LES ACQUIS ET LES OUBLIS. « ADIH MRANI », « FADIL ARMI », « FAILAMRANI », « FADILA AMRANI »… Au bout de dix-huit mois, à raison d’un ou deux cours particuliers d’un quart d’heure par semaine, Fadila Amrani n’arrive à écrire son nom correctement qu’une fois sur deux. Comment assimiler l’alphabet quand, à 65 ans, on n’a jamais tenu un stylo, jamais lu une phrase ? Quand, depuis que l’on vit en France, on s’en remet aux autres pour remplir la paperasse et que l’on se repère dans Paris uniquement aux monuments, et pas aux noms des rues ? Fadila est femme de ménage chez des particuliers, et fait partie des millions d’analphabètes que compte notre pays. Edith, une traductrice chez qui elle travaille, s’est mis en tête de lui apprendre à lire et à écrire. Celle-ci n’a-t-elle pas enseigné les bases de la lecture à son fils quand il avait 4 ans ? Au bout de un mois, le petit garçon avait eu accès à ce qu’elle considère comme le « secret du bonheur ». Mais avec une personne âgée, les résultats ne peuvent pas être aussi rapides. « Elles peuvent mettre dix ans à apprendre à lire. Ce sont des gens qui n’ont pas appris à apprendre », explique à Edith une bénévole d’un centre d’alphabétisation. Edith et Fadila sont les héroïnes des Amandes amères de Laurence Cossé. « Amères » parce qu’Edith regrettera par moments de s’être lancée dans une mission aussi ambitieuse. Au fil des pages, elle tente différentes approches pédagogiques, se renseigne en bibliothèque, sur Internet, auprès d’amis enseignants. « L et E, ça fait quoi ? », « FA », répond Fadila au bout de huit mois. La vieille Marocaine est toujours pressée, pas assez assidue – pas assez motivée, peut-être ? Son esprit est sans doute préoccupé aussi par d’autres choses, comme l’apprendra Edith au fil des séances : la violence a marqué le rapport de Fadila aux autres, ses enfants la négligent, son logement ressemble plus à un placard qu’à une chambre… Elle vit en perpétuelle inquiétude. Alors, bien qu’elle refuse de baisser les bras, ce qui semble acquis un jour est oublié le lendemain. Edith apprendra qu’il n’y a pas de méthode miracle. Ce roman est l’histoire d’un échec.
Les amandes amères – Laurence Cossé – Ed. Gallimard – 16,90 €