C’est parce qu’il n’en pouvait plus de voir les noyades des candidats à l’exil traitées dans la colonne des faits divers comme autant d’« additions macabres » que l’écrivain marocain Youssouf Amine Elalamy a écrit Les clandestins. Dans ce récit choral, lyrique et douloureux, il donne la parole à 12 hommes et une femme, retrouvés échoués un matin sur la plage d’un village du Maghreb. Tandis que se propage la nouvelle – « ils se sont noyés ! » –, les habitants accourent pour constater le désastre de leurs propres yeux, « parce que les mots, ça ne suffit pas pour montrer les choses ». Tous, sauf la mère de Louafi. Incrédule, elle avance à tout petits pas, pour « repousser le fil invisible et combien fragile entre la parole et la vue, le corps de Louafi sans Louafi, sa main molle sur le sable, ses yeux éteints derrière les algues ». Louafi, dit La Fille à cause de ses cheveux longs, épuisé de n’être « qu’une bête à quatre pattes, les yeux sur la terre qui a cessé de le nourrir » ; mais aussi Momo, dit Le Gros, enchâssé dans un corps hors normes ; Moulay Abslam, le conteur, que le monde n’inspire plus ; Slim, l’ouvrier au chômage, dont la femme travaille « à l’hôtel »… Chapitre après chapitre, avec leurs mots, leur poésie, ceux qui ne sont pas encore morts racontent leurs espoirs, leur lassitude, le petit déclic de rien du tout qui les a décidés à prendre la mer, et l’emprise glaciale de la houle après le naufrage. Leurs femmes, leurs mères disent l’absence et l’incompréhension. Chapitre après chapitre, tous cessent d’être des clandestins pour redevenir des hommes et des femmes, des amours et des amis, « venus d’ailleurs pour mourir ici ». « Et s’il n’y a pas de musique et pas de tambours pour accompagner tout ça, pas d’écran et pas de ticket non plus, c’est pour dire que tous ces noyés sur le sable, on pourra dire ce qu’on veut, c’est pas du cinéma. »
Les clandestins – Youssouf Amine Elalamy – Ed. Au diable vauvert – 15 €