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Les lieux de vie dans la tourmente gestionnaire

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Assujettissement à la TVA à taux réduit, appels à projets, tarification…, les permanents des lieux de vie et d’accueil ont le sentiment de voir les spécificités de leur action balayées, malgré une utilité sociale reconnue. Le Gerpla les appelle à se regrouper pour défendre leur avenir.

Les lieux de vie et d’accueil feraient-ils tache dans un paysage social et médico-social de plus en plus normalisé ? C’est la question que se posent leurs permanents. Nées dans les années 1970 dans le mouvement d’alternative aux grosses institutions, ces microstructures, basées sur le « vivre avec » et le « partage réfléchi du quotidien », avaient réussi, après des années de mobilisation, à être reconnues dans la loi 2002-2, sans toutefois être assimilées aux établissements. Pourtant, alors que la qualité de leur travail auprès des publics « incasables » ne fait aujourd’hui plus débat – une étude du conseil général de l’Essonne de 2010 démontre leur bon rapport qualité/prix à côté du placement familial ou en institution –, elles sont menacées par le rabot gestionnaire des pouvoirs publics. « On assiste depuis 2010 à un coup de balai sur une réglementation adaptée à leur fonctionnement particulier que nous avions négociée avec les représentants de l’Etat », dénonce Jacques Benoît, vice-président de la Fédération nationale des lieux de vie (FNLV) (1), qui regroupe environ 200 lieux de vie, quels que soient leur statut (voir encadré ci-contre)

Premier objet de cette colère, l’application depuis le 1er janvier 2010 d’un taux réduit de TVA (5,5 %) sur la fourniture de logement et de nourriture, alors qu’aucun document n’assujettissait auparavant les lieux de vie à cette taxe. Une mesure aberrante, juge Alain Souchay, président de FASTE-Sud Aveyron (2), qui ne réunit que des travailleurs indépendants, parce qu’elle nie le travail éducatif de ces structures et les considère comme des « restaurateurs ». Pourquoi alors ne pas taxer les maisons d’enfants à caractère social et les foyers de l’enfance ?, s’interrogent les permanents. Lesquels redoutent à terme une généralisation de l’application de la TVA à l’ensemble des services et établissements médico-sociaux et la marchandisation du secteur.

« Mais les lieux de vie rendent des services à caractère hôtelier même s’ils s’inscrivent dans un projet social », rétorque Jean-Pierre Hardy, chef de service des politiques sociales à l’Assemblée des départements de France (ADF), à l’origine de l’amendement à la loi de finances 2010 introduisant la TVA à taux réduit. Il s’agissait, explique-t-il, de faire diminuer le prix de journée en réduisant les charges des lieux de vie, puisque les permanents récupèrent alors la TVA qu’ils paient sur leurs achats et sont exonérés de la taxe sur les salaires. « Du gagnant-gagnant tant pour ces derniers que pour les financeurs – conseils généraux, protection judiciaire de la jeunesse, sécurité sociale », justifie-t-il, ajoutant que l’ADF veut étendre la TVA à taux réduit aux maisons de retraite sur l’hébergement et la dépendance afin de faire baisser les tarifs de 3 à 5 €.

Faux, répond Benoît Omont, coordinateur du comité du Gerpla (Groupe d’échange et de recherche pour la pratique en lieu d’accueil), qui a fait ses calculs : pour son lieu de vie situé à Orvaux (Eure), l’application du taux réduit de TVA pour 2010 aurait en­traîné une augmentation du prix de journée de 7 000 € pour le conseil général. Si d’au­tres permanents considèrent, eux, que la TVA n’aura, dans l’ensemble, qu’un faible impact sur la facture des financeurs – et donc ne rapportera pas grand chose au Trésor public –, ils refusent de se situer sur un plan comptable. « Nous nous plaçons avant tout sur le plan éthique. Nous ne sommes pas dans une logique commerciale comme le prouve notre inscription dans la loi 2002-2, qui nous reconnaît des missions d’intérêt général et d’utilité sociale », s’agace Jacques Quiennec, président de la FNLV.

« La pétaudière dans les services fiscaux »

Le pire, c’est que l’introduction de la TVA est inégalement appliquée. « C’est la pétaudière dans les services fiscaux départementaux », explique Benoît Omont, certains réclamant cette taxe, d’autre pas, « chacun y allant de ses interprétations et petits arrangements avec la loi en fonction du contexte politique local ». Non sans excès de zèle puisque la direction des finances publiques de la Creuse, considérant donc qu’avant 2010 les lieux de vie étaient assujettis à la TVA à taux plein (19,6 %), réclame à deux structures situées à Bussière-Dunoise et à Parsac le paiement de cette taxe pour les années 2008 et 2009 augmentée d’une amende de 40 % et de pénalités de retard, soit 130 000 € et 169 000 € ! Pourtant, dans un courrier adressé en avril 2010 au député de la Lozère, François Baroin, alors mi­nistre du Budget, assurait qu’il ne devait pas y avoir de rappel pour les périodes an­térieures au 1er janvier 2010.

A la diversité des pratiques du fisc s’ajoute celle des conseils généraux. Le département de la Mayenne, entérinant l’appli­cation de la TVA, a majoré son prix de journée. A l’inverse, ceux de l’Eure, des Yvelines et des Hauts-de-Seine considèrent que les lieux de vie n’ont pas à leur facturer la TVA. Une situation incohérente et ubuesque. « C’est le grand bazar, une usine à gaz qui coûte du temps à tous les acteurs et entraîne une inégalité de traitement des structures », résume Benoît Omont. Conséquence, les lieux de vie ont eux-mêmes des stratégies diverses : certains appliquent le taux de TVA, d’autres font de la résistance tout en provisionnant les sommes au cas où le fisc les leur réclamerait. Car « le problème, c’est qu’en refusant de se mettre en conformité avec la loi de finances, nous sommes dans l’illégalité ! », s’alarme Jacques Quiennec.

Face à un mur

Ce n’est pourtant pas faute, pour les lieux de vie, d’avoir alerté les élus, de droite comme de gauche, et les membres du gouvernement : questions écrites des parlementaires, sollicitations des conseillers du président de la République, rencontre du ministre du Budget…, rien n’y a fait. Des députés de gauche ont même tenté de faire adopter un amendement dans la loi de finances pour 2011 afin de supprimer la disposition incriminée, là aussi sans succès. « Nous avons tapé à toutes les portes. Tout le monde reconnaît que nous faisons un travail d’intérêt général et que cela n’a aucun sens, mais nous nous heurtons à un mur », lâche, amer, Jacques Quiennec.

Pas question pour autant de baisser les bras. Le Gerpla a invité les permanents à lui faire part des conséquences pour eux de l’application de la TVA afin de présenter un état des lieux à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et à l’administration fiscale et d’obtenir une égalité de traitement des structures. De son côté, la FNLV réfléchit à la possibilité d’attaquer la France devant la Cour de justice de l’Union européenne pour non-respect de la directive européenne du 17 mai 1977, qui prévoit d’exonérer de la TVA certaines activités d’intérêt général comme les prestations de service liées à la protection de l’enfance et de la jeunesse.

Mais un autre sujet taraude aussi les permanents : l’assujettissement des lieux de vie à la procédure d’autorisation par appel à projet depuis le décret du 26 juillet 2010 (3). C’est en effet une rupture avec la philosophie de ces microstructures puisque leur création ne relève plus de l’initiative et du « projet de vie » de leurs promoteurs mais de la réponse aux besoins repérés sur son territoire par le conseil général. Et alors même qu’elles reçoivent depuis toujours des publics au-delà de leur département d’implantation. « Répondre à un appel à projet conduira à les transformer en petits établissements au service des départements, en contradiction d’ailleurs avec la loi 2002-2. A ce moment-là, nous n’aurons plus qu’à travailler 35 heures et à adhérer à une convention collective. Exit alors le projet personnel des permanents et le “vivre avec” ! », s’alarme Jacques Benoît. Or l’intérêt de ces petites structures est justement d’accueillir des publics (principalement des jeunes) borderline pour lesquels les prises en charge traditionnelles se révèlent inappropriées, voire catastrophiques.

Les départements de l’Eure et de l’Isère ont d’ores et déjà accepté de créer des lieux de vie sans passer par la procédure d’appel à projet. A l’inverse, le conseil général de l’Essonne serait sur le point de lancer un appel à projet pour une quinzaine de structures. Là encore, il semble que la procédure sera ou non mise en œuvre selon l’intérêt des conseils généraux pour ce mode d’accueil non traditionnel, au détriment d’une égalité de traitement sur le territoire. Mais la riposte est engagée puisque le Gerpla, FASTE Sud Aveyron et le LVA Le Bayonnet (Lot-et-Garonne) ont, à l’automne 2010, déposé un recours devant le Conseil d’Etat afin d’obtenir l’annulation du décret du 26 juillet 2010.

Enfin, dernier sujet de préoccupation, le décret sur la tarification des lieux de vie, qui devrait paraître à la fin de l’année. Le Gerpla et FASTE Sud Aveyron avaient obtenu, en 2008, l’annulation par le Conseil d’Etat du précédent décret du 7 avril 2006 pour absence de base légale (4). Les deux organisations contestaient également l’encadrement du prix de journée par un tarif plafond, y voyant une remise en cause de leur capacité à contractualiser avec les financeurs. Le texte en préparation, pris cette fois-ci dans le cadre de la loi « hôpital, patients, santé et territoires », devrait, selon la DGCS, reprendre le même sché­ma avec un prix plafonné. Pas sûr que cela satisfasse FASTE-Sud Aveyron et le ­Gerpla, bien décidés, s’ils n’obtenaient ­toujours pas gain de cause, à saisir à nouveau la haute autorité administrative.

Défendre un « artisanat socio-éducatif »

« Comme toute exception, les LVA sont continuellement, depuis leurs origines, invités à rentrer dans le rang : c’est un décret par ci, un amalgame par là… », déplore Benoît Omont. Le tout mené dans une grande confusion, relèvent les permanents, qui soulignent que, d’un côté, on les considère comme des structures commerciales et, de l’autre, on accentue la normalisation et le contrôle. Comment alors, pour les lieux de vie, sortir leur épingle du jeu ? En se regroupant tous ensemble – ce qu’ils n’ont pas bien réussi jusqu’ici – pour dé­fendre leur « artisanat socio-éducatif », plaide Benoît Omont, sinon « seuls quel­ques dinosaures resteront dans des réser­ves départementales ». Sachant, ajoute Jacques Benoît, que si les LVA disparaissent ou se transforment en établissements, il faudra bien recréer quelque chose à la marge pour prendre en charge les besoins non satisfaits…

REPÈRES

 Les lieux de vie et d’accueil ne constituent pas des établissements, selon la loi 2002-2, et sont inscrits dans un chapitre spécifique.

 Ils visent par un accompagnement continu et quotidien à favoriser l’insertion sociale des personnes accueillies.

 Ils sont autorisés à accueillir entre trois et sept personnes, majeures ou mineures, voire dix par dérogation.

 Ils sont gérés par des associations (majoritaires), des travailleurs indépendants ou des sociétés civiles, voire commerciales (très minoritaires).

 On compte environ 420 lieux de vie autorisés (contre 463 fin 2009) dont :

– 200 environ (tous statuts) adhèrent à la Fédération nationale des lieux de vie ;

– 60 (tous statuts) adhèrent au Gerpla (Groupe d’échange et de recherche pour la pratique en lieu d’accueil) ;

– sept (travailleurs indépendants) adhèrent à FASTE-Sud Aveyron.

Notes

(1) Qui organise ses rencontres nationales du 7 au 9 octobre prochain à Cussac (Haute-Vienne) – www.rencontreslva.com.

(2) Et auteur d’une tribune libre sur le sujet – Voir ASH n° 2659 du 14-05-10, p. 33.

(3) Détaillé dans la circulaire du 28 décembre 2010 – Voir ASH n° 2693 du 23-01-11, p. 47.

(4) Voir ASH n° 2585 du 5-12-08, p. 19.

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