Que pensez-vous de cette initiative ?
La première question est de savoir sur quoi portent les objectifs de performance : sur la gestion des établissements, ce qui peut s’entendre, ou sur le service rendu, ce qui est plus problématique. Cette clarification est d’autant plus nécessaire que la mesure de la performance se fait par le biais d’indicateurs, c’est-à-dire de données chiffrées. Il ne s’agit pas de les condamner par principe – des indicateurs de gestion ou d’activité sont déjà utilisés. Mais la survalorisation du résultat chiffré ne permet pas d’apprécier le service rendu.
L’ANAP se défend pourtant d’une approche basée sur les résultats chiffrés et la réduction des coûts (3)…
Il est trop tôt pour porter un jugement sur cette expérimentation comme sur les travaux de l’ANAP. Mais les missions de cette dernière sont claires. Selon l’article L. 6113-10 du code de la santé publique, elle a pour objet d’aider les établissements de santé et médico-sociaux « à améliorer le service rendu aux patients et aux usagers, en élaborant […] des outils […] leur permettant […] de suivre et d’accroître leur performance, afin de maîtriser leurs dépenses ». On est bien dans une logique financière dont la finalité est la réduction des coûts !
Contrôler l’utilisation des fonds publics est toutefois légitime, surtout dans un secteur souvent critiqué pour sa mauvaise gestion…
Vouloir mesurer l’efficience et le bon usage des fonds publics est bien sûr légitime, encore que l’on durcisse le trait vis-à-vis du secteur social, qui a évolué. Reste que la notion de performance, qui envahit l’espace public et que promeut l’ANAP, n’est pas neutre. Inscrite dans le cadre de la redéfinition des règles de la gestion publique – le new public management –, elle relève d’une approche néolibérale, qui postule la supériorité des modes de gestion privés et de régulations calquées sur des logiques marchandes dans tous les domaines de l’action publique. Sous l’habillage de la qualité, elle est, de fait, un enrobage de la logique de maîtrise de l’offre et de réduction des coûts.
Et est donc inadaptée au secteur social ?
Non seulement elle ne permet pas de rendre compte des effets du service rendu, de sa qualité et de son utilité, mais elle peut avoir un impact négatif sur les usagers car elle induit la concurrence et la sélection – un non-dit, d’ailleurs, dans les débats sur la performance. On voit déjà, dans certains secteurs, combien la reconduction des budgets en fonction des résultats chiffrés entraîne des tentations de ciblage des usagers. Lesquels n’ont même pas un strapontin dans les instances de l’ANAP !
Les professionnels ont donc raison de se méfier de la performance…
Il faut, en tout cas, que l’ANAP précise sa doctrine et affiche son périmètre d’action avec l’ANESM (4). Car l’évaluation permet déjà de vérifier l’adéquation des moyens aux besoins ! Elle a, en outre, l’intérêt d’être une approche qualitative mettant en perspective ce qui relève de l’efficience – l’optimisation des moyens –, de l’efficacité – les effets sur les usagers – et de l’utilité sociale – la façon dont l’établissement répond aux missions. A force de multiplier les dispositifs, on perd toute vision globale !
On peut donc se demander quelle est l’utilité de la performance…
C’est la vraie question ! Il me semble nécessaire d’opposer à la logique de performance la logique de responsabilité de l’établissement par rapport à la société, aux financeurs et aux usagers. Les acteurs de l’action sociale ne sont pas condamnés à la performance !
(2) Et maître de conférences à l’université Pierre-Mendès-France à Grenoble – Voir aussi sa contribution à l’intéressant dossier des Cahiers de l’Actif n° 416-417-418-419 (janvier-avril 2011) intitulé « Qu’est-ce que la performance d’action sociale ? » –
(3) « Le tableau de bord ne permet pas de répondre à un objectif de réduction des dépenses dans la mesure où les éléments sur lesquels il repose sont plus larges », indiquait en juillet aux ASH Marie-Dominique Lussier, chargée du secteur médico-social à l’ANAP.
(4) Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux.