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« Etre banlieusard ne signifie rien en soi »

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La question de l’intégration des banlieues en difficulté au sein de la République devrait être au cœur de la campagne présidentielle en 2012. C’est du moins la conviction de l’institut Montaigne, qui a confié au politologue Gilles Kepel le pilotage d’une vaste enquête dans les communes emblématiques de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil. Les explications de Sarah Zouheir, spécialiste des politiques urbaines, qui a participé à cette recherche.

Quel était l’objectif de cette vaste enquête ?

L’institut Montaigne a pensé que, dans la perspective de la présidentielle de 2012, il fallait éviter toute instrumentalisation de la question des banlieues. Pour cela, il nous a proposé d’étudier en profondeur un territoire, celui des communes de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil, en Seine-Saint-Denis. Le but était de complexifier la question de la banlieue et de montrer qu’être banlieusard ne signifie rien en soi. La valeur ajoutée de cette enquête est d’avoir donné la parole à 100 personnes sur toute une série de sujets tels que l’éducation, l’emploi, la sécurité, la politique, la religion… (1)

Pourquoi le choix de ces communes ?

C’est là que les émeutes ont démarré en 2005. Il était donc intéressant de revenir sur ce territoire six ans après. Par ailleurs, ces deux communes sont emblématiques car elles concentrent des phénomènes qui existent ailleurs, mais de façon plus diluée. Elles font en outre l’objet du plus important plan de rénovation mené par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine : 600 millions d’euros, sur un budget total d’environ 40 milliards. En effet, Clichy-sous-Bois comprend trois quarts de cités, avec une forte composante de copropriétés dégradées, et un quart de pavillons. A Montfermeil, 2 % du territoire sont en habitat collectif, essentiellement la cité des Bosquets, qui est aussi une copropriété dégradée, le reste étant composé d’un habitat pavillonnaire divers, parfois en mauvais état.

Quelle est la situation scolaire à Clichy et à Montfermeil ?

Le taux de réussite scolaire reste très faible, malgré les efforts entrepris. Certains enseignants font un travail remarquable, mais cela reste de l’ordre de l’engagement personnel. De même, le lycée Alfred-Nobel offre de nombreuses possibilités. Hélas, il existe une véritable scission entre sections générales et professionnelles. La question de l’orientation des jeunes est clairement centrale, car beaucoup d’entre eux ont le sentiment d’avoir été orientés par défaut vers des filières peu valorisantes. Bien sûr, il existe aussi des parcours d’ascension scolaire tout à fait remarquables. C’est d’ailleurs l’un de nos partis pris de montrer que la banlieue, ce n’est pas que l’échec. Mais ces réussites, statistiquement, restent marginales. L’éducation apparaît comme un enjeu majeur sur lequel il est important d’interpeller les pouvoirs publics.

Même ceux qui réussissent à faire des études supérieures ont du mal à trouver un emploi. Comment l’expliquez-vous ?

Les personnes que nous avons rencontrées ont, pour certaines, joué le jeu de l’institution scolaire. Elles sont allées à l’université et ont décroché un diplôme. Mais, faute d’avoir accès aux réseaux ouvrant les portes du marché de l’emploi, elles sont souvent restées en panne. Une autre explication réside dans les discriminations à l’embauche liées à l’origine des personnes où à leur lieu d’habitation. Habiter à Clichy-sous-Bois peut être stigmatisant. La conséquence est que ces personnes occupent bien souvent un emploi en deçà de leurs compétences. Cela crée un sentiment de déclassement qui peut parfois conduire à un repli sur le religieux. Les valeurs de l’islam, mais aussi celles de la chrétienté ou du judaïsme, deviennent parfois une forme de refuge par rapport à une société dont on a le sentiment qu’elle a trahi ses promesses. Prendre cela en compte permet de placer le curseur des politiques publiques au bon endroit. Non sur la question religieuse ou sur l’identité nationale, mais bien sur les politiques éducatives, l’accès à l’emploi et la lutte contre les discriminations.

La question des transports apparaît également comme un véritable frein…

De fait, ce territoire est très enclavé. Pour arriver de Paris à Clichy-sous-Bois en transports en commun, il faut autant de temps que pour aller à Lille, avec un temps de trajet très incertain. Cela a des conséquences sur la vie des gens. Un employeur hésitera à vous embaucher car vous risquez d’arriver régulièrement en retard. Cela participe aussi au sentiment d’enclavement des habitants, dont 60 % ne sont pas motorisés. D’ailleurs, l’autoroute qui devait desservir cette zone n’a jamais été construite. La solution serait d’améliorer les transports publics, mais le projet le plus avancé, le débranchement du Tram-train T4 vers Clichy-Montfermeil, se heurte à l’opposition des communes voisines qui ont peur de voir arriver en masse des populations pauvres.

Comment les habitants vivent-ils l’épineuse question de la sécurité ?

Pour la plupart, ils se sentent à l’aise tant qu’ils restent dans leur cadre familier. Les réseaux familiaux et amicaux et les cercles de socialisation sont tous concentrés au même endroit. Cela agit comme une protection, mais dès qu’ils sortent de ce cadre, ils ressentent une certaine insécurité. Il faut souligner que Clichy-sous-Bois n’est pas gangrené par le trafic de drogues car ce lieu est peu rentable pour les dealers. Les clients extérieurs y accèdent difficilement et, sur place, les gens n’ont pas d’argent. Enfin, je peux témoigner que, au cours de notre année d’enquête, nous n’avons rencontré aucun problème d’insécurité.

Les habitants ont-ils le sentiment d’être abandonnés par la République ?

Certains peuvent exprimer une amertume par rapport aux institutions républicaines, mais on observe une grande différence entre le discours et l’engagement dans la vie locale. Ces territoires ne sont pas coupés du reste de la société. C’est plutôt l’inverse. Il existe une grande volonté de participer aux institutions, d’être des acteurs de la vie publique. Il y a une véritable énergie dans ces villes qui font partie de la France de demain. En outre, la République a beaucoup fait : 600 millions d’euros investis sur deux communes, c’est exceptionnel. On le mesure dans l’évolution très rapide du paysage urbain. La ville a complètement changé. Des tours ont été démolies, d’autres réhabilitées, un nouveau commissariat de police vient d’ouvrir, etc. Mais il faut maintenant aller plus loin que la rénovation du bâti, car les habitants de ces villes rencontrent aussi des problèmes d’éducation, d’emploi, de transports.

Les services sociaux, au sens large du terme, semblent singulièrement absents de ce paysage…

C’est sans doute parce que nous avions fait le choix de n’interroger que des habitants et pas des professionnels. Néanmoins, pour les besoins de l’enquête, nous avons été en contact avec divers organismes sociaux, en particulier les MOUS [maîtrises d’œuvre urbaine et sociale]. Toutes les initiatives de suivi des populations jouent un rôle essentiel. Malheureusement, leurs budgets sont de plus en plus réduits. Il faut donc rééquilibrer la balance car avoir un nouveau logement, c’est bien, mais l’argent devrait aller aussi vers les régies de quartier, les MOUS, les associations, les services sociaux. Le problème est qu’accompagner des personnes est un travail long et dont les résultats ne sont pas faciles à quantifier. Or les politiques aiment les chiffres nets et les résultats positifs.

Les deux tiers des personnes interrogées sont de culture ou de confession musulmane. Cette forte présence de l’islam est-elle compatible avec le respect des valeurs républicaines ?

C’est évident. Même ceux qui tiennent des discours religieux virulents, voire extrémistes, cherchent à s’inscrire dans le cadre républicain. A Clichy et à Montfermeil, on ne rencontre pas de tendance au communautarisme. Au contraire, les habitants veulent participer à toutes les activités qui font la France d’aujourd’hui. D’une manière générale, l’attachement à la France est très fort et, pour la grande majorité, ne se discute pas. Les gens souhaitent être simplement respectés dans leur religion, avoir la possibilité de vivre leur foi normalement. Les plus religieux parviennent d’ailleurs toujours à négocier une position compatible avec la vie sociale. Certes, nous avons constaté une baisse du nombre des mariages mixtes sur les deux communes. Mais plus qu’un signe de repli sur soi, il nous semble que c’est surtout la conséquence d’une recherche de protection au sein de la communauté face à des situations difficiles. Il faut relier cette donnée à l’ensemble des questions sociales, professionnelles et éducatives. Avant de mettre en avant les questions religieuses ou culturelles, il faut prendre en compte la détresse sociale de ces populations.

REPÈRES

Sarah Zouheir est chargée d’études à l’institut Montaigne. Diplômée en politiques urbaines à Sciences-Po Paris et à la London School of Economics, elle a collaboré avec Leyla Arslan, auprès du politologue Gilles Kepel, à la réalisation de l’enquête « Banlieue de la République » (institut Montaigne, 2011).

Notes

(1) A la suite de la parution de cette enquête, des débats sont prévus à Clichy-sous-Bois, à Montfermeil et à Paris. Puis les chercheurs publieront, en janvier-février, une série de propositions dans la perspective de l’élection présidentielle. Le site www.banlieue-de-la-republique.fr a aussi été conçu comme un lieu de contributions et de débats.

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