Autour de Clair-Matin (1), la maison d’enfants à caractère social (MECS) perchée à 660 mètres d’altitude, les Pyrénées se découpent sur un ciel limpide. Samuel D. est enchanté de retrouver sa fille ici. « J’adore être à Borce, se réjouit-il. C’est la montagne, on peut faire des activités, se promener. C’est chaleureux. Mais je ne peux pas rattraper les années qui ont défilé sans voir Marion correctement… » Comme plusieurs parents qui n’ont qu’un droit de visite restreint ou dont les enfants sont placés par le juge des enfants ou l’aide sociale à l’enfance, monsieur D. bénéficie des services « famille » proposés par Clair-Matin depuis la restructuration de l’établissement en 2008. Régulièrement, le week-end, il est hébergé avec sa fille dans un appartement prévu à cet effet sur le site de l’établissement.
D’un simple internat accueillant 48 enfants de 4 à 16 ans, la MECS, créée en 1965 par l’association des PEP 64, s’est transformée en un ensemble de quatre services complémentaires. Elaborée avec le conseil général des Pyrénées-Atlantiques – qui assure en quasi-totalité le financement du dispositif –, cette restructuration a répondu aux besoins du département, aux évolutions sociétales et à la loi du 5 mars 2007 sur la protection de l’enfance, qui demande d’« accompagner la compétence parentale pour donner une finalité positive au placement ». Le tout en s’appuyant sur la tradition d’accueil des familles à Clair-Matin. « Nous avions déjà hébergé des familles le week-end, même si ce n’était pas dans le projet », se souvient Christine Perez, éducatrice de jeunes enfants à la MECS depuis trente-quatre ans. Les parents étaient aussi invités deux fois par an pour parler de la situation des enfants, à Noël et pour la fête de fin d’année. Mais les conditions étaient cependant très différentes. Lorsqu’elle a débuté, l’éducatrice se souvient que Clair-Matin accueillait 80 enfants et qu’elle avait la responsabilité de 12 d’entre eux. « On ne travaillait que sur le collectif, sans aucun lien avec les travailleurs sociaux extérieurs ni avec les familles. »
Désormais, au placement traditionnel d’enfants de 4 à 16 ans, limité à 32 places, s’est ajouté un placement aménagé pour quatre jeunes avec des allers-retours possibles entre le domicile familial et la MECS durant la semaine. Deux autres nouveautés : le pôle ressources parents-enfants (PRPE), accueil de jour de soutien à la parentalité implanté dans un appartement à Oloron-Sainte-Marie, à 40 kilomètres en aval ; et l’accueil parents-enfants avec hébergement (APEH), qui compte six places et dispose de trois appartements équipés sur le site de la MECS (pour un prix de 155 € par jour et par personne). Sur un total d’une trentaine de salariés, cinq professionnels interviennent dans ces deux derniers services, qui fonctionnent en commun : trois éducateurs, dont un à mi-temps sur l’internat, une psychologue et une psychomotricienne, toutes deux à 0,2 équivalent temps plein (soit au total trois ETP).
Monsieur D. bénéficie de ce dispositif deux fois par mois depuis six mois, que ce soit à Borce ou à Oloron. Après un divorce difficile quand sa fille avait 6 ans, des problèmes d’alcool, de dépression et de violence, ce père ne pouvait plus la recevoir chez lui, n’ayant le droit de la voir que quelques heures par mois dans un lieu de rencontre à Pau. « Ce n’était pas adapté, se souvient-il. Il y avait plein de parents qui se disputaient, des enfants qui pleuraient. On nous posait trop de questions, on mettait en doute ma volonté. Depuis que je viens à Clair-Matin, les éducateurs font le lien entre Marion, sa mère et moi. Le contact avec la maman s’est énormément amélioré – on ne se parlait pas, maintenant on se dit bonjour. Grâce aux éducateurs et aux rapports qu’ils font au juge, j’ai obtenu des vacances avec ma fille dans ma famille. On est partis en train chez mes parents. Cela ne s’était jamais passé jusqu’à présent ! »
La souplesse de ce système permet d’accompagner les familles à leur rythme, en fonction de leurs besoins. « On peut partir de visites de deux heures dans le cadre du PRPE, à Oloron, passer à quatre heures, à sept heures et, si la situation évolue positivement, avoir un accueil à Borce, à l’APEH, sur un week-end, puis des vacances, avant le retour en famille », explique Christophe Plantier, moniteur-éducateur, qui partage son temps entre l’internat et l’APEH-PRPE. Au pôle ressources, la présence d’un éducateur est presque permanente, alors qu’à l’accueil parents-enfants, elle se révèle plus légère, en fonction des capacités et des besoins des familles. « Pour chaque famille, nous avons un projet, une mission, des demandes émanant du juge et de l’éducateur AEMO [action éducative en milieu ouvert] ou du placement administratif de la MSD [maison de la solidarité du conseil général], des lignes directrices, des comptes rendus, des évaluations à faire », détaille l’éducateur. Un tableau de service récapitule toutes les informations utiles à l’équipe éducative, telles que la composition familiale, le cadre juridique, le type d’intervention, la fréquence des rencontres et la nature de la commande. Par exemple : « permettre aux enfants de rencontrer la maman dans un lieu neutre avec hébergement et apporter un regard nouveau sur les capacités de madame » ; « hébergement dans un lieu neutre, soutien mère-enfant » ; « aider monsieur à poser des limites à son adolescent », etc.
Pour chaque situation, le séjour est préparé en amont avec les travailleurs sociaux qui sollicitent l’hébergement afin de définir les objectifs, modulables en fonction des capacités de chacun. « On explique bien à l’équipe de Clair-Matin les problématiques des personnes pour qu’il n’y ait pas de surprise », indique Jean-Louis Laborde, assistant social exerçant des mesures d’AEMO judiciaires pour le centre d’investigation et d’action éducative (CIAE) de Pau. Un premier contact a lieu entre professionnels pour parler de la situation, puis un autre avec la famille, parents et enfants, avant un premier séjour de test. « Si ça plaît, on essaie de l’inscrire dans la durée », poursuit-il. Pour sa part, Evelyne Geyre, psychomotricienne de formation et chef du service éducatif de l’internat de Borce depuis 2009, souligne : « Nous évaluons le besoin de médiation et d’accompagnement dans les tâches matérielles, en essayant de tendre vers un allégement progressif, une autonomie plus forte et le développement d’une posture parentale. » Le parent peut ainsi demander au départ que les repas lui soient livrés, s’il ne se sent pas le courage ou la capacité de préparer à manger à son enfant. Il peut se faire livrer le repas par la cuisine de la MECS ou demander l’aide d’un éducateur ou du cuisinier pour préparer un repas simple ou un gâteau d’anniversaire, avant de prendre progressivement cette tâche en charge. « L’idéal est que l’on arrive à s’effacer progressivement pour aider chacun à retrouver une place satisfaisante pour vivre à nouveau ensemble », complète Evelyne Geyre. Le prescripteur, juge des enfants ou inspecteur de l’ASE, réétudie régulièrement la mesure en fonction de l’évolution de la situation, constatée par l’équipe et consignée dans des rapports réguliers. « Le séjour à Borce peut avoir un effet remotivant pour des parents qui ont un peu décroché du côté de la parentalité, confirme Jean-Louis Laborde. Ça les remet dans une nouvelle dynamique parce qu’ils se sentent sécurisés et pas jugés. Borce est la petite étincelle qui nous permet de les repêcher pour travailler avec eux ensuite. Dans la plupart des cas, cela se termine par des droits de visites autonomes. »
Actuellement, 80 % des enfants qui bénéficient des services de l’APEH-PRPE ne vivent pas à l’internat Clair-Matin mais en foyer, en famille d’accueil ou chez leur autre parent. Cependant, les placements à la MECS évoluent petit à petit pour tenir compte de cette possibilité de recevoir les familles. « Je fais appel à Clair-Matin parce qu’elle accueille des enfants assez jeunes et conserve l’unité des fratries, mais aussi en raison du dispositif pour maintenir le lien avec les familles quand l’enfant est placé, explique Dominique Brodard, juge des enfants au tribunal de Pau. On s’en sert pour faire des observations de relations parents-enfants avant le retour à la maison, pour des situations très critiques de divorce, pour exercer un droit de visite en cas d’éloignement géographique ou de danger plus prégnant. On évite bien des risques en cas de problèmes d’alcool ou de stupéfiants. »
Margaux et ses trois frères et sœurs ont ainsi été placés à la MECS au début 2010, après le décès de leur père et l’effondrement psychologique de leur mère. Pendant un an et demi, celle-ci est venue en APEH, d’abord un week-end par mois, puis deux et enfin trois, le quatrième étant réservé à l’une des grand-mères. « Le fait de continuer à mettre cette maman en posture maternelle l’a aidée à se reconstruire, analyse Evelyne Geyre, la chef de service. Si tout continue à bien se passer, les enfants pourront partir à la fin de l’année scolaire. Mais on revient de loin ! L’état de santé de la maman était tellement précaire qu’on ne pouvait pas présager une telle évolution. Nous mettons en place des outils, mais ensuite il faut que les personnes s’en saisissent… » Pour préparer cette sortie, l’équipe a d’ailleurs commencé à inscrire les enfants à des activités sportives près du domicile de la mère, afin de recréer un réseau social dans lequel ils pourront s’inscrire plus facilement le moment venu.
Le vendredi après-midi, lors de la réunion hebdomadaire du service APEH-PRPE qui se tient dans l’appartement d’Oloron, le directeur Patrick Clavière, les trois éducateurs et la psychologue passent en revue les situations des familles qui arrivent le lendemain pour passer le week-end dans l’un des trois appartements. Les difficultés et les progrès sont évoqués, ainsi que les différentes sollicitations des partenaires, auxquelles il n’est pas toujours possible de répondre. « Parfois, des demandes sont refusées faute de place, justifie le directeur. A Noël, il faut louer un gîte car nous n’avons pas assez d’appartements pour accueillir tout le monde. » Selon les difficultés de chaque parent, l’équipe fait son possible pour l’aider à reconstruire une estime de soi suffisante pour élever ses enfants. Dyslexique, Monsieur D. manquait cruellement de cette confiance en lui pour accompagner sa fille dans sa scolarité. Il y a quelques mois, l’équipe éducative le soutenait dans cette tâche. « J’ai eu des difficultés scolaires et je ne voulais pas que cela se répercute sur Marion, avoue-t-il. Cette année, pour l’entrée en sixième de Marion, je lui ai acheté les fournitures et je fais les devoirs avec elle. J’y tiens beaucoup. Je me sens plus utile. »
Le lendemain, à Borce, tous les parents rencontrés expriment leur gratitude envers l’équipe éducative de Clair-Matin. « Je leur fais confiance à 100 % ! », lance monsieur D. « Les éducateurs sont super sympas. Ils me cherchent à la gare, me livrent le repas, témoigne Fatima B., qui vient de Bordeaux pour voir son fils de 7 ans, placé après des violences exercées sur les enfants par son compagnon. Ils veulent nous aider, pas nous enfoncer. » « Je leur tire mon chapeau car ils m’ont bien aidé, poursuit Yvon S., qui passe le week-end avec Emeline, 5 ans, placée en famille d’accueil depuis un an et demi. Avec eux, ça a beaucoup évolué. La confiance s’est installée. Il y a des partages de paroles. Quand ma fille ne veut pas manger, je vais chercher l’éducatrice et elle prend les choses en main… Ils ressentent les douleurs des parents et des enfants. » Tout, il est vrai, est mis en œuvre pour maintenir, conforter ou recréer le lien avec la famille. « Quelles que soient les difficultés, il y a toujours des compétences, souligne Evelyne Geyre. Personne n’est jamais un mauvais parent à 100 %. C’est là-dessus qu’on doit s’appuyer. »
Le dispositif fait en tout cas école. « Clair-Matin suit l’évolution générale de l’ensemble des MECS, qui ne pouvaient plus continuer à fonctionner comme autrefois, fermées sur elles-mêmes, sans tenir compte de l’environnement affectif des enfants [2], analyse Catherine Sellenet, professeure en sciences de l’éducation à l’université de Nantes, venue plusieurs fois à Borce pour parler de la manière d’intégrer les parents. Mais elle est allée plus loin que d’autres en permettant aux parents de venir rencontrer leurs enfants dans des conditions plus proches de la vie quotidienne. » Cette spécialiste de la famille et de l’intervention sociale, ancienne psychologue à l’ASE de Loire-Atlantique, souligne cependant que « l’ouverture des MECS aux parents est une pratique nouvelle pas évidente à gérer, qui implique pour les professionnels de développer un nouveau regard car on ne s’occupe pas d’une dyade parents-enfants comme d’enfants seuls. » Pour cette équipe plus exposée à la violence, aux récriminations et aux refus de certains parents, des formations fréquentes et une analyse de pratique sont nécessaires. Le changement a besoin d’être accompagné.
Patrick Clavière, qui dirige Clair-Matin depuis 2002, aime raconter comment son établissement est devenu un modèle qu’on vient visiter et à propos duquel il est invité à parler dans des colloques, alors qu’il était menacé de fermeture à partir des années 1990. « L’établissement est aujourd’hui en équilibre financier, avec un budget de 1,7 million d’euros, mais si nous n’avions pas décidé de faire une restructuration intelligente, il aurait pu fermer à cause de son éloignement », souligne-t-il. Une catastrophe pour les communes environnantes car, outre ses 32 salariés, la MECS permet le maintien des établissements scolaires de la vallée d’Aspe où les enfants en internat sont répartis. L’enjeu est également départemental. « Nous sommes les seuls dans les Pyrénées-Atlantiques à proposer ce soutien à la parentalité à partir d’un hébergement, poursuit-il. Les objectifs futurs sont de développer ce type de service. » Satisfait des résultats, le conseil général des Pyrénées-Atlantiques a décidé de passer de l’expérimentation à la pérennisation. « Le dispositif est apprécié par les prescripteurs, souligne Jean-Philippe Jousselin, responsable du pôle Schéma et établissements : protection de l’enfance du département. Même s’il est assez coûteux, il est qualitatif. Dans les années à venir, nous aurons à développer ce type de rencontre dans un contexte cadré, avec une qualité de prestation, en restant dans la protection de l’enfance et avec un retour aux prescripteurs que sont les inspecteurs de l’ASE et les juges des enfants. Cela se fera soit en étendant des lieux existants, soit en créant de nouveaux lieux, et en couvrant le territoire de manière équilibrée. » Le schéma départemental « enfance-famille » 2012-2016, qui sera voté en mars 2012, devrait prendre en compte ces nouveaux objectifs.
Au-delà du département, ce type de service peut-il se développer dans d’autres MECS de France ? « Il faut que ce soit porté par l’équipe et par un projet éducatif solide, met en garde Catherine Sellenet, sinon ce n’est pas la peine. Tous les établissements n’ont pas vocation à se saisir de cet outil, mais chacun doit inventer quelque chose qui intègre l’idée de travailler avec les parents, d’une manière ou d’une autre. »
Pour compléter l’action du service APEH-PRPE, un groupe de parole et de soutien à la parentalité a été mis en place l’année dernière pour les parents fréquentant le pôle ressources et habitant dans le secteur d’Oloron. « Son but est de sortir le parent de son isolement, de lui permettre de partager avec d’autres, pour qu’ils puissent se soutenir entre eux », explique Maïté Gaulin, psychologue à Clair-Matin depuis 20 ans. De facultative, la participation à ce groupe de parole va devenir obligatoire, en lien avec l’évolution des enfants et de leur prise en charge. « On voudrait la contractualiser pour avoir une assiduité plus importante, permettant une vraie progression », précise la psychologue. Le groupe va aussi s’ouvrir aux parents des enfants placés à l’internat de Borce. Pour Maïté Gaulin, il ne s’agit pas de médiation mais bien de soutien à la parentalité. « Nous ne sommes pas uniquement dans l’observation. Nous pouvons reprendre ce qui se passe, affirme-t-elle. Par exemple, si un parent prépare un repas à son enfant alors qu’il ne le faisait pas avant, nous le valorisons car ils manquent de confiance en eux et en leur capacité à s’occuper de leurs enfants. »
(1) MECS Clair-Matin : 64490 Borce – Tél. 05 59 34 88 61 –