Alors que le gouvernement a clairement affirmé que la réforme de la dépendance ne concernera que les personnes âgées, les départements œuvrent, non sans difficulté, depuis une dizaine d’années à la convergence de leurs politiques destinées aux aînés et aux personnes handicapées. C’est ce que montre une enquête de l’ODAS réalisée avec le soutien de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) (1). La quasi-totalité des conseils généraux ont été questionnés sur la manière dont ils articulent leurs politiques de soutien au handicap et à la dépendance.
Encouragés par les orientations de la loi « handicap » de 2005, qui prévoit l’abolition de la barrière d’âge (60 ans) séparant le monde du handicap de celui des personnes âgées, les départements développent « une politique axée sur le soutien à l’autonomie et non plus sur une population ciblée », relève l’ODAS. Sur le plan stratégique, cela se traduit par le développement de services communs : 91 % des conseils généraux ont regroupé leurs services « personnes âgées » et « personnes handicapées » dans une direction commune, baptisée « direction de l’autonomie » ou « direction de la solidarité pour l’autonomie ».
Dans la Corrèze, celle-ci comporte un pôle « domicile » et un pôle « établissement ». Dans la Somme, elle regroupe des services communs aux deux publics (« vie à domicile PA/PH », « accueil familial PA/PH », « évaluation qualité » et « prévention santé maltraitance ») et la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Par ailleurs, 20 départements ont créé des observatoires communs aux deux publics et 17 ont choisi de réaliser des schémas départementaux qui portent sur les besoins des personnes âgées et handicapées. S’y retrouvent les thèmes communs aux deux problématiques : l’aide aux aidants, l’isolement, l’accessibilité en milieu urbain ou la mobilité en milieu rural… En matière de prise en charge, un département sur deux affirme vouloir mutualiser certaines offres de services (établissements, domicile) au profit des deux populations.
Reste que jusqu’à présent, c’est essentiellement en matière d’accueil et d’orientation des publics que cette convergence prend forme : 37 départements ont mutualisé leurs fonctions d’accueil et d’orientation destinées aux personnes dépendantes ou handicapées. Certains l’ont fait en s’adossant à des dispositifs externes : des MDPH s’appuient ainsi sur les centres communaux d’action sociale (CCAS), les centres locaux d’information et de coordination (CLIC), les associations locales de personnes handicapées ou encore les structures de services de maintien à domicile. Le département du Pas-de-Calais a organisé ses fonctions d’accueil dans les services départementaux territorialisés, en mobilisant progressivement les CCAS moyennant une formation assurée par la MDPH. En Meurthe-et-Moselle, les CLIC, qui assurent une fonction d’accueil en direction des personnes âgées et handicapées, sont devenus une antenne locale de la MDPH. « Ces exemples montrent une volonté, de la part des départements, d’améliorer l’accueil dans un souci de grande proximité pour mettre fin au parcours du combattant des personnes », commente Bernadette Moreau, directrice de la compensation de la perte d’autonomie à la CNSA.
En matière de prise en charge, le souci des départements de briser le cloisonnement se heurte aux législations différentes (création de l’allocation personnalisée pour l’autonomie [APA] en 2001 et loi « handicap » de 2005). Des initiatives se multiplient toutefois pour rapprocher les équipes et les outils. Par exemple, pour l’évaluation des situations des personnes âgées en perte d’autonomie et des personnes handicapées, 39 départements (sur 90) indiquent avoir mis en place un rapprochement des équipes dédiées à chacun de ces publics et 17 en ont le projet. Si, pour les trois quarts d’entre eux, il s’agit de construire une culture commune, un quart vise « l’interchangeabilité des professionnels, avec la volonté d’aboutir progressivement à l’unification des équipes ». En Savoie, des équipes territorialisées du handicap ont été mises en place sur les mêmes territoires que des équipes médico-sociales de l’APA et toutes deux travaillent dans des locaux communs ou proches, avec le même encadrement médical. Dans l’Oise, le conseil général a décidé de créer progressivement sur l’ensemble du territoire des « relais pour l’autonomie des personnes », qui se conçoivent comme l’antenne locale de la MDPH et le lieu d’implantation de l’équipe médico-sociale « APA ». Les professionnels assurent l’accueil, l’information, l’évaluation des besoins et la coordination des intervenants pour les deux publics.
Quelques départements se sont engagés, avec le soutien méthodologique et financier de la CNSA et de façon expérimentale, dans la transformation des MDPH en « maison de l’autonomie » qui englobe les deux publics. C’est le cas de la Corrèze, de la Côte-d’Or et du Cantal. Objectif : « marquer une véritable rupture avec des politiques segmentées par l’âge, en poussant le plus loin possible, dans le respect de la réglementation, tout ce qui peut mettre en convergence ces politiques tant sur le plan stratégique qu’opérationnel ». Par ailleurs, six départements travaillent au rapprochement des grilles d’évaluation individuelle des besoins AGGIR (autonomie, gérontologie, groupes iso-ressources) et GEVA (guide de l’évaluation des besoins de compensation des personnes handicapées) et 17 départements en ont le projet. Enfin, si les missions des CLIC portent exclusivement sur les besoins des personnes âgées, 18 départements s’appuient sur ces structures en matière de handicap.
Autant d’exemples qui témoignent de la réflexion en marche, au sein des départements, en faveur du rapprochement de l’aide aux personnes âgées dépendantes et aux personnes handicapées.
L’étude de l’ODAS dresse aussi un état des lieux des efforts réalisés en faveur de la coordination des acteurs autour des personnes âgées dépendantes. Il en ressort que si des améliorations sont à l’œuvre notamment avec l’expérimentation des maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer (MAIA), seulement six départements sur 99 estiment que, dans le suivi des situations individuelles, les articulations entre le champ sanitaire et le champ social sont satisfaisantes. Résultat : « un grand nombre de professionnels se succèdent au domicile des personnes, chacun intervenant sans disposer d’informations autres que celles que les personnes elles-mêmes peuvent livrer, avec la part d’aléa que cela comprend ». De même, les retours à domicile après une hospitalisation sont loin d’être satisfaisants : ils ne seraient anticipés que dans 16 départements. Un constat qui rejoint celui du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie dans sa contribution au débat sur la réforme de la dépendance (2).
(1) « Du soutien à la dépendance au soutien à l’autonomie » – Disponible sur