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Eduquer en EPM : une mission sous influence

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Au-delà des polémiques sur les établissements pénitentiaires pour mineurs, un rapport de recherche dirigé par le sociologue Gilles Chantraine montre comment la cohabitation de quatre administrations bouscule les pratiques professionnelles et la façon dont les personnels éducatifs tentent, non sans mal, de résister au carcan carcéral.

Les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) ont changé le paradigme de l’incarcération des 13-18 ans. Alors que celle-ci était considérée comme un moyen de neutraliser les jeunes délinquants par un « coup d’arrêt » dans leur parcours judiciaire, ces nouvelles structures, créées par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, affichent une nouvelle ambition : se servir de la détention pour les resocialiser, en misant sur le partenariat des personnels de l’administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), de l’Education nationale et de la santé. Cette innovation, lancée dans un contexte de durcissement de la justice des mineurs, a dès le départ suscité une polémique entre ceux qui y ont vu un moyen de faire de la prison un moment « utile » et ceux qui ont fustigé une surenchère à l’enfermement.

« Hybridation » des missions

La controverse, toujours vivace cinq ans après l’ouverture des premiers établissements, est régulièrement relancée au gré des incidents dont les EPM sont le théâtre. Au cœur même du débat : la validité de leur projet et l’instauration de binômes composés d’un éducateur et d’un surveillant, dont les missions et les valeurs se situent pourtant aux antipodes. En proposant une plongée inédite dans le « monde social des EPM », un très riche rapport de recherche dirigé par le sociologue Gilles Chantraine pour la mission de recherche Droit et justice (1) se penche non pas sur le bien-fondé de cette collaboration, mais sur ses incidences sur les pratiques et les identités professionnelles. Car si les jeunes y sont scolarisés, y participent à des activités et font l’objet d’un suivi sanitaire dans le cadre d’une prise en charge individualisée et dans la perspective d’un projet de sortie, l’EPM reste une prison où l’action éducative est en permanence mise à l’épreuve.

Les volumes horaires dévolus aux activités, l’impact de l’architecture sur la communication entre les détenus, la conception des « régimes différenciés » ou la structure des équipes en termes d’expérience ou de statut sont autant de critères qui différencient les deux EPM passés à la loupe par les chercheurs. Mais les établissements rencontrent tous des problématiques communes, à commencer par la coexistence des deux objectifs du maintien de l’ordre et de l’action éducative. Les surveillants doivent-ils assumer une part de la prise en charge éducative ? Les éducateurs doivent-ils se soucier des objectifs sécuritaires propres au milieu carcéral ? Plutôt que d’une distinction des tâches, les auteurs parlent d’une forme d’« hybridation » des missions. Au sein des unités de vie où sont hébergés les détenus, le surveillant et l’éducateur occupent le même bureau, prennent ensemble en charge un groupe d’une dizaine de jeunes et partagent leurs repas. « Le surveillant peut revendiquer la part éducative du travail de surveillance, réaffirmer que son métier dépasse les tâches de contrôle pur ; en retour, l’éducateur rappelle souvent la dimension éducative de la sanction. » Alors que certains éducateurs apprécient de pouvoir pleinement exercer leur métier en déléguant à l’administration pénitentiaire le « rôle de gardiennage » qu’ils sont, de fait, obligés d’assumer dans les foyers ou les centres éducatifs fermés, beaucoup jugent au contraire que, désinvestis de l’« encadrement » des jeunes, ils perdraient un pan de leur travail fondé sur la proximité.

Surtout, la mission de l’éducateur est aussi d’observer : le comportement en détention lui fournit, en plus des entretiens individuels, la matière première de son travail éducatif. Cette double vigilance, du personnel éducatif d’une part, des surveillants de l’autre, entraîne des stratégies de « suradaptation » et de dissimulation des jeunes détenus, qui cherchent à tirer partie de l’omnipotent regard pénitentiaire. Face aux éducateurs, « faut faire la victime, parce que eux ils écrivent », illustre l’un d’entre eux.

Méfiances réciproques

Si l’articulation entre la surveillance et l’observation a, en effet, des répercussions sur les écrits professionnels, la réticence des éducateurs à utiliser le cahier électronique de liaison en dit long sur les méfiances réciproques. Cet outil d’observation informatisé censé être utilisé et partagé par l’ensemble des personnels répond aux objectifs de la prise en charge partenariale et de suivi général de la vie carcérale des mineurs, dans un souci de traçabilité conforme aux exigences des règles pénitentiaires européennes. Mais tandis que le cahier électronique de liaison est imposé aux agents pénitentiaires, apparaissant même comme un moyen d’inculquer « une certaine manière de regarder les jeunes détenus et de les catégoriser », les éducateurs, qui disposent de leur propre outil de suivi, renâclent à s’en saisir. Par crainte des mauvais usages qui pourraient être fait de leurs écrits par l’administration pénitentiaire, la majorité refuse de l’utiliser ou en fait un usage minimal. D’autres, minoritaires, jugent au contraire qu’y participer peut contrebalancer la perception des détenus par les surveillants, à condition de respecter le secret professionnel. Malgré les efforts de certains responsables éducatifs pour lever les réticences, par exemple en élaborant une « charte de bonnes pratiques », ils font de cette résistance un moyen de revendiquer la protection de leur espace professionnel.

Les « frontières négociées de la surveillance » sont par ailleurs source de divergences sur l’articulation des interventions et la conception de l’exercice de l’autorité, au cœur de la relation avec les jeunes. Les surveillants (souvent seuls détenteurs des clés) sont, en effet, chargés d’effectuer les contrôles des circulations nécessaires au bon déroulement des activités, tout en étant maintenus à distance de ces dernières pour préserver leur finalité. Mais le difficile équilibre entre le respect du métier de chacun et la nécessité d’empêcher tout mouvement collectif engendre « des incertitudes et des controverses », voire des incohérences. Dans l’un des établissements observé par exemple, les professeurs se sont vu reprocher par les surveillants de ne pas empêcher les sorties abusives de classe, et ces derniers de ne pas contrôler suffisamment les couloirs. Après « deux années de cafouillages et d’incidents », un curieux compromis a été trouvé entre l’Education nationale et l’administration pénitentiaire : « désormais, les professeurs et les élèves seront enfermés, durant toute la séance, dans les salles de cours ».

Principale innovation des EPM, la prise en charge pluridisciplinaire des détenus représente un réel progès par rapport aux quartiers pour mineurs : « Elle entraîne le contrôle mutuel des pratiques, notamment la réduction de l’arbitraire, et la confrontation du jeune à une pluralité d’adultes. L’intrusion massive de l’Education nationale, voire dans certains cas son statut de “pivot” autour duquel tout doit s’organiser, constitue une vraie rupture », commente Gilles Chantraine. Reste que dans cet univers où « des logiques d’action hétérogènes se confrontent et s’articulent, non sans heurts », l’impératif sécuritaire do­mine toujours. « On chasse le naturel pénitentiaire et il revient au galop !, ajoute le sociologue. L’offre éducative prend la forme d’une injonction à l’activité et l’administration pénitentiaire contrôle la régulation des comportements problématiques. Le jeune est constamment sous surveillance, alors que la socialisation des adolescents passe aussi par des moments sans adultes. » La mise en œuvre des régimes différenciés, censés permettre une prise en charge individualisée selon la loi pénitentiaire, illustre ces logiques contradictoires.

A l’inverse des quartiers pour mineurs, les choix d’affectation des jeunes résultent en théorie d’un débat collégial dans les commissions pluridisciplinaires uniques, où est abordée la situation des détenus par les membres des quatre administrations. A l’issue d’une semaine passée en « quartier arrivant », la prise en charge peut s’organiser selon trois modalités : le régime peut être « général », de « responsabilité », pour accroître l’autonomie du mineur, ou « renforcé », lorsqu’il rencontre des difficultés particulières, notamment liées à sa vulnérabilité. Reste que, dans la pratique, cette différenciation résulte davantage d’un compromis que d’une logique éducative. « De fait, les différences de conception de la différenciation tiendraient aux écarts entre les finalités sécuritaires, centrées sur le présent et la régulation des troubles à un instant T, dominantes au sein de l’administration pénitentiaire, et des finalités éducatives, orientées vers le futur d’une trajectoire individualisée, plus spécifiquement présentes au sein de la PJJ et de l’Education nationale. » Au cours des commissions pluridisciplinaires, contrôlées par la hiérarchie pénitentiaire, les critères de maintien de l’ordre, de gestion des flux, de maintien du « climat » de l’unité ou de la prise de risque éducatif s’affrontent dans un jeu de négociations entre les différents acteurs. Parfois, les frontières sont brouillées, y compris par le personnel de santé, qui pourtant bénéficie d’une relative autonomie au sein du dispositif : dans un EPM, « la psychologue de l’UCSA [unité de consultations et de soins ambulatoires] n’hésite pas à prendre position sur des questions sécuritaires, évoquant ici un “potentiel violent”, là un esprit “manipulateur”, ou là encore une “froideur sur les faits”, soit autant de jugements hautement appréciés par l’administration pénitentiaire et qui pèsent de tout leur poids sur la décision d’affectation du jeune dans telle ou telle unité de vie », relève le rapport. Les jeunes, eux, voient dans cette différenciation « au mieux un système de récompenses/punition en fonction de leur bon ou mauvais comportement, au pire un système dont il ne faut pas vraiment chercher à comprendre les voies impénétrables, ce qui, in fine, n’est que le miroir renversé des incertitudes des professionnels eux-mêmes à expliquer de manière cohérente au jeune le pourquoi de leur affectation ».

Des sanctions éducatives ?

Le sujet de la sanction illustre également « la torsion pénitentiaire de l’activité des éducateurs de la PJJ et les tentatives, ou pas, de mise en sens éducatif de la détention ». A côté du droit disciplinaire, les ac­teurs de l’EPM ont en effet la possibilité de répondre aux incidents quotidiens en décidant de « mesures éducatives », plus justement appelées « mesures de bon ordre ». Partie prenante de la politique sécuritaire de l’établissement, ces « outils de recadrage » consistent le plus souvent en une privation de temps collectifs (repas, activités sportives ou socioculturelles). Dans un certain consensus, les éducateurs les considèrent comme des modalités de régulation des comportements proches de celles qui régissent la vie en foyer, tandis que les surveillants les considèrent comme un moyen de réintroduire « une dose de réactivité, de souplesse et de diversification du panel punitif à l’intérieur de l’EPM ». Ainsi, sans s’opposer au principe de la sanction, les éducateurs débattent surtout sur son contenu. Certains tentent d’investir cette notion en essayant de proposer des solutions « alternatives », à l’image de cette éducatrice qui conteste la pertinence du confinement des jeunes en cellule. « On pourrait leur demander un travail écrit sur leurs actes par exemple, ça serait beaucoup plus intéressant », imagine-t-elle, tout en connaissant le peu de marge de manœuvre en la matière, la hiérarchie pénitentiaire ayant de toute façon la mainmise sur l’organisation de la vie carcérale. Au final, commentent les chercheurs, « l’EPM cumule, du point de vue des sanctions, les manières de faire d’un foyer et celles d’une prison. Malgré les réels efforts pour certains professionnels pour donner un sens éducatif à ces sanctions, c’est ce cumul qui rend, pour une part, l’EPM étouffant pour certains jeunes – qui peuvent paradoxalement considérer qu’ils ont plus d’autonomie en quartier pour mineurs alors qu’ils y passent le plus clair de leur temps en cellule. »

Les EPM entraînent immanquablement « un processus de redéfinition des contours de l’action éducative ». Premier constat : le recrutement d’éducateurs peu expérimentés et contractuels, du fait de la réticence de la profession à intervenir dans ces structures, a souvent nui à la stabilité des équipes et à la construction des projets éducatifs. La majorité des éducateurs dénoncent en outre la prépondérance des temps collectifs, qui met l’accent sur l’organisation d’activités dans une conception éducative proche d’une culture dite « de foyer », par rapport au temps consacré aux entretiens individuels et aux liens noués avec l’environnement du jeune, dans une culture éducative dite « de milieu ouvert ».

Une éducatrice en vient même à envier les conditions d’exercice dans les prisons « classiques » : « Le cadre est tellement plus carré en quartier pour mineurs que les espaces éducatifs qu’on propose, comme il y en a moins ou comme ils sont beaucoup plus repérés, en tout cas en tant que tels, les jeunes s’y engouffrent. Et du coup c’est du pain bénit pour les éducateurs pour bosser, pour faire des entretiens. » Bien que motivée par des problèmes de sécurité, la décision prise dans un établissement, deux mois après son ouverture, de diviser les groupes de jeunes en deux et de réduire de moitié les activités, a pour cette raison été bien accueillie par le personnel éducatif.

Fondement comportementaliste

Au-delà, se côtoient dans les EPM plusieurs approches sur « les meilleures manières d’éduquer les jeunes détenus ». De manière générale, explique le rapport, « depuis une vingtaine d’années s’impose, dans le champ de la PJJ, une conception responsabilisante du travail éducatif, fondée sur la dimension structurante, pour la personnalité des jeunes délinquants, du rappel de leurs obligations pénales ». Comme cette dimension de « travail sur l’acte », le « travail biographique » sur l’environnement du jeune bute sur les temps individuels limités, mais aussi sur la difficulté de construire une relation de confiance en détention : celle-ci « ne peut être nouée que lorsque le rapport de pouvoir s’estompe partiellement. Tant face aux surveillants qu’aux éducateurs, les jeunes ne font tomber les masques et ne disent ce qu’ils pensent que lorsque les risques de retour de bâton (procédure disciplinaire, rapport éducatif négatif…) sont mesurés. »

Quant à la logique de « socialisation », au fondement « comportementaliste », elle se situe au cœur du projet des EPM. L’inscription du jeune dans chaque groupe et sa participation, sous peine de sanction, à des activités encadrées par des règles, vise à le « réadapter à une vie sociale “normale” », même si cette conception est remise en cause par l’efficacité relative du travail à « l’injonction » : dans ce milieu clos où le « faux-semblant est roi », « le pouvoir d’inculcation des normes [est] douteux ». La théorie du « faire avec », qui prend forme à travers les nombreuses activités socio­culturelles, se heurte pour sa part, sans investissement du mineur ni des éducateurs (fondé sur leur engagement, leur expérience et le soutien de leur hiérarchie), au danger d’occuper le terrain par un objectif purement « occupationnel ».

Au total, si chacune de ces conceptions éducatives existe aussi à l’extérieur des EPM, elles sont teintées « de couleur pénitentiaire ». D’où cette question provocatrice des chercheurs : en prétendant « détotalitariser » l’institution, l’EPM, en cumulant les contraintes carcérales, l’injonction à la suractivité et l’observation permanente du jeune, ne « réaliserait-il pas, par une ruse de l’histoire, l’utopie disciplinaire ? » A la responsabilisation répond « une déresponsabilisation quotidienne constamment reproduite par la dépossession du jeune de son propre emploi du temps », le respect du règlement devenant « un signe majeur et parfois unique de la réussite éducative ». Quant à la « socialisation comportementale », elle produit, dans un cadre privatif de liberté « un faux-semblant généralisé, où il faut donner des gages de bon comportement “psycho-corporel” ». Les conceptions de l’éducation valorisant le « travail biographique » ou le « faire avec » sont jugées plus ambivalentes : le cadre pénitentiaire en dénature les prérequis et les moyens (qualité du lien, relation de confiance), mais elles peuvent en retour « desserrer l’étau pénitentiaire » en tentant de construire « une relation éducative normalisée ». En témoigne l’expérience d’un atelier musical, menée dans la perspective du « laisser-faire » en donnant aux jeunes l’opportunité de s’exprimer dans des textes de rap. « Le fait de laisser la parole aux détenus et de pouvoir la diffuser sur la chaîne de l’EPM et par les baladeurs MP3 semble constituer le facteur de réussite de l’activité. » Après avoir épuisé le répertoire de la contestation et évacué leurs frustrations, notamment par des chants « caractérisés par une incroyable violence », les jeunes ont pu, d’eux-mêmes, explorer d’autres registres et d’autres thèmes.

Au final, l’éducatif peut-il tirer son épingle du jeu en établissement pénitentiaire pour mineurs ? Pour Gilles Chantraine, la réponse est dans « la capacité individuelle et institutionnelle de chaque professionnel à ne pas laisser l’administration pénitentiaire avoir le monopole de la situation ». Que fait-on du risque éducatif en prison ? « Un surveillant m’a expliqué qu’il lui a fallu deux ans pour comprendre qu’un conflit pouvait être positif pour l’éducateur », ajoute-t-il. Alors que s’est progressivement installée « une culture de l’éducation sous contrainte à la PJJ », l’enjeu est, selon lui, de résister à la « carcéralisation de la pensée éducative ».

UNE APPROCHE EMPIRIQUE ORIGINALE

La recherche, commencée en 2010 en réponse à un appel à projets de la mission de recherche Droit et justice (cofinancé par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse), repose sur l’articulation inédite de trois méthodes d’enquête :

 une enquête intra-muros « ethnographique » qui associe les observations réalisées dans deux établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) et un quartier pour mineurs (2), plus une centaine d’entretiens avec tous les acteurs de la détention (professionnels et mineurs), de nombreuses discussions informelles et l’analyse documentaire d’un matériau constitué des dossiers socio-éducatifs et des cahiers électroniques de liaison ;

 deux analyses en groupe d’une durée de deux jours chacune avec une quinzaine de participants représentatifs des acteurs concernés (enseignants, professeurs techniques PJJ, éducateurs, médecins, surveillants, psychologues…). L’originalité de cette démarche est de mener un travail de réflexion en commun, avec l’aide des chercheurs, à partir de récits d’expérience ;

 une analyse des controverses relatives aux EPM à partir de l’analyse de 600 textes les concernant depuis 2002. La situation française a été mise en perspective par une comparaison avec le débat public sur l’emprisonnement des mineurs en Belgique et en Allemagne au cours des années 2000.

BERTRAND MAPPAS
« Conforter la place de la PJJ »

Educateur à l’établissement pénitentiaire pour mineurs de Lavaur (Tarn), coordinateur national des EPM pour la CGT-PJJ.

Quel est le quotidien de l’action éducative en établissement pour mineurs (EPM) ?

Considérer que les unités de vie reproduisent la vie en foyer serait une erreur car nous sommes contraints par le cadre pénitentiaire. Les temps collectifs permettent de construire une relation de confiance avec les jeunes, mais ils sont aussi des moments difficiles par l’effet « cocotte minute » qu’ils produisent. Face aux incidents et à la souffrance générée chez certains personnels, ils ont été réduits à l’EPM de Lavaur par rapport au projet initial, de même que le volume d’activités socio-éducatives, au départ irréaliste (60 heures) pour des adolescents peu habitués aux contraintes horaires. En unité de vie ordinaire, les jeunes ont désormais deux créneaux d’activité le matin et l’après-midi, plus des moments collectifs pendant les repas et en soirée. Mais la plus grosse partie de notre travail consiste à travailler avec le jeune et sa famille, à être en relation avec nos partenaires extérieurs, à préparer les projets de sortie, les permissions, les aménagements de peine, à rendre compte aux magistrats. Même si elle est moins importante en prison, la prise de risque éducatif peut exister à travers les projets que nous parvenons à monter à l’intérieur comme à l’extérieur de l’établissement. L’administration pénitentiaire peut donner un avis défavorable à une permission de sortir ou à un aménagement de peine par exemple, mais au final, c’est le juge qui tranche en tenant compte de notre avis éducatif.

Il n’y a pas encore de recul sur l’efficacité de cette prise en charge…

Quatre ans après l’ouverture de l’EPM, je peux dire que l’on arrive à construire des choses, justement parce que nous avons lutté pour ne pas nous faire phagocyter par l’administration pénitentiaire, en tenant compte du jeune dans sa globalité, pas seulement en fonction de son comportement en détention. Nous avons, par exemple, pris en charge un jeune transféré de l’île de Saint-Martin – où la jeunesse des quartiers est entrée dans un système de gangs à l’américaine –, déscolarisé et impliqué dans des affaires de grande violence pour son âge. Après des permissions de sortir pendant lesquelles il a participé à des sports extrêmes, à des activités de débroussaillage avec une association de retraités, il est en aménagement de peine dans une famille d’accueil et a entrepris une formation en maçonnerie. Il faut savoir que, contrairement aux idées reçues, aucun jeune n’est à l’aise en prison. La détention est forcément un moment de souffrance qui favorise un autre type de relation. Mon inquiétude n’est pas de savoir si notre travail est utile, mais porte plutôt sur les orientations prises par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) dans ses choix budgétaires.

Les dispositifs de prise en charge des mineurs délinquants sont efficaces si on se donne les moyens de les utiliser. Ceux des EPM – nous sommes ici 36 éducateurs pour 30 à 50 jeunes – ne doivent pas sacrifier les foyers éducatifs et le milieu ouvert, sans lequel il ne peut exister de parcours éducatif.

Qu’attendez-vous de la révision du guide méthodologique des EPM ?

Que l’administration tienne compte de la courte histoire de ces structures, pendant laquelle les éducateurs ont pu améliorer la qualité de leur intervention en affirmant des prises de position sur leur métier. Il ne faudrait pas qu’il y ait des reculs, notamment en remettant en cause le fait que seuls les surveillants détiennent les clés, ce qui est symboliquement important pour le partage de nos missions. Il faut en revanche tenir compte du rééquilibrage nécessaire en faveur des temps individuels et conforter la place de la PJJ dans le dispositif : aujourd’hui, le service éducatif est davantage consulté que décisionnaire sur le parcours des jeunes.

PROPOS RECUEILLIS PAR M. LB.

DES ÉVOLUTIONS EN COURS ?

 Six établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) sont aujourd’hui ouverts à Meyzieu (Rhône), Lavaur (Tarn), Porcheville (Yvelines), Quiévrechain (Nord), Marseille (Bouches-du-Rhône) et Orvault (Loire-Atlantique).

Au 1er janvier 2011, sur 688 mineurs incarcérés, 34 % l’étaient en EPM et 66 % en quartiers pour mineurs.

 Selon le document méthodologique datant de 2007, chaque unité de vie accueille dix mineurs au maximum (60 places au total), pris en charge par un « binôme éducateur-surveillant », dans l’objectif d’un apprentissage de la vie collective, des liens sociaux et d’un suivi individuel et pluridisciplinaire devant aboutir à un projet de sortie.

Durant sa détention, le mineur doit participer à 20 heures de formation, 20 heures d’activité socioculturelles et 20 heures d’activité sportive. Outre l’actualisation de ce guide, engagée après de nombreux incidents et violences dans les EPM, une réflexion sur le fonctionnement des services éducatifs de ces établissements devrait prochainement donner lieu à un cahier des charges.

 Le rapport d’évaluation des sénateurs François Pillet (UMP) et Jean-Claude Peyronnet (PS) (3), rendu public le 12 juillet dernier, dresse un bilan sévère du dispositif. Il préconise de réserver la détention en EPM aux mineurs incarcérés pour au moins trois mois et de garantir l’individualisation des peines par la mise en place des régimes différenciés, de créer des cellules de semi-liberté pour favoriser les aménagements de peine, de garantir la stabilité des équipes, de développer les synergies au sein du « binôme » éducateur-surveillant et d’assurer le travail pluridisciplinaire des quatre ministères concernés.

Notes

(1) Les prisons pour mineurs, controverses sociales, pratiques professionnelles, expériences de réclusion – Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, CNRS, Lille 1 – Sous la direction de Gilles Chantraine, avec Gaëtan Cliquennois, Abraham Franssen, Grégory Salle, Nicolas Sallée, David Scheer.

(2) Dont le nom n’est pas révélé par les auteurs.

(3) Voir ASH n° 2719-2720 du 22-07-11, p. 17.

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