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« L’impact de la crise sur la pauvreté est très important à moyen terme »

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Mesures d’économies budgétaires, report de réformes attendues, réorganisation des services de l’Etat… Depuis les débuts de la crise en 2008, le gouvernement a progressivement réduit la voilure. Dans ce contexte difficile, que deviennent les populations modestes, voire pauvres, et les politiques censées les aider ? Les réponses de l’économiste Guillaume Allègre, de l’OFCE, qui a étudié les conséquences de la crise sur la pauvreté.

Les pauvres ne sont-ils pas les premières victimes de la crise actuelle??

A moyen terme, les conséquences peuvent être très importantes, notamment du fait du chômage de longue durée. Sans mesures volontaristes en faveur de l’emploi, au bout de deux ans, au maximum, les chômeurs ne sont plus indemnisés. Dans l’étude que nous avons menée pour l’ONPES, nous avions évalué à 300 000 pauvres supplémentaires entre 2007 et 2011 l’impact direct de la montée du chômage sur la pauvreté. Soit une augmentation d’environ 40 personnes pauvres pour 100 chômeurs supplémentaires. Les statistiques que vient de publier l’INSEE sont en fait encore plus mauvaises puisque le nombre de pauvres aurait augmenté de 330 000 entre 2008 et 2009 (voir ce numéro, page 27). Cela peut être dû à la baisse relative du poids de certains transferts sociaux, malgré des mesures de relance en 2009 qui étaient plutôt favorables aux plus modestes.

Le gouvernement vient d’annoncer un plan de réduction du déficit. Les ménages modestes vont-ils être touchés ?

La mesure d’économie qui les concernera le plus est sans doute l’augmentation des taxes sur le tabac, l’alcool et les sodas. Proportionnellement, elle pèsera davantage sur leurs revenus que sur ceux des autres catégories de la population. C’est d’ailleurs vrai de toute hausse du prix des produits alimentaires et assimilés. Mais cela ne représente qu’une faible part de l’ensemble des mesures prévues par le gouvernement. De même, contrairement à ce qui avait été annoncé, les gens les plus riches ne sont pas réellement mis à contribution. En réalité, ces mesures d’économies frappent plutôt les classes moyennes.

Dans le même temps, le gouvernement a annoncé le report de la réforme de la prise en charge de la dépendance. Quelles sont les conséquences pour les populations concernées??

La dépendance est plutôt un problème structurel à moyen et à long terme, au même titre que les retraites. On sait que son financement, du fait des évolutions démographiques, posera problème vers 2020-2030. En attendant, des dispositifs sont en place pour prendre en charge la dépendance. Même s’il est vrai que cette réforme est attendue depuis déjà plusieurs années, il n’y a pas péril en la demeure, mais il faudra observer attentivement ce qui se passera par la suite.

Dans ce contexte difficile, quelle peut être l’évolution des minima sociaux ?

Ils sont indexés sur l’inflation mais n’ont pas bénéficié de coup de pouce particulier depuis vingt ans. Ils ont donc baissé par rapport aux salaires. Lors de sa création, le revenu minimum d’insertion avait été fixé à 50 % du SMIC. Aujourd’hui, son successeur, le RSA « socle », ne correspond plus qu’à 43 % du SMIC-35 heures. La conséquence est que l’intensité de pauvreté des allocataires des minima sociaux a augmenté par rapport à 1989. La solution consisterait à indexer les minima sociaux sur les salaires ou au moins sur le SMIC. Mais avec la crise, on peut craindre qu’une telle mesure budgétaire ne voie pas le jour. Le SMIC horaire n’a d’ailleurs pas non plus connu de coup de pouce depuis 2007, en dehors de son indexation habituelle.

Avec la RGPP et les différents tours de vis budgétaires, un certain nombre de politiques publiques, notamment dans le domaine de l’insertion, semblent aujourd’hui en péril…

C’est ce qu’affirment beaucoup d’associations qui se plaignent du gel de certaines subventions et des effets de la RGPP. Dans le domaine qui est le mien – les transferts sociaux –, je constate que la mise en place du RSA « activité » a masqué des économies. L’intéressement lié aux minima sociaux a été supprimé au profit de ce nouveau système et la prime pour l’emploi et les coups de pouce au SMIC ont été gelés. Or, lorsque le SMIC augmente moins vite, les allégements de cotisations sociales coûtent également moins cher. Au final, tout cela génère des économies assez importantes. Les transferts financiers vers les travailleurs pauvres ont ainsi été réduits, sous couvert de la mise en place du RSA « activité ». D’autant que les taux de recours à ce dispositif demeurent très faibles, plus de deux ans après sa mise en place. Et je doute du volontarisme politique pour les augmenter.

Le récent rapport de l’inspection générale des finances (IGF) passant au crible les niches fiscales et sociales pourrait-il déboucher sur d’autres mesures d’économies ?

Il est certain qu’on en prend le chemin, comme on l’a vu avec le plan Fillon. Et l’opposition a déjà annoncé que, si elle arrivait au pouvoir, la réforme des impôts se ferait par la suppression d’un certain nombre de niches fiscales. Cela dit, lorsqu’on veut tuer une mesure, on l’appelle « niche ». Il faut distinguer les dispositions qui relèvent du barème de l’impôt, et ont pour objectif une plus grande équité, celles qui créent une dérogation légitime au regard de l’emploi et de l’activité et celles qui ne sont légitimes ni en termes d’équité, ni en termes d’efficacité. Par exemple, certains considèrent la prime pour l’emploi comme la niche la plus coûteuse, avec un coût de 5 milliards d’euros. Il faut pourtant se rappeler qu’elle avait été créée lorsque le Conseil constitutionnel avait refusé que la CSG devienne progressive, le gouvernement Jospin voulant alors créer une première tranche de CSG à 0 %. Dire aujourd’hui que c’est une niche, alors que c’était à l’époque une façon de baisser l’imposition des ménages modestes, est abusif. Il faudra sûrement revoir le système de la prime pour l’emploi et du RSA « activité », mais aussi imaginer des mesures compensatoires pour les bénéficiaires. De même, le rapport de l’inspection générale des finances critique l’abattement de 10 % sur les pensions versées aux retraités. A revenu égal, ces derniers ne paient pas moins d’impôts que les actifs. Cela n’est pas forcément vrai pour les revenus du patrimoine, mais le fait que certains retraités bénéficient de revenus du patrimoine importants ne justifie pas que l’on augmente l’imposition de l’ensemble des retraités.

En ne favorisant pas la croissance, les mesures d’économies budgétaires n’enclenchent-elles pas un cercle vicieux qui aggrave encore le chômage ?

On compare souvent la gestion de l’Etat à celle d’une famille, mais il s’agit de deux réalités très différentes. Quand un ménage est déficitaire, il fait des économies sur ses dépenses. Mais dans le cas d’un Etat, baisser ses dépenses, c’est aussi diminuer ses recettes. Faire de l’austérité en pleine récession n’a en fait que très peu d’effet sur la réduction des déficits. Au niveau macro-économique, il est sûr que les mesures d’économies budgétaires ne devraient venir que dans un deuxième temps, une fois que l’emploi est reparti à la hausse. C’est à ce moment-là que des mesures d’austérité auraient le moins de conséquences en termes de croissance économique. L’erreur des dirigeants européens, de ce point de vue, est de penser que les agences de notation et les marchés sont favorables à une stratégie de réduction des budgets. Pourtant, aucun des plans de rigueur annoncés par des pays dont la dette était attaquée ne s’est traduit par une diminution des taux d’intérêt. Au contraire… Mais il y a une sorte de concours du pays le plus sérieux et le plus économe, celui qui ressemblera le plus à l’Allemagne. Ce processus est contre-productif sur le plan européen. Plus on demande aux Grecs de faire des plans d’austérité, plus leur croissance demeure négative. Or, avec une croissance négative il est impossible de faire baisser le ratio dette/produit intérieur brut.

Existe-t-il une politique alternative qui permettrait de concilier lutte contre les déficits et réduction du chômage, par exemple par une relance massive des emplois aidés ?

Dans un premier temps, il faut relancer la croissance, ce qui aura une action positive sur l’emploi et, si cette relance est concertée sur le plan européen, un faible impact sur les déficits du fait de l’augmentation des recettes. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’il faudra se préoccuper des déficits. En outre, certaines mesures permettent de concilier les deux objectifs, comme un certain partage du travail. Ainsi, si l’on supprime l’exonération des heures supplémentaires, on lutte contre le déficit car cette mesure coûte cher – environ 4 milliards d’euros – et on lutte contre le chômage, cette mesure d’exonération ayant coûté 150 000 emplois. Et avec les budgets dégagés, il serait possible de créer 300 000 emplois jeunes, le temps de sortir de la crise. A budget constant, on pourrait ainsi espérer créer 450 000 emplois.

REPÈRES

Guillaume Allègre est économiste à l’OFCE, centre de recherche en économie de Sciences-Po. Il a publié avec Marion Cochard l’article « Quel impact de la crise sur la pauvreté ? », dans L’économie française 2011 (Ed. La Découverte, 2010). Il est également l’auteur de « L’expérimentation du revenu de solidarité active entre objectifs scientifiques et politiques », dans la Revue de l’OFCE n° 113 (avril 2010).

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