Des mesures d’affichage, aux contours juridiques flous, quand elles n’existent pas déjà. Pour les associations qui travaillent auprès des Roms, les annonces du ministre de l’Intérieur sur la délinquance des ressortissants roumains (voir ce numéro, page 18) provoquent un nouveau malaise. Outre l’imprécision des chiffres avancés, Claude Guéant évoquant non pas le nombre de personnes condamnées, mais de mis en cause ou de défèrements, « ces déclarations sont d’autant plus mal venues que les acteurs institutionnels avec lesquels nous travaillons ont pris conscience du statut de victime des mineurs et de la nécessité de les protéger. S’il ne faut pas nier le phénomène des réseaux mafieux, le problème est celui de la réponse », explique Damien Nantes, directeurde l’association Hors la rue.
La nature juridique du « rapatriement » souhaité pour les mineurs roumains isolés et délinquants, évoqué par le ministre dans des propos à visée clairement sécuritaire, suscite des interrogations. D’une part, rappellent les associations, aux termes du droit international comme du droit français, un mineur ne peut être en situation irrégulière, donc ne peut être expulsé. D’autre part, la loi autorisant la ratification de l’accord franco-roumain visant à faciliter le retour des mineurs isolés a été censurée fin 2010 par le Conseil constitutionnel (1). En 2009, une étude menée par Hors la rue auprès des jeunes rapatriés selon l’ancien accord de 2002 avait montré l’échec de ces retours, faute de projet et de suivi socio-éducatif en Roumanie (2). Reste encore le dispositif organisé par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) dans le cadre d’une circulaire de 2006, laquelle prévoit « l’éligibilité à l’aide au retour du mineur isolé étranger sur demande d’un magistrat ou, le cas échéant, dans le cadre d’un dispositif ayant pour objet une réunification familiale dans son pays d’origine ou un pays d’accueil ».
Selon les statistiques de l’OFII, quatre mineurs isolés roumains ont ainsi été raccompagnés en 2010. « L’OFII continue de passer des accords avec des associations roumaines, mais cela relève du bricolage, estime Alexandre Le Clève, responsable des actions nationales à la Cimade. En outre, renvoyer des mineurs sans enquête préalable ni suivi ne peut que réalimenter les réseaux. » Il ne partage pas non plus l’avis de Claude Guéant selon lequel le service d’aide à l’enfance roumain est désormais conforme au normes internationales. « Il y a eu une vraie évolution depuis les années 1990, mais de nouveau une dégradation depuis la crise », souligne-t-il. Si la coopération avec la police roumaine n’est pas nouvelle, le scepticisme porte en revanche sur le rôle qui sera confié au « magistrat de liaison » roumain qui devrait être installé à Paris.
Les conditions de rapatriement des mineurs délinquants avec leurs familles paraissent tout aussi floues. « Le droit au séjour des parents ne peut être lié à un délit commis par l’un de leurs enfants », conteste Damien Nantes. Depuis la loi sur l’immigration de juin 2011, les ressortissants européens sont autorisés à séjourner pour une durée de trois mois en France, à condition de ne pas représenter « une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale ». Les communautaires et les membres de leurs familles peuvent, par ailleurs, faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire lorsque leur séjour est constitutif d’un « abus de droit » ou en cas de « menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française ». Une notion conforme au droit européen, sachant que le gouvernement aurait voulu aller plus loin en introduisant l’idée, plus large, de « menace à l’ordre public ».
Avec la multiplication des mesures coercitives à l’encontre des Roms, les associations déplorent une augmentation des interpellations, parfois pour des motifs juridiques contestables. « Mais ils sont tellement dans des conditions précaires, fragilisés psychologiquement par la pression, qu’ils se résignent à l’éloignement du territoire avec une espèce de fatalisme, sans que ces pratiques soient contestées devant les tribunaux », explique Alexandre Le Clève.
Près de 5 000 Roumains et Bulgares ont été expulsés de France au premier trimestre 2011. Les associations seront d’autant plus vigilantes sur la mise en œuvre des nouvelles déclarations.