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Conjuguer les missions

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Dans le Nord, des animateurs d’insertion et de lutte contre les exclusions mêlent travail éducatif individuel et animations collectives au sein des centres sociaux. Une fonction à la charnière de l’action sociale et de l’animation, conçue pour répondre à l’évolution des publics accueillis au sein de ces structures. Illustration au centre social du centre-ville de Cambrai.

Cambrai (Nord), un après-midi de juillet. Sur le terrain multisports du quartier Saint-Lazare, des enfants jouent au football, entre eux, sans autre encadrement. Olivier Oubry, animateur d’insertion et de lutte contre les exclusions (AILE) au centre social du centre-ville, passe et les salue par leurs prénoms. Le statut d’AILE est une spécificité territoriale : il a été créé en 1998 par le conseil général du Nord, en coordination avec la fédération des centres sociaux du département. Son référentiel insiste sur la notion d’accompagnement, en individuel ou en collectif, du jeune « dans l’acquisition de son autonomie sociale et/ou professionnelle ». Cette fonction, ouverte dans tous les centres sociaux nordistes, concerne aussi bien les animateurs titulaires d’un diplôme d’Etat de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (DEJEPS) que les éducateurs spécialisés, les assistants de service social ou encore les universitaires – tel Olivier Oubry, diplômé d’un DUT carrières sociales. Une diversité des profils qui illustre toute l’ambiguïté de la mission de l’AILE, à la frontière de l’animation et de l’éducatif pour la tranche d’âge des 11-25 ans. Pour Olivier Oubry, qui prépare un certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement social ou de service d’intervention sociale (Cafdes), les choses sont pourtant claires : il est un travailleur social à part entière, même s’il existe « une passerelle avec l’animation, car le loisir est le support de réussite ».

Sur le terrain de sport, les jeunes se pressent autour d’Olivier. Ils lui demandent un filet pour jouer au volley. L’animateur en profite pour battre le rappel. Demain, c’est la fête « Nos quartiers d’été », avec jeux, château gonflable et barbecue. Ce sont les jeunes qui l’organisent. Martin (1), une douzaine d’années, s’anime : il propose une démonstration de breakdance. Pourquoi pas, répond Olivier, à condition qu’il passe à la réunion programmée le soir même à 17 heures. Il y sera, pile à l’heure, avec ses amis, fier d’être inclus dans l’aventure. « Il s’agit de redynamiser le jeune, en l’impliquant dans une expérience qu’il mène jusqu’au bout. Il est plus simple de commencer, par exemple, par l’organisation d’un séjour de vacances. C’est moins contraignant que d’attaquer tout de suite sur un parcours d’insertion », décrypte l’animateur cambrésien. La reprise de confiance progressive, qui s’appuie sur ces résultats rapidement payants, est ensuite étayée par des entretiens individuels. Toujours sur la base du volontariat et sans prise de rendez-vous, grâce à une permanence tenue tous les jours ouvrables.

Tisser le lien pour fonder l’insertion

L’AILE a pour mission d’aller à la rencontre des usagers potentiels du centre social et de tisser le début d’une relation pour bâtir ensuite un parcours d’insertion. « Dans la rue, on est d’égal à égal, précise Olivier Oubry. Un jeune ne passe pas comme cela la porte d’un centre social. Il sait qu’on va lui demander de raconter sa situation et il n’en a pas forcément envie. » Une fois le contact créé, les demandes des jeunes peuvent être très diverses : aide à la rédaction d’un CV, simulation d’un entretien d’embauche, mais aussi orientation vers des structures spécialisées quand la problématique est plus lourde (absence de logement, problèmes d’addiction…). En 2009, l’AILE a ainsi réalisé 267 accueils individualisés, dont 18 accompagnements prolongés. Ces derniers ont débouché dans quatre cas sur l’accès à un emploi (trois CDD et un CDI), mais aussi sur un hébergement. Tatiana Vanese, 22 ans, a été suivie par l’animateur alors qu’elle était « sans emploi, sans habitation, sans motivation ». « Il est concret dans ses démarches, présent tout de suite, il apporte un soutien moral, en m’informant sans faire à ma place. C’est rassurant », confie-t-elle. Une aide qui lui a permis de trouver une place dans un foyer de jeunes travailleurs et de payer son permis de conduire. La jeune femme compte désormais intégrer un BTS d’assistante de gestion pour PME-PMI.

Une population défavorisée

Cette évolution de l’animation classique vers une animation à vocation éducative, concrétisée par l’existence des AILE, n’est que la partie émergée d’un mouvement de fond. « Nous sommes une structure de développement social local, pas seulement un outil d’accueil des publics, rappelle Mostafa Ghezal, le directeur du centre social du centre-ville de Cambrai (2). Les centres sociaux sont d’ailleurs inscrits dans l’insertion depuis le RMI. » C’est en effet à cette époque qu’ils ont accueilli les référents chargés de l’accompagnement des allocataires du RMI. Le quartier où est implanté le centre social accueille une population très diverse. L’habitat date en majorité du XVIIe siècle. Et si une partie du parc a été rénovée et achetée par des cadres supérieurs, l’autre partie, dégradée, a été découpée en appartements aux loyers bas qui attirent une population défavorisée. « Nous avons deux fois plus de personnes relevant des minima sociaux ici que la moyenne cambrésienne, constate le directeur. C’est une population qui reste sur place, avec une offre d’emploi très faible et des jeunes très peu qualifiés. » De fait, 60 % des 16-25 ans ont un niveau de formation inférieur au baccalauréat. Mostafa Ghezal sourit : « Face à ce public, nous ne pouvions pas seulement leur proposer de se retrouver pour faire un baby-foot. L’une de nos missions majeures est de construire le citoyen de demain. »

Le centre social du centre-ville a donc décidé, en 2010, de structurer ses activités pour mettre en valeur cette forte orientation éducative et sociale. Plutôt qu’un découpage en tranches d’âges, il a choisi de s’organiser par missions, avec un pôle animation globale, qui regroupe toute l’activité de pilotage du projet ; un pôle animation, chargé de l’accueil classique, de la petite enfance, du périscolaire et des centres de loisirs ainsi que des ateliers à destination des adultes ; et enfin un pôle insertion, comprenant le poste AILE, l’accompagnement RSA, le point info familles et la permanence d’accès aux droits. En plus de ses fonctions d’animateur, Olivier Oubry est le coordonnateur de ce pôle où interviennent également les deux référentes RSA à mi-temps, conseillères en économie sociale et familiale. Au total, le centre social emploie 14 personnes, le pôle animation globale comptant pour sa part le directeur, une secrétaire-­hôtesse d’accueil et un comptable à mi-temps. Quant au pôle animation, il dispose de l’effectif le plus fourni, avec le directeur des centres de loisirs, le responsable adultes et familles et cinq animateurs à mi-temps. Un psychologue vient en renfort de l’équipe, quatre heures par semaine, pour tenir l’accueil parents-enfants. L’insertion est désormais un axe prioritaire du projet social, revu tous les quatre ans en partenariat avec les principaux financeurs que sont la caisse d’allocations familiales (CAF), la mairie, le conseil général et l’Etat, via le contrat urbain de cohésion sociale (CUCS). Un projet validé par le conseil d’administration, composé d’habitants et de membres de l’association gestionnaire du centre social.

Le collectif, outil de resocialisation

C’est donc un long chemin qui a été parcouru depuis les débuts de la structure, en 1992, quand un directeur d’école et une institutrice avaient décidé de lancer des activités pour leurs élèves en dehors des heures de classe, au sein du club Léo-Lagrange du quartier Saint-Lazare. « C’était une toute petite structure petite enfance et enfance, qui ne s’occupait pas du tout des adultes et des familles, se souvient Mostafa Ghezal. Le projet s’est structuré peu à peu et la CAF a ouvert la possibilité d’un agrément centre social en 1998. Notre territoire s’est agrandi pour concerner tout le centre-ville. » Aujourd’hui, le centre social passe à une dimension supérieure, avec la construction d’un nouveau bâtiment certifié haute qualité environnementale, d’un coût de 1,2 million d’euros, qui va lui permettre de doubler sa surface actuelle. Et dans la foulée, de nouveaux axes de développement sont en cours d’élaboration dans le cadre du projet 2012-2015, en particulier l’accueil des seniors et des personnes handicapées. L’occasion d’accentuer davantage la dimension « travail social » de l’équipement, avec l’espoir d’obtenir un poste d’intervenant social global, chargé de la coordination des actions et financé par le département.

Pour Mostafa Ghezal et son équipe, il s’agit de décloisonner les modes d’intervention. « Nous voulons créer des ponts entre l’accueil individuel et l’accueil collectif », précise-t-il. La réunion qui a lieu tous les mardis matin permet ainsi à l’équipe d’évoquer les situations à suivre. « Quand un jeune paraît en difficulté, j’en parle à Olivier Oubry. Il peut prendre le relais et donner des pistes », note Stéphane Michel, directeur des accueils de loisirs, titulaire d’un brevet d’Etat d’éducateur sportif. A l’inverse, s’il tente souvent une canalisation de l’agressivité par le sport, quand il arrive au bout des solutions collectives à sa disposition, il laisse la place à un suivi individuel. « Ces jeunes ont un besoin de s’exprimer, d’avoir un rapport régulier à l’adulte », reconnaît-il. Mais le passage par le collectif peut être un outil de resocialisation. Olivier Oubry cite le cas d’un jeune en rupture qui a révélé des compétences en foot-salle. Il a animé des sessions d’entraînement et s’est fait accepter par le groupe par lequel il était tout d’abord ignoré, retrouvant une certaine estime de soi.

Pour capter ce public adolescent, en situation d’oisiveté, qui a souvent arrêté tôt sa scolarité, le centre social a également mis en place un lieu d’accueil et de loisirs de proximité (LALP) destiné aux 11-18 ans. « C’est un dispositif propre à la caisse d’allocations familiales de Cambrai, explique Mostafa Ghezal. Il a été repris par la CNAF, étendu sur tout le Nord, et va l’être au niveau national. » Il s’agit d’un foyer, ouvert chaque fin d’après-midi, de 17 heures à 19 heures pour les mineurs et de 19 heures à 20 heures pour les majeurs, avec jeux vidéo, table de ping-pong et baby-foot. L’activité est gratuite. Il n’est pas nécessaire de payer l’adhésion au centre social (11 € par an et par famille). De l’animation pure, à première vue… C’est d’ailleurs Stéphane Michel qui en est responsable. Mais l’AILE y passe régulièrement. « Pour moi, c’est un support important, déclare-t-il, car c’est un espace de parole, là où les projets naissent. »

Le centre social fait aussi le lien avec les travailleurs sociaux intervenant sur le secteur. « Le centre social est un point d’ancrage pour les jeunes et les familles », observe Vincent Brunel, éducateur de rue au service de prévention spécialisée cambrésien La Bouée des jeunes, qui travaille en partenariat avec l’AILE. « Olivier Oubry a la possibilité d’avoir un public qui gravite autour de lui. On peut le rencontrer autour d’un baby-foot et non derrière un bureau, et cela change tout. » Entre eux, pas de concurrence. Vincent Brunel balaie d’ailleurs la distinction animation-éducatif, estimant que « c’est une scission qui ne devrait pas exister. A partir du moment où on travaille avec un public, on a toujours un rôle éducatif. » Il voit peu de différences entre son travail et celui de l’animateur, sinon que lui va chercher les jeunes les plus éloignés pour les ramener vers les circuits traditionnels, au premier rang desquels le centre social.

« Quand un jeune a une question sur le RSA, ce n’est pas évident pour lui d’aller à la CAF ou à Pôle emploi. Le centre social permet d’avoir une relation plus facile », argumente l’éducateur de rue.

L’anonymat mieux préservé

Il n’est pas le seul à s’appuyer sur l’environnement offert par le centre social. Pour Louise Philippot, référente RSA, de formation CESF, « cela dédramatise l’aspect accompagnement social. Aller voir un travailleur social n’a pas la même dimension ici car il n’y a pas que mon bureau ». On peut aller au centre social sans être catalogué et l’anonymat est mieux préservé. Celui du centre-ville est agréé pour le suivi de 100 bénéficiaires du RSA « socle ». Sur le panneau du bureau de Louise Philippot et de sa collègue Emilie Bridoux est affiché le programme des activités : partie de pêche à l’étang d’Escaudœuvres, projection du dernier Harry Potter… Les deux travailleuses sociales peuvent en outre proposer une palette de solutions disponibles sur place. Une mère célibataire a des difficultés de garde ? La CESF lui conseille les centres de loisirs du mercredi. « Mon objectif n’est pas d’alimenter le centre social, précise-t-elle, mais participer aux activités proposées peut être une première étape vers un groupe de parole. Cela me permet de hiérarchiser les orientations possibles. » Mostafa Ghezal précise : « Le public RSA est très isolé, et il faut lever ce frein en l’orientant vers un collectif rassurant, dans un bâtiment qu’il connaît, pour qu’il ne subisse pas un accueil, mais y vienne de façon volontaire, afin de prendre du plaisir. »

L’équipe du centre social en est convaincue : pouvoir mêler les publics et les fonctions est un énorme avantage. « Nous n’avons pas de mandat, comme dans un foyer d’hébergement ou un service d’action éducative en milieu ouvert, ce qui nous permet de rester très souples, dans une relation conviviale », se félicite Olivier Oubry. Même s’il reconnaît un paradoxe dans le fonctionnement de la structure : « Nous accueillons des jeunes qui dépendent pour beaucoup de l’éducation spécialisée, mais nous sommes bien en milieu ordinaire. »

CENTRES SOCIAUX : « L’INCONFORT BUDGÉTAIRE PERMANENT »

La mobilisation était exceptionnelle en mai dernier, lorsque les centres sociaux du Nord et du Pas-de-Calais ont manifesté à Lille pour faire entendre leurs inquiétudes sur l’avenir de leurs financements. Un mouvement auquel le centre social du centre-ville de Cambrai a participé. « A chaque signature de la convention d’objectifs et de gestion de la CNAF, nous tremblons », reconnaît Mostafa Ghezal, son directeur. Le budget annuel du centre social se monte à 400 000 €, financé à 11 % par la municipalité, à 15 % par l’Etat, à 25 % par le conseil général du Nord, à 42 % par la caisse d’allocations familiales, et à 7 % par les usagers. Mais cette année, la CAF a demandé que ses allocataires ayant un quotient familial inférieur à 520 ne paient que 20 centimes la journée de centre de loisirs, contre 4 € auparavant. « Les centres de loisirs sont déjà déficitaires de 15 000 € en temps normal. Ce déficit est monté à 22 000 €, soupire Olivier Oubry, le coordonnateur du pôle insertion. Nous sommes obligés de nous appuyer exclusivement sur des emplois aidés financés par l’Etat pour encadrer les activités. » Or l’Etat est en train de se désengager. Déjà, cet été, il a quitté le dispositif « Nos quartiers d’été », des animations dans les quartiers en difficulté de la région Nord-Pas-de-Calais, à destination de ceux qui n’ont pas les moyens de partir en vacances. Conséquence : 50 % de budget en moins, signale Mostafa Ghezal. Même chose sur le programme ACSE (Agence nationale de la cohésion sociale et de l’égalité des chances), dans le cadre de la politique de la ville. Entre 2010 et 2013, le centre social aura vu baisser sa subvention de 20 000 €. Mais la crainte est forte de voir baisser les contrats aidés, voire d’être dans l’obligation de financer 100 % de ces postes. L’association n’en a pas les moyens.

Les centres sociaux s’inquiètent aussi de la départementalisation des CAF. Présentes dans toutes les grandes villes de la région, celles-ci sont désormais regroupées en une seule structure départementale. Or les CAF locales pouvaient gérer leur propre budget et financer des actions spécifiques. Une pratique peu développée à Cambrai, mais importante à Roubaix, où la CAF pouvait payer jusqu’à 80 % de la construction d’un nouveau centre social. Une donne importante, au moment où les bâtiments des centres sociaux, édifiés généralement dans les années 1980, donnent des signes de vieillissement. A Cambrai, c’est la ville qui a financé à 50 % le bâtiment en cours de construction. Reste à trouver les fonds pour le projet, qui prend de l’ampleur. Les responsables du centre social du centre-ville de Cambrai le regrettent : « Nous ne voulons pas être toujours dans la reproduction des actions existantes, nous voulons être source d’innovation, mais nous sommes dans l’inconfort budgétaire permanent. »

RECTIFICATIF

Dans l’article des ASH n° 2721 du 26-08-11 sur la Coupe du monde de football des sans-abri, le nom de Sébastien Gélard a été mal orthographié. Nous le prions de bien vouloir nous en excuser.

Notes

(1) Le prénom a été modifié.

(2) Centre social : 12, rue de Selles – 59400 Cambrai – Tél. 03 27 700202 – cscv.cambrai@wanadoo.fr – monsite.wanadoo.fr/cscv-cambrai.

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