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« Nous pouvons améliorer notre quotidien et celui des usagers »

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C’est un peu d’optimisme que Karine Heib et Aude Leloup, assistantes sociales, souhaitent, en se fondant sur leur propre expérience, transmettre aux travailleurs sociaux. Malgré la baisse des moyens, ces derniers disposent dans leur entourage de ressources mobilisables, insistent-elles.

« Nous sommes toutes les deux assistantes sociale de formation. Après une première expérience professionnelle en polyvalence de secteur, nous avons postulé il y a quelques années pour travailler dans une mission spécialisée “insertion”, à l’occasion d’une réorganisation de service. Cette expérience extrêmement positive a totalement changé notre vision du travail social, de l’accompagnement et de la prévention et, de fait, notre pratique (1). C’est pourquoi nous souhaitons la faire partager ici.

Le département pour lequel nous travaillons a choisi de sous-traiter l’accompagnement dit “socio-professionnel” des nouveaux entrants dans le dispositif RSA. Les demandeurs reçoivent une information collective au moment de l’instruction, puis chaque nouvel entrant bénéficie d’une évaluation par un prestataire extérieur, avec une orientation en fonction des difficultés et des potentiels des usagers : accompagnement social, réalisé par le service social départemental ; accompagnement socio-professionnel, confié, donc, à un prestataire extérieur privé ; accompagnement professionnel, effectué par Pôle emploi. Notre mission est donc l’accompagnement social des nouveaux bénéficiaires du RSA. Mais nous continuons par ailleurs l’accompagnement global des anciens allocataires du RMI.

Nous avons entre 120 et 150 bénéficiaires du RSA par référent en file active. Au début, la plupart des agents se sont mobilisés contre cette réorganisation, convaincus à juste titre qu’ils ne pourraient pas faire un travail de qualité avec un tel nombre de personnes suivies. Mais, devant la fermeté de notre institution, nous avons plutôt recherché des solutions pour y faire face. Notre équipe a fait le choix de garder le suivi socio-professionnel de tous les anciens bénéficiaires du RMI, intéressée par le sujet et persuadée de sa légitimité à accompagner les personnes y compris vers la formation et l’emploi. Les travailleurs sociaux ont toute leur place dans cet accompagnement, il est même largement temps de réagir et de se former avec les moyens à notre disposition (partenaires, collègues) pour faire évoluer notre profession et éviter d’être à terme cantonnés dans les missions de protection de l’enfance ou de saucissonner un peu plus les usagers. Le travail social est de plus en plus morcelé en fonction des problématiques : logement, insertion, prévention, santé… Chaque professionnel a une vision très partielle de la situation, un morceau du puzzle, et ne s’approche finalement pas de la réalité de vie de l’usager.

Nous estimons exercer notre mandat de prévention autant qu’en polyvalence, mais avec une porte d’entrée différente. De ce fait, c’est un travail qui nous paraît plus léger et naturel tant pour le travailleur social que pour la famille : notre mission étant aussi d’aider les personnes à sortir du dispositif RSA, nous avons dû regarder l’usager en tant que personne dans sa globalité et rechercher tous ses potentiels pour construire ensemble un projet, que nous ne pouvons pas fonder sur des manques mais bien sur les ressources des gens. Sur les contrats d’insertion sont mentionnés les points forts de la personne. Cette démarche plutôt valorisante pour l’usager permet de créer un véritable lien, d’instaurer une relation d’égal à égal. Au cours de ces années nous avons fait de réelles belles rencontres avec les usagers. La relation instaurée est plus authentique, la personne parle réellement de ses difficultés, y compris de parent, avec moins de retenue et parmi d’autres sujets.

Une approche globale de la personne

Sommes-nous cohérents lorsque, dans le cadre de nos missions de protection de l’enfance, nous cherchons à convaincre les familles et les enfants de l’importance d’être scolarisé alors que les parents ne se lèvent pas le matin ? Ou quand nous donnons des conseils éducatifs à une mère qui, par peur, en raison de cette même mission de protection de l’enfance, ne peut pas s’autoriser à nous dire qu’elle ne supporte plus ses enfants et rêve de s’épanouir à l’extérieur ? Dans certaines situations, la meilleure prévention n’est-elle pas que le parent soit à l’extérieur et l’enfant pris en charge par des structures adaptées (type crèche…) ? Dans notre organisation actuelle, nous traitons avec la personne tous les domaines, nous pouvons voir avec elle les difficultés éducatives, le CV, les modes de garde, ou encore le budget, et passons dans une même journée d’entretiens individuels à des actions collectives.

En matière d’accompagnement professionnel, nous avons sollicité des partenaires internes et externes pour nous former sur notre temps de travail avec l’accord de notre supérieur hiérarchique. Nous avons participé à des réunions de travail une demi-journée par mois organisée par une salariée d’une communauté de communes de notre secteur et à l’initiative d’un chargé de mission du “développement partenariat entreprise” de notre collectivité. Nous avons commencé par échanger sur nos représentations réciproques du monde du travail, des bénéficiaires du RSA… Nous avons ensuite visité des entreprises des différents secteurs d’activité. Nous avons ainsi pu comprendre les attentes des employeurs et nous familiariser avec le vocabulaire des entreprises. Nous avons ensuite travaillé sur les techniques de recherche d’emploi (rédaction d’un CV, lettre de motivation, simulation d’entretien d’embauche). Les psychologues du service nous ont proposé des journées à thème sur les problématiques rencontrées par les usagers (souffrances psychiques, exclusion sociale).

Au vu du nombre important d’accompagnements, nous avons dû créer des outils simples (tableaux Excel avec les coordonnées, les projets, les objectifs de travail…) pour être plus réactifs et plus au clair avec le parcours professionnel de la personne. Ainsi nous pouvons mettre en lien une offre d’emploi avec un demandeur plus rapidement et améliorer notre crédibilité aux yeux des partenaires. Nous avons développé les partenariats en allant à la rencontre des associations intermédiaires et des agences d’intérim… Nous assistons à la présentation du plan de formation annuelle du département et sommes référents d’une formation. Nous avons également modifié les moyens de communication avec les partenaires et les usagers en utilisant beaucoup plus les e-mails (chaque travailleur social a un ordinateur, ce qui n’est pas le cas dans tous les départements) qui assouplissent les emplois du temps tout en gardant un contact très régulier et améliorent notre réactivité. Ce sont des collègues plus à l’aise avec l’informatique qui nous ont aidées et formées à l’utilisation de cet outil.

L’obligation “contraignante” de contractualiser permet de prendre contact avec des personnes en rupture de tout lien social, qui ne voient plus personne, n’attendent plus rien, n’ont plus de projet, d’envie ou de rêve, prises dans le processus ravageur de l’inactivité. Nous sommes finalement la seule profession à le faire, et pour certains la démarche est salutaire. Nos interventions régulières permettent, avec du temps, de faire émerger un embryon de motivation chez des personnes en exclusion sociale, de redynamiser celles qui sont complètement anéanties, d’en maintenir certaines dans leur activité, de travailler l’estime et la confiance en soi. Cet accompagnement est d’autant plus opérant qu’il est démarré dès l’entrée du bénéficiaire dans le dispositif : il nous paraît de ce fait important de se donner les moyens pour que l’allocataire ait un référent dès le premier mois. L’accompagnement des personnes nécessite de la part du travailleur social un savant mélange d’empathie, de compréhension, de fermeté et de cadre ! Car l’absence de suivi global des allocataires du RMI depuis quelques années a parfois maintenu des personnes dans l’assistance, elles se sont adaptées à la précarité, s’asseyant sur leur rêve ou leur projet, ne pensant plus pouvoir avoir une place valorisée dans notre société.

L’intérêt du travail collectif

Aussi, nous avons utilisé très largement le travail collectif en lien avec d’autres collègues, des stagiaires et des partenaires. Nous avons par exemple développé des stages autour du développement de l’estime de soi. Ils ont eu des effets rapides sur les situations individuelles des personnes et les dynamiques familiales. Nous avons organisé une semaine d’exposition d’artistes amateurs bénéficiaires du RSA dans les locaux du service social, avec des ateliers toute la semaine. Cet événement a permis de créer du lien entre les artistes isolés et de faire émerger un groupe de mères qui se réunissent une fois par mois pour traiter de différents sujets (y compris de la parentalité) ou partager des moments de convivialité. Nous avons également essayé de mettre en place une épicerie sociale sur un secteur rural. Nous avons co-construit ce projet en lien avec des personnes accompagnées par le service social dès son émergence. Malgré la revalorisation de ces personnes, ce projet a été un échec, les élus de cette commune ayant une image dévalorisée et déformée des usagers du service social. Le département a également organisé des stages intensifs avec une pédagogie adaptée pour le passage du permis de conduire pour des allocataires du RSA (90 % de réussite à l’examen du permis).

Ces projets demandent effectivement du temps et de l’investissement personnel mais c’est, au final, du temps de gagné.

Si les choix politiques peuvent parfois nous mettre en colère ou nous décourager, nous ne pouvons que faire ce constat : il y a de moins en moins de moyens pour le travail social. Pour autant, nous pouvons améliorer notre quotidien et celui des usagers ainsi que notre pratique grâce aux moyens que nous avons autour de nous. Quoi de plus valorisant que de se servir des compétences de chacun, qu’un échange de savoirs sur notre lieu de travail ?

Notre institution a vu l’engagement des agents, a reconnu notre volonté et nos compétences, et offre aux travailleurs sociaux des missions “insertion” du département une initiation à l’insertion professionnelle en vue d’internaliser en 2012 l’accompagnement socio-professionnel. Une belle victoire. »

Contacts : karine.heib@wanadoo.fr et audouche@neuf.fr

Notes

(1) A noter qu’Aude Leloup a récemment changé de département, et donc d’environnement professionnel.

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