La délicate question de la prise en charge des mineurs isolés, laissée sans réponse depuis plusieurs années, a fini par devenir explosive. Après avoir adressé, le 22 juillet, un courrier au garde des Sceaux, dans lequel il l’informait de « l’incapacité du département à accueillir dignement de nouveaux mineurs isolés étrangers au-delà du millier » déjà suivis sans contribution de l’Etat, le président du conseil général de Seine-Saint-Denis, Claude Bartolone (PS), a décidé de couper le robinet. Le département, qui dénonce « le mépris de l’Etat », renvoie désormais les nouveaux arrivés à la protection judiciaire de la jeunesse et en appelle « à la justice administrative » pour obtenir compensation.
Ce coup de force politique illustre le bras de fer qui oppose l’Etat – chargé du contrôle des frontières et de l’urgence sociale – et les conseils généraux – chargés de la protection de l’enfance – sur la responsabilité de la prise en charge de ces jeunes vulnérables. Une dizaine de départements – dont le Nord, le Pas-de-Calais, Paris, la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne, les Bouches-du-Rhône ou l’Ariège (touché par l’organisation de filières) – sont particulièrement concernés. Outre l’impact financier qui en découle (1), leurs services d’aide sociale à l’enfance sont sous tension.
« Faute d’avoir pu se mettre autour d’une table pour traiter le problème qui leur est commun avec un responsable politique de l’Etat et adopter sous son autorité les réponses qui s’imposent, réponses avancées par de nombreux rapports officiels, dont le rapport Landrieu de 2003 [2] et le rapport d’Isabelle Debré de 2010 [3], on se trouve ainsi dans une position intenable », analyse sur son blog (4) Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny et de DEI (Défense des enfants International)-France. « Bien sûr qu’il faut un modèle économique, mais il y a aussi des mineurs pris entre le marteau et l’enclume, défend Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile, à l’initiative en 2009, avec les conseils généraux du Nord et du Pas-de-Calais, d’un appel européen pour un « standard de protection élevé » pour les mineurs isolés (5). Nous demandons une instance de concertation permanente au niveau national et une table ronde régionale urgente réunissant l’Etat, les collectivités et les acteurs associatifs, ce à quoi l’Etat se refuse depuis 2007. » Pour Didier Piard, directeur de l’action sociale de la Croix-Rouge, qui gère le Lieu d’accueil et d’orientation de Taverny (Val-d’Oise), « la définition d’un statut du mineur isolé qui déboucherait sur des financements croisés permettrait de sortir de l’impasse ».
Pendant ce temps, la « mission de coordination » confiée en décembre dernier par le Premier ministre à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, qui a laissé de côté la question financière, avance lentement sur l’évaluation de l’âge et se penche sur la notion de plateforme d’accueil. Le rapport de la sénatrice UMP Isabelle Debré préconisait, lui, la création d’un « fonds de solidarité » à même d’aider les départements les plus en difficulté. Cette idée de péréquation restera-t-elle lettre morte ? Le cabinet du garde des Sceaux indique que cette question relève du cadre interministériel, sans plus de précision. L’Assemblée des départements de France a décidé d’aller, avec une délégation des conseils généraux concernés, interpeller les ministères de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires sociales.
(1) 35 millions d’euros en 2010 dans la Seine-Saint-Denis, soit 20 % du budget consacré à l’enfance ; 70 millions d’euros à Paris contre 40 millions en 2009.
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