« La crise économique, la dégradation lente et progressive du système de santé qui protège les plus fragiles, les choix de politiques publiques qui éloignent des dispositifs de soins ceux qui en ont besoin » ont entraîné en 2010 un « décrochage dans l’accès aux soins » que l’on peut qualifier de « krach sanitaire », s’alarme Olivier Bernard, président de Médecins du monde. Lequel compte, individuellement ou avec d’autres réseaux associatifs, interpeller les candidats à la présidentielle sur le sujet. « Dans les débats, seule la question du financement est abordée, mais la santé comme question de société émerge peu. »
Le rapport annuel de l’Observatoire de l’accès aux soins de sa « mission France », rendu public comme chaque année à l’occasion de la journée mondiale du refus de la misère du 17 octobre (1), dresse un tableau alarmant. En 2010, l’augmentation des consultations médicales et dentaires dans les centres d’accueil, de soins et d’orientation (CASO) de Médecins du monde (plus de 28 000 personnes accueillies) s’est poursuivie pour atteindre + 10 % depuis 2008. Et en un an, les consultations pour des « raisons sociales », liées le plus souvent à des questions de couverture maladie, ont crû de 20 %. Plus de 87 % des patients reçus, en grande majorité des étrangers, n’ont en effet pas de droits ouverts lors de leur première consultation, quelle que soit leur situation administrative. Preuve du rôle important joué par les permanences d’accès aux soins de santé (PASS) : les demandes sont moins nombreuses dans les villes où elles fonctionnent correctement au sein des hôpitaux. « Mais ce dispositif de droit commun est trop peu appliqué, déplore Jean-François Corty, directeur des missions France de Médecins du monde. Sur les 500 prévues, il n’en existe que 400, et parmi elles, certaines ne sont pas fonctionnelles parce qu’elles ne comprennent que des médecins ou que des travailleurs sociaux. »
L’année 2010 a, en outre, été marquée par une détérioration des conditions de logement des personnes accueillies : moins d’un patient sur quatre vit dans un logement « stable ». Beaucoup (48 %) habitent un logement précaire et environ 13 % sont sans domicile fixe. De plus en plus d’habitats sont, par ailleurs, considérés comme dangereux pour la santé (+ 15 % en deux ans). Conséquence de l’insuffisance des places en centre d’accueil pour demandeurs d’asile : 19 % de cette population accueillie en CASO vit à la rue. Parmi les femmes enceintes, 8 % sont sans domicile.
De plus en plus confrontés à des « logiques de survie », les patients de Médecins du monde voient leur situation sanitaire aggravée : en 2010, 24 % des personnes reçues ont recouru tardivement aux soins (contre 22 % en 2009, 17 % en 2008 et 11 % en 2007). Près de la moitié des situations (45 %) nécessiterait une prise en charge d’au moins six mois. La situation des mineurs (12 % des patients, soit une hausse de 30 % en deux ans) est toujours préoccupante : seuls deux sur dix vivent dans un logement stable. « Deux tiers des enfants de moins de 6 ans ne sont pas suivis par les services de PMI » et seul un tiers des moins de 7 ans est à jour des vaccinations.
Au total, Médecins du monde pointe du doigt le « démantèlement des droits protecteurs » : à la barrière linguistique, aux difficultés de la domiciliation et autres obstacles administratifs s’est ajoutée en 2011 la mise en place d’un « droit d’entrée » de 30 € pour bénéficier de l’aide médicale de l’Etat, barrière supplémentaire pour les personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. Alors que les plafonds de ressources pour prétendre à la CMU complémentaire n’ont pas été réévalués en dépit de l’augmentation du coût de la vie, l’association constate les effets de la crise économique : on voit ainsi arriver « des personnes disposant de ressources “trop importantes” pour bénéficier de la CMU complémentaire mais insuffisantes pour souscrire à une mutuelle ».
Il faut aussi compter avec les restrictions du financement de l’hébergement d’urgence, dernier filet de protection pour les exclus, et « les effets collatéraux » de la gestion des politiques migratoires. Ainsi, « le contexte répressif et législatif a indéniablement pour effet l’éloignement des personnes des structures de santé et du recours à la prévention et aux soins. Près de 60 % des étrangers en situation irrégulière en viennent à limiter leurs déplacements ou activités par peur des arrestations ».
Ce durcissement se traduit également par les expulsions répétées de camps de familles rom et de migrants dans la zone de Calais, qui remettent en cause les actions sanitaires engagées par les associations. Alors que la rougeole et la tuberculose frappent les milieux de vie insalubres, « à Marseille, à Saint-Denis et à Bordeaux, des campagnes de vaccination ont été interrompues en pleine période endémique ». Pour Médecins du monde, le scénario catastrophe se produit pour les plus précaires : « Dans un contexte de remise en question du système de santé solidaire et de résurgence des endémies de la misère, les autorités créent les conditions d’une crise humanitaire », dénonce Jean-François Corty.
(1) Disponible sur