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La supervision en travail social, « pour penser et agir différemment »

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Les bénéfices de la supervision en travail social, tant pour les institutions que pour les professionnels, sont certains, même si l’exercice est délicat, témoigne Fabrice Pinon, psychologue, psychanalyste. Il intervient en tant que superviseur dans le cadre de l’association Intervalle-CAP, dans le XIIIe arrondissement de Paris.

L’association Intervalle-CAP propose entre autres (1) une activité de supervision, menée par des psychologues psychanalystes auprès de professionnels des structures du secteur social. Ces derniers, assistants sociaux, éducateurs, veilleurs de nuits…, sont confrontés à des difficultés importantes dans le cadre de leurs pratiques, qui requièrent un travail de distanciation, de mise en perspective, d’élaboration que la supervision est susceptible de leur apporter.

Les institutions sociales concernées par ces supervisions ont pour mission d’accueillir en hébergement (centre d’hébergement et de réinsertion sociale, centre d’hébergement d’urgence…) les personnes sans domicile orientées vers elles par des centres sociaux ou le 115, et dont les degrés de désocialisation – du travailleur précaire au sans domicile fixe en très grande difficulté sociale – sont très variés.

Ces institutions souhaitent proposer un espace de réflexion et de parole aux travailleurs du social. Leurs intentions sont souvent louables car l’intérêt pour les acteurs de la précarité d’exprimer leurs difficultés n’est plus à démontrer. Et les difficultés dans ce domaine sont nombreuses, et parfois presque inextricables tant les parcours des personnes rencontrées dans le quotidien de travail sont complexes. La question centrale pour le professionnel est souvent, en surface, la possibilité d’améliorer la prise en charge du démuni. Mais au-delà, il apparaît dans les échanges que la dimension institutionnelle traverse également, avec plus ou moins d’acuité, leurs préoccupations. Il est question d’un bénéfice double attendu par l’institution : permettre l’expression des difficultés inhérentes du travail au quotidien et améliorer les pratiques professionnelles.

Il ne s’agit pas d’une cure analytique à mener au profit de l’institution. Cependant, requérir les soins d’un professionnel de la prise en charge de la souffrance n’est pas anodin. Car de souffrance, il en est également question au niveau des salariés aux prises avec le réel parfois intolérable de la précarité.

Pour autant, la demande des participants est variée en fonction des structures et des statuts des professionnels. L’histoire de l’institution et ses différentes évolutions vont façonner, cristalliser des pratiques singulières, qui feront l’objet, peu ou prou, d’une intériorisation de la part des professionnels. Ainsi, dans la structure, les pratiques repérées par tous forment une culture d’accueil, d’accompagnement et d’hébergement. Mais elles se trouvent toujours d’une certaine manière interrogées par les intervenants, souvent différemment selon la place qu’ils occupent. Ainsi, une assistante sociale n’aura pas la même réflexion qu’un agent d’accueil ou qu’un chef cuisinier. Elle sera concernée par la question de l’amélioration des conditions sociales de la personne ainsi que de son projet. L’agent d’accueil sera plus soucieux de sa difficulté à accueillir dignement les personnes démunies avec leur souffrance et leur mécontentement, en souhaitant garantir un certain contrôle de la violence, de la sécurité. Le chef cuisinier, quant à lui, évoquera plus sûrement ses difficultés avec les bénévoles ou les demandes des hébergés pour une ration alimentaire supplémentaire.

Tension inextinguible

Néanmoins, c’est de leurs approches et fonctions respectives et conjointes que naît le traitement d’un commun institutionnel. Les supervisions permettent a minima de verbaliser ces différentes approches, de dire sa préoccupation du quotidien professionnel et bien souvent des conflits.

Car, après tout, la question du “psy”, de l’analyste, se situe bien là, dans cette tension inextinguible à l’œuvre dans le travail en institution. La vie institutionnelle est un processus dynamique complexe qui vogue de crises en moments d’apaisement. Le conflit est tout le temps à l’affût, trouvant mille et un espaces de déploiement : les conditions de travail, la violence des usagers, un déménagement pour travaux du foyer, un projet mal explicité et/ou mal accueilli, etc. En bref, les conditions sont réunies pour la répétition générale du grand malentendu que charrie l’exercice de la parole. Le psy est donc convié à prendre sa part aux grognements et soubresauts de la “chose sociale”.

“Puisque vous êtes psy vous allez pouvoir nous dire si ce Monsieur est conscient de ce qu’il fait ?” Cette question, posée par un animateur lors d’un groupe de supervision, n’est pas la marque d’une attaque à l’endroit de l’analyste, même si la formulation semble contenir à la fois une demande de savoir et une défiance. Elle traduit une question fondamentale pour ces travailleurs, à savoir la dimension du sens, de la compréhension de ce qui se trouve exposé à leur regard, leur écoute, en leur présence. Il s’agit en l’occurrence d’un jeune hébergé de 25 ans qui présentait tantôt une allure plutôt excentrique mais propre, tantôt des phases de repli avec encoprésie dans sa chambre. L’approche des travailleurs sociaux butait sur une lecture de type éducative, appuyée en cela par un problème d’observance de traitement du diabète pour ce jeune. L’éducation à la santé et à l’hygiène semblait de mise pour une partie de l’équipe. L’autre partie soutenait des difficultés plus importantes de type psychologique mais restait assez hésitante. La question de soutenir une dynamique de soin avec la psychiatrie de secteur s’est révélée décisive, mais cela a pu se faire en abordant quelques éléments de lecture psychique concernant la problématique de cet homme. Pouvoir dire en clair qu’il y avait là une question de “maladie mentale”.

Le travail de supervision mené sur différents aspects de leur pratique a permis aux acteurs sociaux une réflexion plus adéquate pour trouver une orientation à cette prise en charge. Tout au long des différentes séances, de nombreux registres ont été traités. Il été notamment question régulièrement des relations entre institutions sociales et psychiatriques. Parvenir à mettre en argument la présentation d’une situation, ainsi qu’aborder les enjeux et contraintes de l’autre institution représentent des avancées pour les professionnels. Ces discussions ont également permis d’“exhumer” une ancienne convention entre le CHRS et la psychiatrie, oubliée de tous, trace d’un travail commun passé. De même, les questions de santé sur un plan beaucoup plus psy ont été perçues de façon moins menaçante. Enfin, la possibilité de dire les conflits autour de cette situation au sein même du centre d’hébergement a favorisé le dialogue et l’écoute entre les professionnels.

A présent, cet homme semble avoir trouvé une inscription du côté des professionnels du soin, qui ont reconnu l’évaluation des professionnels du social. Il est pris en charge pour ses problèmes de santé somatique et psychique, sans qu’aucun partenaire ne se soit désengagé. Une solution singulière émerge pour lui, l’enjeu même de ce qui peut s’élaborer au travers des supervisions.

Dans tous les cas, il s’agit donc de participer à une certaine réflexion, ou introspection du groupe sur sa pratique. Mais également sur la façon dont l’acteur social articule sa fonction et son institution, son investissement personnel et professionnel.

Cette réflexion menée en groupe n’en est pas moins très délicate à réaliser car, tant du côté du travail avec le public précaire que du sujet en lien avec l’institution, il peut y avoir de la souffrance, voire du symptomatique. Ce qui ne doit jamais être perdu de vue non plus, c’est qu’il est question d’une pratique dans un champ très particulier : le social, l’insertion, la précarité. Tous ces vocables sont diversement employés par les professionnels, qui ont des formations parfois assez éloignées les unes des autres. Sans prôner une homogénéisation des formations, il est important de prendre en compte les nombreux écueils rencontrés, produits de discours parfois discordants qui ne manquent pas de nourrir les conflits.

Besoin de concret

Les professionnels du social ont un désir de savoir différent par rapport aux équipes médicales ou psy plus fréquemment impliquées dans les supervisions. Ils ont surtout besoin d’éléments tangibles, de “billes”, d’“outils”, de concret pour traiter l’horreur de la misère : “Parler c’est bien et puis après…”, dit un participant. Il y a comme une difficulté à penser son travail tant les exigences du faire, dans le secours à l’Autre, sont impérieuses.

En première ligne du réel de la misère contemporaine, ces professionnels se mesurent à un constat très largement partagé dans nos sociétés, à savoir l’incapacité à proposer une réponse aux problèmes que pose la misère sociale. D’ailleurs, celle-ci se trouve déclinée de différentes manières : il y a ainsi les difficultés de logement, de travail, d’accès aux soins…, souvent toutes imbriquées singulièrement pour chacune des personnes rencontrées. Entre les objectifs sociaux, déclinés par l’institution, et le souci d’apporter une aide et un soutien, les professionnels peuvent se sentir coincés dans une répétition jusqu’à l’épuisement face au flot des gens démunis.

Le bénéfice de ces séances de supervision se situe bien là, dans l’ouverture d’un possible pour penser et être dans l’action différemment : pour avancer sur un traitement au cas par cas, dans une dynamique collective, et prendre la mesure d’une clinique du singulier dans un champ où l’anonymat et l’automatisme peuvent résonner comme une fatalité. »

Contact : Intervalle-CAP – 169bis, boulevard Vincent-Auriol – 75013 Paris – Tél. 06 68 21 55 20 – www.cap-intervalle.org – fabrice.pinon@hotmail.fr

Notes

(1) Intervalle-CAP dispose notamment d’un lieu d’accueil et de consultation, anonyme et gratuit, pour les hommes et femmes résidant en Ile-de-France. Il est ouvert exclusivement le week-end, période où les liens sociaux sont suspendus, voire absents, et donc parfois propice aux angoisses, à la consommation de toxiques, aux passages à l’acte.

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