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« Les inégalités de santé sont d’abord de l’ordre des conditions de vie »

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Assiste-t-on au retour des « maladies de la misère », comme la tuberculose ? En réalité, s’il n’existe pas de pathologies propres à la pauvreté, la France connaît de profondes inégalités sociales de santé, répond Pierre Chauvin, médecin et directeur de recherche à l’Inserm. Il détaille les raisons complexes de ces disparités et plaide pour un meilleur accès aux soins primaires et à la prévention.

Après le dépistage de plusieurs cas de tuberculose dans la Seine-Saint-Denis, assiste-t-on à un retour des maladies de la misère ?

Il n’existe pas de maladies spécifiques à la pauvreté. En revanche, on observe au sein des groupes sociaux défavorisés des fréquences plus élevées pour certaines pathologies. Pour reprendre l’exemple de la tuberculose, elle est beaucoup plus fréquente dans les milieux pauvres car son apparition est en partie liée à de mauvaises conditions de logement. De même, les dermatoses, certaines maladies infectieuses, mais aussi les maladies mentales, touchent davantage les personnes vivant dans des conditions précaires. L’étude récente que nous avons menée avec le SAMU social de Paris auprès des personnes sans logement personnel montre qu’environ 30 % d’entre elles présentent des problèmes sévères de santé mentale [voir ce numéro, page 22].

Ces pathologies liées à des conditions de vie dégradées sont-elles en augmentation ?

A ma connaissance, les systèmes d’information épidémiologique nationaux ne sont pas assez sensibles ou réactifs pour détecter d’évolution en ce sens. Tant que l’aggravation de la pauvreté et des conditions de vie touche une proportion, certes notable, mais encore modeste de la population, cela n’apparaît pas clairement. La seule certitude est la réapparition de la rougeole, pour laquelle il existe une corrélation entre le statut socio-économique et la couverture vaccinale, même si, par ailleurs, certains départements populaires franciliens peuvent être mieux couverts par la vaccination que des groupes sociaux plus aisés.

Enregistre-t-on en France de fortes disparités sociales en termes de mortalité ?

Il existe de profondes inégalités, qui ont d’ailleurs tendance à s’accentuer. Dans les études que nous menons, nous observons des écarts de l’ordre de 1 à 3 en termes de fréquence de certaines maladies entre groupes sociaux, quelle que soit d’ailleurs la façon dont on définit ces derniers (niveau d’éducation ou de revenus, catégorie socioprofessionnelle…). Pour certains indicateurs, la France est malheureusement la championne en Europe occidentale, comme sur les écarts d’espérance de vie à la naissance entre cadres et ouvriers. Ces inégalités existent pour les principales causes de mortalité – le cancer, les maladies cardio-vasculaires –, particulièrement chez les hommes de moins de 65 ans. Quant au taux de morbidité, à savoir la fréquence d’apparition des maladies, nous possédons beaucoup moins de données. Il existe néanmoins des chiffres pour certains cancers et les maladies à déclaration obligatoire, telles la tuberculose ou l’infection à VIH. Et lorsqu’on a la chance d’avoir des marqueurs sociaux associés, ce qui n’est pas toujours le cas, on constate là aussi de fortes inégalités sociales.

Comment s’expliquent ces inégalités ?

Classiquement, en santé publique, on estime que la majeure partie des inégalités de santé sont d’abord de l’ordre des conditions de vie. Mais nous sommes loin d’avoir quantifié l’ensemble des déterminants en cause. On les classe en deux grandes familles, avec, en premier lieu, les déterminants matériels. La faiblesse des revenus et certaines conditions de logement ont ainsi des effets très directs sur la santé physique et mentale des gens. De même, les conditions de travail pèsent lourdement, et pas seulement les expositions professionnelles aux polluants et les accidents, mais aussi le stress et la précarité de l’emploi. L’alimentation ou le tabac sont également des déterminants très forts et socialement diversifiés. On trouve en second lieu les déterminants psycho­sociaux, qui se mesurent moins facilement : l’isolement social, le niveau d’éducation, le manque d’information et d’éducation à la santé, etc.

Les inégalités sociales de santé ont-elles une composante culturelle ?

Oui, dans le sens où l’on produit ses propres normes et comportements de santé dans ses relations avec les autres, et donc différemment d’un milieu social à l’autre, sans que ce soit seulement superposable aux origines, notamment migratoires. Ces normes renvoient à l’image de soi, à la capacité à se projeter dans l’avenir, à l’intégration de la notion de « capital santé ». Les expériences de la maladie que l’on a eues soi-même ou dans son entourage comptent aussi dans le rapport à la santé et au système de soins, que ce soit en positif ou en négatif. Les inégalités sociales de santé peuvent également être abordées sous un angle territorial. D’abord parce qu’elles sont la résultante d’une concentration de populations en difficulté dans certains quartiers, mais aussi en raison de phénomènes contextuels, comme des expositions au bruit ou aux polluants.

La présence ou non de professionnels de santé joue sans doute un rôle important…

Certains territoires sont effectivement sous-dotés mais ce qui distingue surtout la France est le fait que les inégalités de santé ne concernent pas les pathologies les plus graves ou les soins les plus coûteux. Notre système de protection sociale et de santé fonctionne encore suffisamment bien pour qu’il n’existe pas de disparités marquantes dans l’accès à la chirurgie cardiaque, aux transplantations hépatiques, aux antiviraux ou aux traitements contre le cancer. Les inégalités s’observent plus en amont, pour les soins de santé primaires, la prévention et la promotion de la santé. En région parisienne, nous avons ainsi observé de très fortes disparités sociales dans le dépistage des cancers féminins, ceux du sein et du col de l’utérus. L’obstacle financier à ce type d’examen existe pour les plus pauvres, mais les problèmes d’information et d’éducation apparaissent décisifs. Or l’existence de ces inégalités sur les soins primaires et de prévention a évidemment des répercussions sur la fréquence des maladies graves non détectées, donc, à terme, sur la mortalité.

Le renoncement aux soins pour des raisons financières constitue-t-il un facteur aggravant ?

C’est un phénomène que l’on mesure régulièrement, même s’il n’est pas facile à interpréter. Il est certain, cependant, que les taux de renoncement ne diminuent plus depuis un an ou deux, alors que c’était le cas depuis la mise en place de la CMU. De nombreuses études menées, y compris à l’étranger, sur l’impact des dispositifs de responsabilisation financière, comme les tickets modérateurs ou les franchises, montrent qu’ils ont des conséquences sur la consommation de soins, et d’abord sur celle des plus pauvres.

Pourquoi ces inégalités sont-elles moins importantes dans d’autres pays ?

Ces pays investissent nettement plus sur la prévention et la promotion de la santé. En outre, les pays moins inégalitaires en matière de revenu, de conditions de logement, d’éducation, notamment en Europe du Nord, enregistrent moins d’inégalités sociales de santé. Si l’on observe la situation de l’Angleterre et des Etats-Unis, où les inégalités sociales sont fortes, on peut se demander pourquoi cela ne se traduit pas proportionnellement par davantage d’inégalités de santé. Je pense que c’est en raison de l’existence d’une approche très développée en matière de prévention et de santé communautaire. En France, nous avons hélas été assez longtemps réticents à reconnaître qu’il existait des territoires et des groupes sociaux défavorisés et pour lesquels il fallait intervenir spécifiquement, au-delà du système de droit commun.

Comment réduire ces disparités face à la santé ?

Le système de santé peut être efficace mais il ne peut résoudre seul la question des inégalités sociales de santé. Nous sommes un certain nombre, dans le domaine de la santé publique, à essayer de faire entendre aux pouvoirs publics qu’il est nécessaire de prendre en compte la dimension de la santé dans toutes les politiques publiques. Chaque fois que l’on prend une décision d’aménagement ou que l’on lance une réforme structurelle, il faut essayer d’anticiper ses impacts dans le domaine de la santé. Se pose enfin la question du financement des systèmes de protection sociale. D’une certaine façon, l’assurance maladie paie les conséquences de décisions prises dans d’autres domaines. Quand un employeur met 1 000 salariés au chômage, cela induit des coûts de santé. Si l’on poussait cette logique jusqu’au bout, il faudrait faire financer le système de santé aussi par des acteurs qui ont des responsabilités en matière de pollution, de chômage, etc.

REPÈRES

Médecin et épidémiologiste, Pierre Chauvin est directeur de recherche de l’équipe « Déterminants sociaux de la santé et du recours aux soins » dans une unité mixte Inserm-Université Pierre-et-Marie-Curie. Il a notamment publié, avec Isabelle Parizot, Les inégalités sociales et territoriales de santé dans l’agglomération parisienne : une analyse de la cohorte SIRS (Ed. de la DIV, « Les documents de l’ONZUS », 2009).

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