Témoignages (en zones) sensibles

Thérèse n’est jamais partie en vacances. Pourtant, quand on lui demande si elle a déjà voyagé, elle répond toujours : « J’ai fait plein de fois le tour du monde ! » Cette sexagénaire vit au dernier étage d’une tour HLM. Quand elle descend les escaliers de son immeuble, elle croise tour à tour un Marocain, un Tunisien, un Portugais, un Kabyle, des Polonais, des Turcs et des Congolais. Son témoignage ouvre le recueil d’histoires de Ludovic Souliman, conteur professionnel (1). Depuis des années, cet homme passe le plus clair de son temps « auprès des pauvres, des oubliés, des laissés-pour-compte, des “gens de cité” ». Non pas pour les éduquer, les assister, leur proposer des plans de terrains de basket ou de salles polyvalentes, mais pour les écouter, réveiller leur mémoire, allumer leurs regards, parler avec eux des choses simples de la vie. Cet ancien employé d’EDF nous invite dans Les mille et une vies à découvrir sept années de collectes de récits de vies dans les zones urbaines sensibles de Montfermeil, Vitry-sur-Seine, Lille, Brest, Créteil, Choisy, Cergy, Trappes, Longwy… Il y a cet homme à la voix rocailleuse qui raconte la drogue, la violence, le deal, la prison, la chute sans fin, et ce vieux métallo au seuil de son pavillon qu’il a lui-même monté, brique par brique. Il y a cet homme bien habillé qui évoque la guerre et le harki qu’il fut, et Dionisia, 38 ans seulement et accidentée du travail, qui lutte pour nourrir son enfant. Il y en a beaucoup, des tristes, des gais, des jeunes, des vieux, des Français comme des étrangers. Leurs mille et une vies, à lire par petits bouts, sont des « mots bruts, posés en partage sur ces pages, histoires échouées là comme un caillou sur la plage, roulé par la mer et les vagues du temps, paroles venues de lointains là-bas ou de la terre d’ici. Ecoutez-les », demande Ludovic Souliman.