination 16-25 ans » fédère la mission locale, les centres de loisirs et la MJC de La Duchère.
Ce travail de longue haleine s’appuie sur le soutien sans faille des élus locaux. Pour preuve, la baisse des crédits (– 16 %) de l’ACSé en 2011 a été, en partie, compensée par la ville de Lyon – « ce qui nous rend plutôt optimiste », se félicite Christophe Mérigot, directeur adjoint de la mission Duchère. Cette confiance tranche avec la morosité de la plupart des chefs de projet DSU. « Notre secteur a le sentiment d’être laissé à l’abandon avec, ces dernières années, un fort décalage entre les besoins et les mesures prises », souligne Philippe Carbasse.
En cause : l’absence d’une stratégie gouvernementale ambitieuse et claire pour la politique de la ville, comme en témoigne la prolongation, après de nombreux atermoiements, des CUCS jusqu’en 2014 (7). « Cela crée du désarroi car notre cœur de métier consiste à conduire des projets en les ajustant, après les avoir évalués, en fonction de l’évolution du contexte ; là, on ne renégocie rien, ni les moyens, ni les objectifs », déplore Etienne Varaut, vice-président de l’IRDSU. Le trouble est d’autant plus fort que cette prolongation équivaut au gel de la grande réforme de la politique de la ville, pourtant tant attendue.
Alors que les inégalités persistent entre les quartiers prioritaires et les autres au sein d’une même agglomération, comme le montre l’ONZUS (Observatoire national des zones urbaines sensibles) dans son rapport de 2011 (voir ce numéro, page 10), les chefs de projet prennent de plein fouet cette absence d’impulsion nationale. D’autant qu’ils ont l’impression qu’elle s’accompagne d’un dédain à leur égard. Les « professionnels qui animent la politique de la ville et qui se débattent aussi pour maintenir du sens et de l’espoir, pour soutenir les acteurs locaux mis en difficulté par une quadrature du cercle budgétaire, pour conseiller les élus locaux déboussolés par les besoins sociaux et les injonctions contradictoires » sont tout simplement « oubliés », notait l’IRDSU à la suite du conseil interministériel des villes du 18 février dernier. A cette occasion, la seule annonce (un peu) substantielle a été la confirmation de l’expérimentation de la mobilisation du droit commun dans 33 CUCS.
Reste à savoir quels en seront les effets ? Car le principe consistant à mobiliser le droit commun n’est pas une nouveauté. L’idée que les crédits de la politique de la ville n’ont jamais eu pour vocation de remplacer les politiques de droit commun, mais visent plutôt à les compléter, fait même « partie des bases de la politique de la ville », souligne Etienne Varaut. Sachant que les crédits de droit commun ont plutôt tendance à diminuer, comme l’illustre la disparition progressive des services publics dans les quartiers.
La circonspection des chefs de projet est d’autant plus forte que les crédits spécifiques déployés par l’ACSé ont, eux aussi, été fortement revus à la baisse en 2011 et devraient encore l’être en 2012 (8). « Ce qui signifie qu’il n’y en a quasiment plus », commente Sylvie Rebière-Pouyade, présidente de l’IRDSU. Certains y voient la confirmation que la priorité va à la rénovation urbaine plutôt qu’à l’action éducative, sociale et culturelle. « L’urbain plutôt que l’humain », résume Emmanuelle Thiollier, membre de l’IRDSU. Cette réduction des crédits renforce le fait que les collectivités sont désormais en première ligne en matière de politique de la ville : les communes et les agglomérations emploient déjà la quasi-totalité des chefs de projet DSU, pour moitié sous le statut de fonctionnaires territoriaux, pour moitié comme contractuels. Ces dernières n’ont d’autres choix que de compenser le repli de l’Etat. Quand elles le peuvent ! Car la plupart, dans l’incapacité de prendre en charge l’ingénierie et les projets jusque-là financés par l’Etat, jettent l’éponge. Seules les grosses communes ou communautés d’agglomérations, qui ont les reins assez solides et des équipes suffisamment étoffées pour programmer leur propre politique de la ville – comme à Lyon ou à Paris –, s’en sortent. Au final, c’est plus d’inégalités territoriales…
Par ailleurs, alors que les services déconcentrés sont en pleine recomposition sous l’effet de la révision générale des politiques publiques (RGPP), l’arrivée des délégués des préfets, chargés de renforcer la présence de l’Etat dans les quartiers prioritaires depuis le plan Espoir banlieues de 2008, a déstabilisé encore un peu plus les relations entre le pouvoir central et les chefs de projet DSU : ces derniers « insistent sur un changement dans la nature du dialogue, qui conduit à se concentrer plutôt sur un suivi technique […] que sur un échange sur les objectifs et le contenu de la politique de la ville », relève le rapport de l’ACSé. « Aujourd’hui nous travaillons moins bien avec un Etat qui cultive la logique du résultat à court terme alors que notre approche partenariale, largement invisible et qui se construit sur le long terme, est très difficile à valoriser, constate, de son côté, Emmanuelle Thiollier. Cela nous place dans une situation où nous sommes sans cesse obligés de nous justifier et de démontrer l’intérêt de notre travail. »
Que faire pour redonner du souffle à ces professionnels ? « Nous arrivons à la fin d’un cycle de près de 50 ans de développement local, il faut en redécouvrir les fondamentaux tout en les adaptant aux enjeux du XXIe siècle », propose Etienne Varaut. « Revenons à un rôle d’interface entre habitants et institutions pour faire émerger des initiatives citoyennes, retrouver le lien, la relation, la mise en réseau, réinsuffler une démarche ascendante au lieu de plaquer les projets d’en haut », suggère, pour sa part, Patrick Norynberg. Pour y parvenir, la notion, à la mode, d’empowerment – processus par lequel un individu ou un groupe acquiert la capacité à prendre en charge collectivement son développement et à transformer les rapports de pouvoir – « est une des pistes d’avenir », estime Etienne Varaut. Par ce biais, les plus militants des professionnels ont l’ambition de retrouver un rôle de « poil à gratter » mis à mal par l’inflation des tâches gestionnaires. « Nous devons continuer à être la mouche du coche et à interpeller les pouvoirs publics », déclare Christophe Mérigot.
Revenir aux sources de la politique de la ville, c’est aussi une façon, pour les chefs de projet DSU, de réaffirmer leur attachement à une méthodologie (projet global, transversalité, participation…) avec l’idée de la diffuser et de renouveler les politiques publiques. « L’enjeu, ce n’est pas seulement davantage de moyens, c’est aussi la capacité à changer notre manière de mener l’action publique en mobilisant l’ensemble des partenaires à l’échelle d’un territoire et en conduisant des projets intégrés et partenariaux », explique Etienne Varaut.
Pour Philippe Carbasse, cela passe paradoxalement par la mort de la « figure emblématique du chef de projet soliste ». La complexification des politiques publiques ne permettrait plus à une seule personne de coordonner l’ensemble de la politique de la ville d’un territoire, mais obligerait, selon lui, à disposer d’équipes élargies.
D’autres pistes, complémentaires, sont explorées pour renouveler la profession : des synergies sont cultivées avec d’autres professionnels du développement territorial (voir encadré, page 35) et des liens commencent à être tissés avec les acteurs du développement durable qui, tout comme ceux de la politique de la ville, défendent une approche transversale et visent à inventer de nouvelles gouvernances qui s’appuient sur les aspirations des habitants (9). « Notre intention, résume Etienne Varaut, consiste à répondre à une ambitieuse question : comment gère-t-on la ville du XXIe siècle pour qu’elle soit durable, participative et solidaire ? »
Pour la première fois, les professionnels du développement social urbain (réunis au sein de l’IRDSU et d’Amadeus), des élus – Ville et Banlieue, AMGVF, ACUF, ADF (10)… –, le collectif « Pouvoir d’agir », qui regroupe 17 fédérations nationales, et les centres de ressources « politique de la ville » se sont réunis, les 7 et 8 novembre, lors des « assises nationales de la politique de la Ville » organisées à l’initiative d’Amiens métropole. Dans la « déclaration d’Amiens » adoptée à cette occasion (11), ils appellent à une relance de la politique de la ville avec « une meilleure prise en compte du fait social, de l’humain ». Un « chantier d’envergure » qui suppose, selon eux, une simplification structurelle afin de sortir des cloisonnements et du saupoudrage des moyens, mais surtout une concertation permanente entre l’Etat, les collectivités locales et l’ensemble des acteurs.
Les partenaires s’engagent aussi à élaborer un manifeste en vue de l’élection présidentielle afin que la politique de la ville soit prise en compte par les candidats.
En 2001, sous l’impulsion de l’Unadel (12), des acteurs du développement local issus de différents réseaux – dont l’IRDSU (13), associé à des institutions et des organismes de formation et de recherche – créaient la « plate-forme des métiers du développement territorial ». Objectif : outiller les professionnels et mieux répondre aux besoins des territoires urbains et ruraux en mutualisant leurs approches et leurs expériences. En 2005, après avoir élaboré un guide des formations aux métiers du développement territorial et réfléchi à ce qui était commun à leurs métiers, la plate-forme proposait un référentiel de compétences des métiers du développement territorial afin de les rendre« plus lisibles, de faciliter leur reconnaissance et d’améliorer la mobilité des professionnels ». Cinq compétences indispensables à la pratique du développement territorial sont repérées : l’aide à la décision, l’ingénierie et la conduite de projet, l’animation, la stratégie et la production de connaissances sur le territoire. Elles recoupent les cinq axes mis en évidence par la délégation interministérielle à la ville en 2002 à propos des chefs de projet de la politique de la ville : « la conduite de projet, le développement territorial, le conseil en développement, l’administration et la gestion de l’action publique, l’expertise socio-urbaine » (14).
Au programme de la plate-forme pour 2011-2012 : la poursuite de la connaissance des métiers du développement territorial via une réflexion prospective sur l’évolution du secteur et une recherche-action destinée à ajuster les formations à la réalité professionnelle, avec un colloque national fin 2012.
En l’absence de formation spécifique, les premiers chefs de projet « politique de la ville » se forgent une expérience sur le terrain, dans un engagement associatif militant issu des luttes urbaines, de la prévention spécialisée ou du développement local. Ils viennent d’horizons très variés : on compte aussi bien des architectes-urbanistes que des sociologues, des économistes, des juristes, des travailleurs sociaux… « Cette diversité a permis de croiser les cultures professionnelles », remarque Marc Valette, chargé de développement à l’IRDSU (Inter-réseaux des professionnels du développement social urbain). Depuis les années 1990, leur profil change avec l’émergence d’une génération de professionnels titulaires de diplômes universitaires (DESS, masters…) en développement territorial, en développement social urbain, en urbanisme ou en politique de la ville. « Ces professionnels sont de plus en plus qualifiés et leurs formations initiales se spécialisent : la très grande majorité d’entre eux (87 %) dispose d’un diplôme équivalent ou égal à bac +3, et plus de la moitié (56 %) a un niveau d’études équivalent ou égal à bac +5 », précise l’ACSé (15). « On constate une augmentation de la technicité des professionnels, très bien formés au diagnostic, à l’évaluation, et qui connaissent bien les politiques publiques ; en revanche, ils semblent moins armés sur les aspects plus stratégiques et politiques, le savoir-être, la capacité de mise en réseau, l’animation des groupes alors que ce sont les fondamentaux de nos métiers », observe Philippe Carbasse, adjoint au chef de projet du contrat urbain de cohésion sociale de Perpignan. Certains redoutent même une standardisation, voire un formatage des nouveaux chefs de projet.
« Ceux qui arrivent aujourd’hui dans le réseau assument une posture professionnelle militante et conservent la volonté de transformer les choses, nuance cependant Marc Valette. Le métier reste difficile, avec un positionnement souvent inconfortable et des salaires peu élevés. »
Révolutionnaire à ses origines parce qu’elle rompait avec le cloisonnement de l’action administrative, la politique de la ville s’est, à partir de 2003, segmentée en dispositifs.
C’est le rapport Ensemble, refaire la ville de Hubert Dubedout qui, en 1983, jette véritablement les fondements de ce que sera la politique de la ville et donne naissance aux premières expérimentations de développement social des quartiers (DSQ). « Le développement local, qui émerge dans les années 1970 autour du slogan “Vivre et travailler au pays” dans une logique de valorisation des ressources économiques, sociales et culturelles des territoires, est alors une des marmites de la politique de la ville », avance Marc Valette, chargé de développement à l’IRDSU (Inter-réseaux des professionnels du développement social urbain). Une nouvelle forme de gouvernance se met en place : le co-mandatement des chefs de projet de la politique de la ville par le maire et le préfet – ce qui nécessite un pilotage partenarial qui révolutionne le mode d’organisation classique où l’Etat décide seul de tout. « On sort tout juste de la vision tayloriste qui prévalait durant les trente glorieuses et qui saucissonnait en rondelles (action sociale, logement, police…) pour accéder à une vision d’ensemble », relève Marc Valette.
Durant les années 1980, la politique de la ville s’invente alors sur le terrain dans les tensions – qui perdurent aujourd’hui – entre élus et habitants, entre interventions spécifiques et mobilisation du droit commun… En 1989, le gouvernement de Michel Rocard généralise cette politique alors que la crise sociale et urbaine s’accentue : un comité interministériel des villes est institué et la politique de la ville, animée par la toute nouvelle délégation interministérielle à la ville – devenue en 2009 le secrétariat général du comité interministériel des villes (SG-CIV) –, voit le jour en même temps que naissent les contrats de ville. C’est le temps du recrutement massif de chefs de projet « développement social urbain » qui arrivent parfois sur des territoires inconnus et sont confrontés à un grand isolement.
A partir de 2003, l’arrivée de Jean-Louis Borloo au poste de ministre de la Ville marque un changement. Le pragmatisme (il s’agit de transformer physiquement les quartiers avec la rénovation urbaine) s’accompagne d’une segmentation en dispositifs. A côté du chef de projet « généraliste », on voit apparaître des chefs de projet « spécialisés » ou « thématiques »: « éducatif » avec le programme de réussite éducative (PRE), « urbain » avec le PRU (programme de rénovation urbaine), « santé » avec les ateliers santé-ville, etc. Cette segmentation remet en partie en cause l’intervention transversale qui fait la singularité de la politique de la ville. « On est passé des expérimentateurs militants aux généralistes banalisés, puis aux spécialistes thématiques », résume Marc Valette. C. S.-D.
(1) L’IRDSU compte 600 professionnels de la politique de la ville regroupés au sein d’une quinzaine de réseaux régionaux (Villes et développement dans le Grand Ouest, association des professionnels de la politique de la ville de Normandie, etc) et Amadeus une quinzaine de responsables de service ou de mission « politique de la ville » des grandes collectivités locales.
(2) Une nouvelle ambition pour les villes ; de nouvelles frontières pour les métiers – Septembre 2000.
(3) Dans un rapport intitulé Référentiel de compétences des métiers du développement social urbain : le métier de chef de projet politique de la ville – DIV – Mars 2002.
(4) Etude sur l’ingénierie locale de la politique de la ville. Rôles et missions des professionnels « généralistes » – Rapport d’étude réalisé par FORS-Recherche sociale pour le compte de l’ACSé – Avril 2011.
(5) Faire la ville autrement (2e édition augmentée) et Ville, démocratie et citoyenneté. Expérience du pouvoir partagé – Ed. Yves-Michel, 2011.
(6) In Référentiel de compétences des métiers du développement social urbain – Op. cit.
(7) Signés en 2007, pour une période de trois ans, ils ont été prolongés une première fois en 2010.
(8) Selon le projet de loi de finances pour 2012 – Voir ASH n° 2728 du 14-10-11, p. 49.
(9) Un groupe de travail « développement durable, développement social urbain » a d’ailleurs vu le jour au sein de l’IRDSU.
(10) Association des maires de grande villes de France, Association des communautés urbaines de France, Assemblée des départements de France.
(11)
(12) Union nationale des acteurs et des structures du développement local.
(13) Inter-réseaux des professionnels du développement social urbain.
(14) Dans un rapport intitulé Référentiel de compétences des métiers du développement social urbain : le métier de chef de projet politique de la ville – DIV – Mars 2002.
(15) Etude sur l’ingénierie locale de la politique de la ville. Rôles et missions des professionnels « généralistes » – Synthèse du rapport d’étude réalisé par FORS-Recherche sociale pour le compte de l’ACSé, avril 2011.