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Prendre un parent par la main

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Dans l’agglomération de Roubaix-Tourcoing, l’APEI Les Papillons blancs met en œuvre depuis huit ans un pôle d’aide à la parentalité pour les personnes présentant une déficience mentale. Une initiative qui sort les familles de l’isolement, mais dont la portée reste difficile à évaluer.

« Alors regarde, j’ai reçu ce papier-là, mais je ne sais pas ce que c’est… » Giuseppa Testa présente un courrier à Emilie Couplet, éducatrice spécialisée au pôle d’aide à la parentalité (1) de l’Association familiale de parents et amis avec et pour les personnes en situation de handicap mental (APEI) Les Papillons blancs de Roubaix-Tourcoing (Nord). Toutes deux sont assises à la table du salon, avec le compagnon de Giuseppa. En fond sonore, la télévision et le bruit de la circulation, dans l’avenue très passante de Tourcoing sur laquelle donnent les fenêtres ouvertes de l’appartement. « Ce sont des papiers à signer pour l’activité parascolaire de ton fils, explique Emilie après avoir parcouru le document. C’est pour qu’il puisse faire du sport et pour autoriser la prise de photo pendant les compétitions ou l’entraînement. »

Depuis deux ans et demi, Giuseppa est suivie par le pôle d’aide à la parentalité de l’association. L’objectif de cette équipe est d’accompagner les familles dont l’un ou les deux parents présentent une déficience intellectuelle reconnue par un statut de travailleur handicapé. Le suivi peut commencer dès la période prénatale et jusqu’aux 6 ans de l’enfant. « Mais depuis cette année, nous pouvons accorder des dérogations lorsque la famille ou le parent est isolé, ou que l’enfant présente aussi un handicap ou une maladie sévère », déclare Marie Bombled, directrice de service aux Papillons blancs. C’est le cas pour Giuseppa, dont le fils, âgé de 17 ans, présente également un retard intellectuel et une affection dermatologique très invalidante.

Ce pôle a été créé en 2003, huit ans après une première enquête du service petite enfance des Papillons blancs qui avait révélé l’existence à Roubaix-Tourcoing d’une centaine d’enfants nés dans des foyers fondés par les travailleurs en établissement et service d’aide par le travail (ESAT) de l’association. « Quand on s’est rendu compte de ce chiffre, on s’est dit qu’il fallait mettre en place quelque chose, se rappelle Brigitte Doré, directrice adjointe de l’Union départementale des associations de parents et amis de personnes en situation de handicap mental (Udapei). Nous étions concernés à la fois par la problématique de la déstabilisation que peut apporter une naissance pour le couple et par la question du devenir de l’enfant. »

225 enfants repérés au sein de l’APEI

Dans l’intervalle, à Roubaix-Tourcoing, les demandes d’aides de ces parents ont été prises en charge par les éducateurs du service d’accompagnement à l’habitat de l’APEI, qui avaient entrepris de développer un réseau avec les professionnels de la protection maternelle et infantile (PMI), des crèches, des écoles… Certaines sollicitations ont aussi émané directement des maternités, dès la prise en charge de la grossesse, ou des services de la PMI, après la naissance. « Mais, très vite, cela a constitué une surcharge de travail considérable, poursuit Marie Bombled, et un soutien a été recherché auprès du conseil général. » En 2002, une première action collective est organisée avec un financement de la Fondation de France. Ce sont les « après-midi des mamans », des réunions qui leur permettent de rencontrer différents intervenants en santé ou en éducation – extérieurs à l’association – afin que ceux-ci répondent à leurs questions spécifiques. En 2003, alors que 225 enfants sont désormais repérés au sein de l’association, et un millier dans tout le département, une première convention expérimentale est signée entre le conseil général et cinq associations Les Papillons blancs, dont celle de Roubaix-Tourcoing (2). Elle permet le financement du pôle d’aide à la parentalité via trois emplois jeunes qui seront formés par deux des éducateurs spécialisés du service d’accompagnement à l’habitat. Progressivement, les emplois jeunes se sont qualifiés et ont acquis aujourd’hui leur diplôme d’éducateur afin de gérer seuls les accompagnements.

L’adhésion volontaire de chaque parent

« Dès le début, nous nous sommes positionnés clairement comme une aide pour les parents, même si l’objectif de la convention est la prévention précoce de la maltraitance et du placement judiciaire des enfants », tient à souligner Marie-Stéphanie Galland, l’une des éducatrices du pôle. En tant qu’association de parents d’enfants inadaptés, c’est en effet d’abord à eux, leurs enfants à leur tour en train de devenir pères et mères, que Les Papillons blancs souhaitent s’adresser. « C’est tout le paradoxe de notre intervention, résume Nathanaël Ramphft, un autre éducateur spécialisé. Mais notre objectif, c’est le bien-être des parents en tant que tels. » Auprès des enfants interviennent en effet tous les autres acteurs de la protection de l’enfance, de l’enseignement et du secteur médico-social. L’équipe du pôle parentalité se concentre, quant à elle, sur l’étayage de la fonction parentale, bien avant que des difficultés sérieuses apparaissent. « Si des travailleurs sociaux nous contactent en nous disant : “on vient vers vous parce qu’on ne sait plus quoi faire”, ou bien qu’une situation de mise en danger est observée, cela ne relève plus de notre intervention », affirme Marie-Stéphanie Galland. Il revient alors aux travailleurs sociaux des unités territoriales de prévention et d’action sociale de prendre les mesures nécessaires.

D’après la convention, le service dispose de 36 places, soit 12 familles accompagnées simultanément par chaque éducateur sur des durées variables. Elles sont orientées vers la structure par des travailleurs sociaux ou de santé, des enseignants, le personnel des crèches, des écoles, des instituts médico-éducatifs, etc. « Certains parents peuvent aussi parvenir jusqu’à nous par le biais du bouche-à-oreille, parce qu’ils ont des amis qui ont déjà bénéficié de notre accompagnement, précise Marie Bombled. Mais le suivi n’est enclenché que sur la base d’une adhésion volontaire des deux parents. » La procédure d’admission commence par une première rencontre, au cours de laquelle le pôle d’aide à la parentalité et son action sont présentés aux parents. « Nous leur laissons ensuite un temps de réflexion de quelques jours, puis nous les rappelons, s’ils ne nous ont pas recontactés d’eux-mêmes, pour voir s’ils sont intéressés. » Lorsque c’est le cas, un document individuel de prise en charge est signé entre les parents, l’équipe et chacun des partenaires socio-éducatifs, comprenant des objectifs concrets : trouver un mode de garde, préparer l’entrée à l’école, favoriser la séparation mère-enfant, etc. Les objectifs seront renouvelés chaque année.

En ce qui concerne Corinne Desmettre, la mère d’Antoine, 7 ans, il s’agissait au départ de faire dormir l’enfant dans son propre lit. Depuis toujours, en effet, le petit garçon a investi la chambre de sa mère, au détriment du compagnon de celle-ci. « J’ai essayé pas mal de choses, confie Marie-Stéphanie Galland. Mais pour l’instant ça n’a pas marché et le projet est un peu en sommeil. » Ces temps-ci, elle passe chez Corinne plutôt pour discuter nutrition, activités parascolaires et… autorité maternelle. Or, ce mercredi après-midi, la mère et son enfant sont à la maison. Lorsque Marie-Stéphanie arrive, comme souvent, Antoine est devant la télé. « Mais il a demandé à aller au sport, justifie Corinne à l’éducatrice, alors je voudrais aller voir ça avec toi. Ce serait bien, l’athlétisme, parce qu’Antoine il a un peu grossi ces derniers temps. C’est à cause de ce qu’il mange, et puis il veut toujours regarder la télé. » L’éducatrice la fait parler des difficultés qu’elle rencontre, tente de mettre en évidence les solutions possibles pour que la mère s’affirme face à l’enfant. « Je n’ai pas beaucoup confiance en moi, avoue Corinne. Des fois, Antoine, il me fait des misères. Mais la dernière fois qu’on est allés au supermarché, il voulait que je lui achète un jouet et j’ai dit : “Non, tu l’auras soit pour Noël, soit pour ton anniversaire.” Et puis de toute façon je n’avais pas assez d’argent… »

L’essentiel du suivi éducatif s’effectue à domicile, dans l’accompagnement de la vie quotidienne. « Dans nos précédents locaux, nous avions une salle qui se voulait un lieu ressource pour les parents, avec des brochures à disposition, la possibilité qu’ils rencontrent d’autres familles, mais cela n’a pas vraiment pris. Alors quand nous avons emménagé dans les locaux actuels nous n’avons pas recréé l’endroit. » Les éducateurs assistent également fréquemment les parents lors des rendez-vous médicaux, des inscriptions scolaires, sportives ou en centres de loisirs, voire pour faire les courses, lorsqu’il s’agit de travailler sur la qualité de l’alimentation ou l’habillement de l’enfant. « Il faut fréquemment répéter et reformuler les choses qui n’ont pas été bien comprises, note Emilie Couplet. Notamment dans le cadre des rendez-vous médicaux. »

Les outils déclinés par les éducateurs

Pour chacune des familles suivies, et en fonction des objectifs définis ensemble, l’équipe met en place différents outils. « Il m’arrive d’utiliser une échelle de développement qui précise les acquis à chaque âge de l’enfant, les jouets qui peuvent lui être proposés », évoque par exemple Nathanaël Ramphft. Les calendriers sont aussi très utiles pour différencier par couleurs les rendez-vous des différents enfants, ou pour compter les nuits qu’Antoine a passées dans son lit ! La photo peut également constituer un support intéressant afin de mobiliser des souvenirs en lien avec le passé de l’enfant ou de mesurer son développement. « Je l’ai également utilisée avec une maman qui avait accouché prématurément, commente l’éducateur. Rentrée chez elle avant l’enfant, elle avait du mal à se sentir vraiment mère. Alors j’ai pris des clichés que j’ai gravés sur un DVD, afin qu’elle puisse les regarder. » Toutefois, chaque intervention et les astuces qui sont mises en œuvre sont uniques. Ce qui constitue aussi un enrichissement de tous les instants pour les éducateurs, lesquels bénéficient par ailleurs d’une grande autonomie.

Si l’équipe du pôle d’aide à la parentalité ne dispose pas d’un complément de formation spécifique, une supervision a néanmoins été mise en place avec un psychologue. « Cette matinée mensuelle est très importante, car cela me permet de prendre conscience de l’impact que les choses ont sur nous, estime Marie-Stéphanie Galland. Nous suivons les personnes dans un parcours de vie, certaines choses peuvent résonner en nous que l’on peut verbaliser dans cet espace. Car, en intervention à domicile, il peut y avoir un sentiment de solitude. »

« Aujourd’hui, tous nos travailleurs sociaux sont informés de l’existence et de l’activité des pôles d’aide à la parentalité sur le département du Nord, note Sylvie Touzi, adjointe technique à la parentalité de la mission enfance du pôle développement au sein de la direction enfance-famille du conseil général. Des réunions ont été organisées et ils savent se saisir de cet outil, ouvert à tous les parents déficients intellectuels. » Le pôle s’est également chargé de se faire connaître, soit au fil de ses interventions, soit en diffusant une plaquette d’information. C’est ainsi que Karine Levasseur, responsable du multiaccueil de jour Pile au soleil, à Roubaix, a contacté le pôle alors que sa structure accueillait un enfant dont la mère avait beaucoup de mal à se séparer. « Nous avions mis du temps à construire une relation de confiance avec cette maman qui attendait énormément de nous, raconte la responsable, mais nous ne pouvons prendre en charge les enfants que jusqu’à 3 ans, alors il nous fallait passer le relais. Cela a été fait suffisamment tôt avec le pôle pour qu’un éducateur du service puisse à son tour s’insérer dans cette relation de confiance avant que l’enfant entre à l’école maternelle. »

Car le rôle de l’équipe d’éducateurs consiste aussi à coordonner les différents acteurs médico-socio-éducatifs qui interviennent auprès de la famille. « Dès la première prise de contact, nous essayons d’élaborer comment on peut compléter ce qui est déjà en place autour d’eux, et de voir comment nous pouvons être aidants », indique Marie-Stéphanie Galland. Lorsque l’accompagnement est lancé, les différents acteurs sociaux sont contactés et des réunions de synthèse sont ensuite régulièrement organisées, dans le respect du secret partagé. Il sera parfois nécessaire de solliciter une technicienne de l’intervention sociale et familiale, de renouer avec l’assistante sociale de secteur, ou encore de mettre en relation les familles avec les centres de loisirs ou d’accueil dont les enfants peuvent bénéficier. Certains parents rencontrent de telles difficultés à s’orienter dans le dispositif social ou à rechercher l’information qu’ils ne savent même pas qu’ à deux pas de chez eux un centre de loisirs peut accueillir leurs enfants le mercredi après-midi… « Notre travail est de mettre en lien la famille avec tous les intervenants auxquels elle peut faire appel et de l’aider à trouver ses repères, résume Emilie Couplet. Une fois que c’est fait, on peut être moins présent. Puis réactiver le suivi si un nouveau changement déstabilisant intervient, comme un déménagement ou une autre grossesse. »

Chaque mois, le « lundi des mamans »

Puéricultrice de PMI, Eline Vandaele a découvert l’utilité du service en 2009, lorsqu’elle est intervenue pour la première fois auprès d’une famille suivie par le pôle, après la naissance de leur deuxième enfant. « Il s’est produit une vraie collaboration qui a permis d’affiner l’évaluation du climat familial et l’état de santé de la maman, qui était fatiguée et déprimait. » L’histoire ne s’est pas terminée aussi heureusement que l’aurait souhaité la puéricultrice, puisqu’une mesure judiciaire a dû être enclenchée. « Mais même lorsqu’il y a placement, ce n’est pas forcément un échec, souligne Nathanaël Ramphft. Cela peut être nécessaire pour que tous, parents et enfants, puissent s’en sortir. » En revanche, la nouvelle convention signée en 2010 avec le conseil général précise que le suivi par le pôle s’arrête dès lors qu’une décision de placement ou une mesure éducative est prise. « Nous pouvons bien sûr faciliter le relais avec les professionnels qui prendront la suite, ajoute le professionnel. Mais il est vraiment dommage que nous ne puissions continuer à travailler avec ces familles comme nous le faisions auparavant. C’était vraiment complémentaire de la mesure judiciaire. »

Pour compléter le suivi à domicile, les anciens « après-midi des mamans » ont aujourd’hui été remplacés par des « lundis des mamans » : une journée mensuelle organisée par une puéricultrice de PMI en présence de l’un des éducateurs. Autour d’un repas qu’elles ont elles-mêmes préparé, les mères peuvent échanger entre elles ou interroger la puéricultrice sur les soins au bébé. La journée constitue également un observatoire privilégié de la relation mère-enfant qui se noue, et aide à mieux connaître la famille qui se crée. Comme les pères, souvent absents lors des passages des éducateurs au domicile, sont plus difficiles à associer, le pôle a également tenté d’organiser pour eux des temps spécifiques. « Nous avons eu un atelier bricolage pour eux, se souvient Nathanaël Ramphft. Il s’agissait de créer des éléments de décoration pour la chambre d’enfants. Ensuite, il y a eu un atelier carton, et aussi un atelier jeux en présence des enfants. Puis le groupe a éclaté, les papas ont été moins disponibles et, depuis la fin 2010, nous n’avons plus d’action spécifique à leur intention. »

En dépit de plusieurs années de recul, la portée de l’action reste difficile à évaluer. « Au regard de la protection de l’enfance, on peut mesurer que nous restons bien dans une perspective de prévention précoce, assure Brigitte Doré. Mais on ne peut pas dire ce qui se serait passé pour ces familles si elles n’avaient pas bénéficié de notre accompagnement. » En 2010, ce sont quelque 44 foyers (77 parents et 94 enfants) qui ont profité pour une durée variable de l’intervention. « D’après les retours de nos travailleurs sociaux, les familles sont beaucoup moins isolées et se sentent valorisées dans leurs compétences parentales », précise néanmoins Sylvie Touzi. Quant aux éducateurs du pôle, il leur est encore difficile de juger du devenir des enfants, mais ils reçoivent avec plaisir des nouvelles des familles qu’ils ont préalablement suivies. « Ce qui me semble essentiel est la qualité du lien et de la confiance que nous avons instaurés entre les familles et nous, et autour d’elles, dans leur quartier, conclut Nathanaël Ramphft. C’est ainsi que je considère un accompagnement réussi. »

Notes

(1) Pôle d’aide à la parentalité : 22, rue Suzanne-Lanoy-Blin – 59420 Mouvaux – Tél. 03 20 69 11 22.

(2) Depuis, l’ensemble des APEI du Nord, au nombre de neuf, ont développé un service d’aide à la parentalité.

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