Recevoir la newsletter

« Humanisons notre lexique ! »

Article réservé aux abonnés

Mais comment parlons-nous des personnes âgées ? !, s’étonne et s’horrifie à la fois Richard-Pierre Williamson, directeur de CLIC (1) et vice-président de l’Association nationale des coordinateurs et directeurs de CLIC (Ancclic). Parce que le langage, lui aussi, peut être maltraitant, il propose des pistes pour faire évoluer un vocabulaire utilisé par habitude mais qui n’est ni pertinent, ni en accord avec l’éthique des professionnels ou bénévoles de l’accompagnement en gérontologie.

« Florilège d’un abécédaire gérontologique : “institutionnalisation”, “pensionnaire”, “placement”, “reste à charge”, “poids des ans”, “fardeau de l’aidant”, “gestionnaire de cas”, “lève-malade”, “maintien à domicile”, “5e risque”… Que de stigmatisation ! Quel âgisme sémantique ! Quel patois bureaucratique ! Mais comment parlons-nous des personnes âgées ? Est-ce encore acceptable ? Il est grand temps de réviser notre lexique, de nous libérer du poids et du choc des mots qui parfois sont de bien vilains… maux. Et si, ensemble, nous mettions en place un vocabulaire bientraitant, bienveillant ?

Le débat sur le “financement de la dépendance” (n’aurait-on pas mieux fait de parler de “soutien à l’autonomie” ?) n’était-il pas aussi l’occasion de nous interroger sur la manière dont nous parlons des personnes âgées ou en situation de handicap, au vocabulaire que nous utilisons par habitude pour qualifier ce qui fait notre quotidien de professionnels de la gérontologie et du handicap et ceux qui le font ?

Les mots, « marqueurs » de la pensée

Les mots donnent le sens. Ils véhiculent des conventions sociales, des préjugés, des représentations (psycho-sociales, culturelles, à connotation positive, négative ou neutre) et ne sont jamais le fruit du hasard. Ils ont ce pouvoir de qualifier, de donner envie de rire ou de pleurer, de s’étonner ou de s’indigner parce qu’ils indiquent souvent une manière de penser, un jugement, un regard sur les personnes. Les mots nous touchent autant qu’ils nous révèlent. Ce que l’on dit n’est pas anodin, cela nous identifie, parfois nous trahit. Sans pour autant nous enfermer, notre parole véhiculée par une succession de mots plus ou moins choisis donne à voir une partie de ce que nous sommes en profondeur. Les mots résonnent. Ils touchent à nos émotions, révèlent à la fois un peu de notre culture, de notre éducation, trouvent en écho nos valeurs, nos limites, nos blessures parfois, souvent quelque chose de notre essentiel en même temps que l’esprit de notre époque. Un “marqueur” de la pensée du moment.

Si chaque profession a nécessairement besoin d’un jargon, d’un vocabulaire à soi, celui-ci devient bien encombrant lorsque, sorti de son contexte professionnel, il passe sans discernement dans le langage de tous les jours. Finalement, reconnaissons que ces mots ne sont pas très pertinents, ni adaptés, ni respectueux, ni tout à fait fidèles à ce que nous sommes, à ce à quoi nous aspirons, nous professionnels de la gérontologie et de l’autonomie, aidants ou bénévoles, désireux et déjà largement engagés vers le changement, celui de porter un autre regard sur l’avancée en âge ou la situation de handicap. Il y a sans doute, pour nous-mêmes et pour ceux que nous accompagnons, à faire évoluer nos propres représentations, à mettre nos attitudes et notre pratique en cohérence avec les mots que nous utilisons. En maltraitant notre langage, nous nous “maltraitons” nous-mêmes et indirectement les personnes que nous accompagnons.

Dé-bureaucratisons donc notre langage et tentons quelques propositions.

“Pensionnaire”. Mais de quelle “pension” parlons-nous ? Si les professionnels des EHPAD l’ont évacué de leur registre, il reste encore couramment usité par des décideurs ou sous la plume de personnes bien éloignées de la réalité. Alors débarrassons-nous définitivement de ce vocable à l’accent passéiste, inadapté et de si mauvais goût. Parlons plutôt de “résident”, qui désigne tout autant le client, le bénéficiaire, l’usager et l’habitant.

“Placement”. Oh ! en voilà encore un vilain mot ! On place son argent à la banque ; on ne place même pas son chien, on le met en pension, où il sera “hébergé” pendant les vacances de son maître. Une personne âgée ne doit plus “être placée”, cela étant contraire à la loi et à l’éthique. Elle est “admise”, dit-on encore : est-ce encore le mot juste alors qu’il peut donner l’impression qu’il faut réussir l’examen de passage, le casting ? Il ne s’agit pas tant d’“être admis” que d’“entrer” simplement en établissement suite à sa propre décision, à son consentement ou à celui de son représentant légal. Ou sinon point d’hypocrisie, s’il s’agit d’une “admission forcée”, nous pourrons toujours parler (hélas !) de “placement”.

“Gestionnaire de cas”. Traduction malheureuse et incomplète de l’anglais “case manager”, où “case” signifie “situation”, c’est-à-dire une personne située dans son environnement ; et “manager”, celui qui conduit, anime, accompagne, coordonne. Ces “gestionnaires de personnes” seront avant tout des “référents-accompagnateurs de personnes fragiles”. Imaginez-vous un instant le professionnel se présentant au domicile de votre parent touché par la maladie d’Alzheimer : “Je suis le gestionnaire de cas” ! ? Même si le vocable vient d’être officiellement validé, nous pourrions plutôt parler d’“accompagnateur” ou de “coordinateur de soins”, dans le sens du “care”, c’est-à-dire du “prendre soin”, dans la mesure où ce nouveau métier s’apparente si fort à la fonction de coordinateur de CLIC.

“Lève-malade”. Bien souvent, hors situation de soins, cet appareillage est utilisé pour mobiliser une personne en perte d’autonomie, alors parlons simplement de “lève-personne”. Cela peut aussi contribuer à changer l’image de la personne à qui l’on s’adresse et participer d’une nouvelle relation.

“Le fardeau de l’aidant”. Tout de même ! L’expression en elle-même vous en remet une sacrée couche sur le dos ! Sans nier la souffrance et les difficultés souvent majeures des aidants, l’expression est bien “lourde”, et vaut son pesant de dramaturgie en même temps qu’elle porte à occulter les bénéfices de l’aide (échanges, affection, services, compassion, don/contre-don, solidarités familiales…). Parlons simplement de l’“aide aux aidants”, en intégrant évidemment le fait que cet engagement peut devenir excessivement pesant et nécessite d’être pris en compte très sérieusement et de manière concrète.

“5e risque”. La vieillesse est-elle vraiment un “risque” ? Et si nous parlions plutôt de “5e branche” (comme celle de l’arbre qui grandit et évolue) ou de “5e pilier” (qui soutient une construction) ?

“Dépendance”. Nous devrions le plus souvent préférer “perte d’autonomie” ou “soutien à l’autonomie”, pour évoquer le besoin ou le service rendus, intégrant ainsi le fait que nous recherchons à prendre en compte aussi dans nos interventions les capacités restantes, les potentialités, les compétences de la personne. Nous savons bien que nous sommes nous tous de la naissance à la mort – heureusement – en interdépendance avec les autres et que l’autonomie est la capacité à gérer ses dépendances.

“La vieillesse est un problème”. Expression aussi répandue que désastreuse ! Dirions-nous la même chose pour la jeunesse ? Discrimination. La vieillesse n’est pas un problème, c’est une question, un phénomène, un enjeu. En fait, une question de la “vraie vie”, enjeu démographique et sociétal fait de constats (vieillissement et gérontocroissance), de problématiques (de santé, financières certes, mais pas seulement), de bonnes nouvelles (comme le gain d’espérance de vie sans incapacité), de changements profonds à opérer (sur l’habitat, les modes de vie…), d’innovations (domotique, gisement de nouveaux métiers), etc.

Interrogeons-nous, faisons du remue-méninges, soyons imaginatifs… Sortons de ce carcan sémantique, enfermant, limité, sclérosant, en donnant un peu d’aisance, d’ouverture, de bienveillance, un autre souffle, à notre façon de parler. A ces mots, pour beaucoup confisqués par la pensée scientifique ou technocratique, donnons le souffle de la pensée humaniste. Il y a encore un peu de pain sur la planche pour passer de la réflexion au choix des mots, de leur utilisation courante à l’imprégnation des esprits jusqu’au changement de comportement que cela devrait induire et réciproquement. Un effort, un changement de sémantique oui, mais à condition que cela s’accompagne de la “manière de dire et de faire”.

De la même façon que donner vaut autant que ce que l’on donne, la façon de dire vaut autant, sinon plus, que ce que l’on dit. Cela s’appelle de l’empathie, de l’authenticité, du respect, de la gentillesse, de la reliance, de la compassion, de la prévenance, de la congruence, de la bientraitance… Car le “savoir-être” passe évidemment par le “savoir-dire”. Bref, par des compétences psychosociales. Et si certains en sont plus ou moins naturellement dotés, d’autres ont besoin de l’acquérir avec le temps, avec un peu d’expérience et un zest de bonne volonté. Et s’il faut aller plus vite, par de la formation professionnelle.

Pour un « nouveau lexique de l’autonomie »

Peut-on encore accepter que l’on parle encore ainsi de nos vieux parents ? Et comment aimerais-je que l’on parle de moi d’ici quelques années ? Alors pourquoi ne pas faire travailler sur cette question des psychosociologues, des spécialistes de langue française, des gérontologues, des institutions, des représentants des usagers pour aboutir à ce qui pourrait devenir un “nouveau lexique de l’autonomie”, adossé à un “guide de bonnes pratiques”, sous-tendu par une éthique de la bientraitance, de la bienveillance ?

C’est une proposition que j’ai faite, en avril dernier, dans les Pays-de-la-Loire, lors de la première conférence régionale sur “la place des personnes âgées dans notre société et les enjeux démographiques et financiers”. Sera-t-elle suivie d’effets ?

Pour que change ce vocabulaire, il faut aussi une volonté affirmée, un encadrement de qualité, de la formation ciblée mais aussi des moyens suffisants pour mettre en œuvre, chaque jour, la bientraitance globale. Toute la ligne de responsabilités est concernée. Une question de sens, de cohérence, d’éthique, de contrat social et de fraternité. Pour cela, il nous faut aussi changer de paradigme, de logiciel. Penser autrement. Et passer ainsi à un langage et une pratique pleinement humaniste. »

Contact : richard-pierre.williamson@larochesuryonagglomeration.fr

Notes

(1) Centre local d’information et de coordination.

Vos idées

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur