« Malgré les nouveautés introduites par la loi du 27 juin 2005, qui a transformé le cadre de l’accueil familial – création d’un diplôme d’Etat d’assistant familial (DEAF), légalisation de sa place dans le dispositif d’aide sociale à l’enfance (ASE) (1)… –, il faut convenir que sa réalité peine à se transformer. Mon expérience de travailleur social de l’ASE, ma participation à l’expérimentation d’un service de recrutement, d’accompagnement et de soutien d’assistants familiaux, ainsi que mon intervention dans des formations au DEAF m’autorisent à formuler quelques hypothèses sur les freins qui empêchent ces professionnels de se reconnaître dans cette mutation de la profession et de concourir à une montée en qualité de l’accueil familial, garantissant le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Les assistants familiaux sont majoritairement des assistantes familiales. A la question récurrente qui est posée sur les raisons de leur choix professionnel, la réponse la plus fréquente est “l’amour des enfants”. Peuvent-ils d’ailleurs répondre autre chose ? En second lieu vient l’opportunité de percevoir un salaire “d’appoint”, ainsi considéré parce que fruit d’un travail s’exerçant à domicile sans exigence particulière d’un niveau d’études ou de diplôme et parce qu’il permet de continuer en même temps à être disponible pour ses propres enfants. Il est aisé de percevoir le hiatus dans ces motivations. Percevoir un salaire pour aimer des enfants qui ne sont pas les siens heurte la représentation traditionnelle qui veut que l’amour soit gratuit.
Cette contradiction initiale pollue la question de la place de chacun des acteurs et ce, à plusieurs niveaux. Au niveau des assistants familiaux eux-mêmes, qui ont besoin de ce salaire mais qui n’ont pas une réflexion très aboutie sur ce qui est rémunéré et ce qui ne l’est pas. Au niveau des travailleurs sociaux, qui perçoivent que certaines familles d’accueil ont un train de vie supérieur au leur, ainsi que, pour certains, de bien meilleures conditions de travail. Au niveau des familles naturelles, qui ne peuvent admettre que d’autres soient payés pour faire ce qu’on leur reproche de ne pas avoir fait gratuitement. Ces réflexions, qui frisent le “café du commerce”, existent, je les ai entendues.
Considérons dans un premier temps les assistants familiaux. Actuellement, la réussite au DEAF n’a matériellement qu’un intérêt, celui d’éviter l’épreuve du renouvellement d’agrément, souvent vécue comme une intrusion, un contrôle et non comme une véritable rencontre professionnelle. Pourtant, la création de ce diplôme et l’ensemble de la loi du 27 juin 2005 sont les prémisses d’une évolution possible. Il appartient aux assistants familiaux de prendre la place que les textes leur confèrent. Le contenu de la formation, les écrits à produire, les épreuves à subir, sortent ces professionnels du monde de l’oralité dans lequel ils évoluaient jusqu’alors. L’acquisition d’outils techniques, comme la rédaction de notes structurées, peuvent modifier le dispositif relationnel et professionnel dans lequel ils s’inscrivaient jusqu’alors. Le passage de l’oral à l’écrit opère sur les partenaires professionnels, mais on constate aussi un changement sur le plan du positionnement personnel et professionnel des assistants familiaux eux-mêmes. Souvent, leur scolarité a été courte et la confiance en leurs capacités intellectuelles faible. Introduire la communication écrite dans leur boîte à outils professionnelle participe à leur évolution personnelle.
Le DEAF, les formations, les appartenances à des associations professionnelles et organisations syndicales constituent des espaces favorables à l’émergence d’une identité et d’une culture professionnelles. Mais il incombe à chaque assistant familial de nourrir individuellement la construction de son identité professionnelle. Il est indispensable que chacun ait une connaissance fine de son institution, qu’il détienne sa fiche de poste ainsi que celle de ses partenaires, qu’il s’impose de connaître les droits et devoirs de sa profession, d’en savoir les limites et les moyens. Il lui appartient de prendre sa place, à défaut personne ne la lui donnera.
Actuellement, l’évocation de la réalité professionnelle des assistants familiaux se fait beaucoup sur le ton de la récrimination contre le travailleur social de l’ASE, le référent professionnel, le juge, mais dans les récits, la récurrence d’un positionnement professionnel a minima est évidente. Toujours la peur de déplaire et d’être mis au placard, de perdre son salaire. La précarité statutaire ne favorisera pas l’édification d’une identité professionnelle bien assise et ce, au détriment premier d’une protection de l’enfance de qualité.
Du côté des travailleurs sociaux, dans le meilleur des cas, le diplôme d’Etat d’assistant de service social peut offrir un premier espace de rencontre avec l’ASE par le biais d’un stage. Une expérience qui n’offre qu’une infime familiarité avec le champ immense de la protection de l’enfance. Beaucoup de jeunes diplômés prennent un poste à l’ASE par défaut. Les postes offerts ont souvent été abandonnés, désertés la plupart du temps pour des raisons légitimes que l’institution mésestime. Tous les constats réalisés ces dernières années sur la dégradation générale des conditions de travail et d’exercice d’une profession complexe sont bien en dessous de la réalité. Le passage aux 35 heures a eu un impact considérable. Sont apparus les outils de rationalisation du temps de travail, et la question essentielle du sens de nos missions et mandats a été occultée.
Bien évidemment, les institutions ont une large responsabilité dans cette déqualification du travail social. Mais faire porter à l’institution, à nos partenaires, la responsabilité de notre mal-être, par ailleurs tout à fait légitime, nous évite de poser cette question essentielle de notre identité professionnelle. Nous ne faisons plus de notre déontologie et de notre éthique le repère, le guide, et il se pourrait que cela nous conduise à notre perte. Auparavant, notre identité professionnelle se nourrissait auprès de nos collègues plus anciens quand, ensemble, nous questionnions le sens de nos actes, de nos écrits, de nos alliances… Aujourd’hui, dans la sphère particulière de l’aide sociale à l’enfance, les travailleurs sociaux sont isolés, surchargés, mal formés, mal informés, mal encadrés parce que le recrutement ne se fait tout simplement pas sur des critères de compétence. Certains sont nommés chef de service sans avoir jamais eu ni expérience d’encadrement, ni expérience de travail à l’ASE.
La totalité du système est gangrenée. Les lois, circulaires, délibérations, discours d’intention ne sont plus connectés à la réalité sociale, ne serait-ce que budgétairement, et les travailleurs sociaux sont mis en situation de pare-feu. Parfois même, il arrive que nous ayons des mouvements d’humeur à l’égard de notre “public” ou que nous ne supportions plus l’amélioration des conditions d’exercice d’une catégorie professionnelle jusqu’alors clairement identifiée comme “en dessous” de la nôtre, les assistants pour ne pas les nommer !
Les parents, à présent, dernier élément dans la trilogie de l’accueil familial. Leur rencontre avec le travailleur social de l’ASE et l’assistant familial est contrainte et déséquilibrée. Ils entrent dans le système avec une étiquette de défaillance. Parfois même, certains entrent à nouveau, ayant par le passé occupé la place actuelle de leur enfant.
Cette rencontre est chargée de part et d’autre d’affects relativement négatifs, et c’est au travailleur social qu’incombe la charge de décontaminer ce premier contact de toutes les pollutions, y compris des siennes. A l’occasion de ce compagnonnage forcé, il est aux prises avec des émotions, positives ou négatives, qu’il doit pouvoir accueillir, identifier, partager. Or ces temps de réflexion, d’analyse, qui ne sont pas des temps d’action que l’on peut calibrer, ne figurent pas sur les plannings d’activité, n’ont aucune visibilité, donc aucune nécessité apparente.
Ce sont les parents, souvent déjà bien installés dans la détresse, qui font les frais de cette légèreté. Ils vont devoir donner les preuves de leur “rédemption”. Qui décide de la validité des preuves ? Sur quels critères la rédemption est-elle actée ? Et par qui ? La confusion règne et le canevas de travail proposé aux parents peut souvent apparaître comme le résultat d’une approche personnelle du travailleur social de la situation des parents. Alors que dans tous les cas, l’offre de service pour réduire les défaillances parentales devrait se fonder sur des éléments objectifs, objectivables, opposables, surtout pas sur des éléments sortis d’on ne sait quel “auto-reférencement”.
L’aide sociale à l’enfance, service gardien des enfants confiés, est aussi chargée des parents et des prestataires de service que sont les assistants familiaux. Juge et partie à tous les étages. Et la loi de mars 2007 a encore accru le champ initial de ses compétences.
Nous avons aujourd’hui un haut niveau de connaissances et de savoirs pour accompagner, guider, soigner, traiter, et ces outils peuvent être très performants, s’ils sont correctement utilisés et partagés. Mais la structuration du système actuel de l’ASE ne favorise aucunement cette “communautarisation” des savoir-être et savoir-faire et entrave sa mission de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant.
Les conseils généraux, au moins parce qu’ils gèrent l’argent public, doivent s’imposer une obligation de résultat. La priorité doit être d’abandonner un positionnement tout puissant de paterfamilias infantilisant pour, à l’inverse, se diriger vers une pratique plus adulte et responsable de la délégation, de la médiation, de la contradiction. Tant les parents que les assistants familiaux ont une relation conditionnelle avec les acteurs de l’ASE, qui n’a d’autre effet que de les soumettre. Il convient de réunir les conditions pour qu’ils aient des interlocuteurs chargés de leur accompagnement global, évaluateurs qualifiés et externes des évolutions personnelles et professionnelles des uns et des autres, et, à cette place tierce, acteurs du projet global établi pour chaque enfant. »
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