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« L’assistance sexuelle ne résout pas le problème de la vie en institution »

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Faut-il autoriser les assistants sexuels pour les personnes handicapées en France ? Cette question suscite d’âpres échanges entre ceux qui militent pour le droit des handicapés à mener une vie sexuelle autonome et ceux pour qui cela reviendrait à officialiser une forme de prostitution. Directeur de recherche à l’Inserm et spécialiste des aspects psychologiques et sociologiques de la sexualité, Alain Giami tente d’éclairer le débat.

L’assistance sexuelle aux personnes handicapées s’apparente-t-elle à de la prostitution, comme l’affirment ceux qui y sont opposés ?

Je ne vois pas de réelles différences entre les deux. Au bout du compte, il s’agit bien de proposer des relations sexuelles tarifées. Bien sûr, le discours sur l’assistance sexuelle insiste sur les limites à instaurer, ne pas aller jusqu’à la pénétration, s’en tenir à la sensualité. Mais est-ce cela dont les adultes handicapés ont envie, ou bien d’avoir des relations sexuelles complètes, y compris pour certains avec des prostituées ? Ce qui, faut-il le rappeler, est un type de relation sexuelle particulier qui concerne moins de 10 % des hommes. En outre, même si le recours à des assistants sexuels peut aider certains hommes, et je n’y suis pas opposé, je pense que cela ne résout pas le problème principal qui est celui de la vie en institution et de la difficulté d’y avoir des relations de couple.

Cependant, la création d’une fonction d’assistant sexuel ne permettrait-elle pas d’officialiser ce qui se pratique de façon cachée ?

En effet, emmener des personnes handicapées voir des prostituées compréhensives dans le tabou et le silence, cela existe depuis longtemps. Rappelons néanmoins qu’il existe un problème légal. Les handicapés moteurs sont des adultes libres d’avoir des relations sexuelles avec qui ils veulent. Mais les handicapés mentaux, eux, sont toujours considérés comme des « incapables majeurs ». Avoir des relations sexuelles avec eux tombe donc sous le coup de la loi.

Cela délégitime-t-il pour autant la demande d’adultes handicapés moteurs d’avoir accès à une assistance sexuelle ?

Le problème est le suivant : si l’on se réfère au principe d’égalité, inscrit dans la Constitution, peut-on autoriser certaines catégories de citoyens à avoir un accès organisé à ce qui relève au fond de la prostitution ? Car même si la prostitution y est tolérée, la France reste un pays abolitionniste qui se refuse à réglementer cette activité afin de ne pas encourager son développement. Créer un statut d’assistant sexuel réglementé entraînerait donc une brèche. D’autant que la misère sexuelle n’est pas l’apanage des seules personnes handicapées. Pourquoi les timides, les vieux ou n’importe quel autre groupe ayant des difficultés sexuelles n’auraient-ils pas droit eux aussi à une aide ? Je crois par ailleurs qu’il faut s’interroger sur les motivations profondes des assistants sexuels. On ne retient trop souvent que leurs discours humanistes, généreux, altruistes. Mais l’attirance pour des personnes handicapées ou mutilées est considérée par les instances scientifiques internationales comme une paraphilie (1). Ces personnes doivent-elles alors être considérées elles-mêmes comme malades ? Ou sont-elles des saints qui se sacrifient pour le bonheur des autres ? Pour avoir beaucoup travaillé sur les attitudes des professionnels de santé en matière de sexualité, je sais que les choses sont loin d’être simples. Qu’est-ce qu’une attitude professionnelle dans ce domaine et est-ce le genre de relation dont les personnes handicapées ont besoin ?

L’officialisation de la fonction d’assistant sexuel ne reviendrait-elle pas à encourager la marchandisation du corps ?

Le corps est déjà l’objet de commerce de bien des façons. Pour les organisations qui refusent l’assistance sexuelle, la commercialisation du sexe est considérée comme moins acceptable et moralement plus condamnable que celle des autres parties du corps. La question est de savoir si l’on peut désacraliser la fonction sexuelle. Néanmoins, je suis bien conscient que la commercialisation du sexe pose la question du proxénétisme et des contraintes faites aux femmes, qui sont des problèmes particulièrement complexes.

La question des aidants sexuels se pose-t-elle de façon univoque dans le monde du handicap ?

On fait comme si tous les handicapés étaient dans la même situation. En réalité, le débat se pose de façon radicalement opposé selon que l’on est handicapé mental ou moteur. Le courant favorable au recours aux aidants sexuels représente essentiellement les handicapés moteurs, mais il a tendance à parler au nom des handicapés en général. Or, si les déficiences motrices ont un effet délétère sur la vie sexuelle, dans le sens où elles diminuent l’expression de cette fonction, les déficiences intellectuelles et les handicaps psychiques sont associés, au contraire, plutôt à des effets de l’ordre de la désinhibition. Ce qui ne pose pas le même type de problèmes et appelle d’autres réponses. Sans compter l’obstacle légal que constitue le statut d’« incapables majeurs » des handicapés mentaux.

Plus qu’une aide sexuelle, ce qui pose question, selon vous, est le manque de reconnaissance de la sexualité des personnes vivant en institution…

Une grande partie du problème tient en effet à l’organisation institutionnelle de la sexualité. Nous avions publié en 2008 dans la revue Alter une étude qui montrait que, quel que soit le type de handicap, le fait de vivre en institution a un effet négatif très fort sur la possibilité d’avoir un partenaire. Lorsqu’une personne handicapée vit à domicile, ses chances de nouer et de maintenir une relation sociosexuelle avec un partenaire, un conjoint ou un cohabitant, sont à peu près équivalentes à celles de la population générale. Mais lorsque cette même personne vit en institution, ce chiffre tombe à 20 %. Socialement, l’idée est ancrée quelque part que les malades, et en particulier les handicapés, sont des êtres asexués.

La prise en compte de la sexualité des personnes handicapées en institution s’est pourtant beaucoup améliorée depuis quelques années…

Il existe davantage de possibilités de mixité, mais lorsqu’on analyse le fonctionnement des institutions, on est frappé par la créativité que beaucoup mettent encore en œuvre pour maintenir la séparation entre les sexes. Et lorsqu’elles tolèrent les rapprochements entre hommes et femmes, c’est souvent à des conditions très encadrées. Il faut parfois être marié ou avoir une relation stable. D’ailleurs, lorsqu’on dit que la sexualité est réprimée dans les institutions, ce n’est pas toute la sexualité. Paradoxalement, c’est surtout la sexualité hétérosexuelle, alors que l’homosexualité ou encore la masturbation sont davantage tolérées. En fait, selon le type de représentation que l’on a soi-même de la sexualité, on va mettre en place des réponses sociales, éducatives, pédagogiques et institutionnelles différentes.

Vous distinguez l’aide technique de l’assistance sexuelle. Quelle différence entre les deux ?

Un aidant sexuel va permettre à deux personnes handicapées qui ont des restrictions importantes dans leur mobilité d’avoir des relations sexuelles, ou bien aider à la masturbation d’une personne qui ne peut le faire elle-même. Cela se pratique dans nombre d’institutions tout en demeurant tabou. Mais quel pourrait être le statut de ces accompagnants qui facilitent la possibilité d’une rencontre érotique ? J’ai interrogé de nombreux professionnels médico-sociaux, en particulier des aides médico-psychologiques, et il est clair que, pour elles, il y a quelque chose dans la sexualité qui va au-delà de la compétence professionnelle. L’éthique professionnelle, dans les professions médicales et médico-sociales, maintient l’interdit de la relation sexuelle avec les patients et les usagers. Mais pour ceux et celles qui ont affaire à l’intimité corporelle des personnes, qui sont en contact avec leurs organes génitaux dans une relation extrêmement intime, la question se pose de savoir jusqu’où peut-on avoir un contact qui ne soit pas érotique. Et si c’est le cas, que faire ?

Est-il préférable que cela reste dans le non-dit ?

Je constate qu’il existe des obstacles à la vie sexuelle des personnes placées en institution. Il faut y réfléchir. La France paraît d’ailleurs très en retard sur ces questions alors qu’on voit émerger au niveau international une réflexion sur les droits de l’Homme appliqués à la sexualité. Si l’on considère que la sexualité constitue une dimension centrale de l’identité, de l’épanouissement individuel et de la santé, elle est alors un droit. Et le fait de s’opposer à ce que certaines catégories de la population puissent avoir des relations sexuelles constitue une violation de ce droit. C’est dans ces termes que le débat se pose, et pas dans le simple fait de pouvoir coucher avec un partenaire. Il s’agit de développer une conception positive de la sexualité en tant qu’élément fondamental de l’épanouissement des individus.

REPÈRES

Alain Giami est directeur de recherche à l’Inserm au sein de l’unité « Genre, santé sexuelle et reproductive ». Il a notamment publié avec Chantal Humbert et Dominique Laval L’Ange et la Bête. Représentations de la sexualité des handicapés mentaux par les parents et les éducateurs (Ed. du CTNERHI, 2e édition 2001). Il a été consulté plusieurs fois comme expert auprès de la direction générale de la santé ainsi que du Comité consultatif national d’éthique.

Notes

(1) « Paraphilie » est un terme utilisé par certains milieux psychiatriques à la place du mot « perversion ». En sexologie, il désigne toute préférence sexuelle différant des actes sexuels génitaux avec un partenaire de sexe différent et de même tranche d’âge.

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