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Métropoles régionales : « Plus on s’éloigne du centre-ville, plus l’exclusion diminue »

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Une capitale embourgeoisée et des banlieues concentrant les situations d’exclusion… Tel est le tableau que l’on dresse généralement de la région parisienne. Mais les métropoles régionales sont-elles fondées sur le même modèle ? Au contraire, répond Gérard-François Dumont, géographe et économiste, au terme d’une vaste étude sur la géographie de l’exclusion.

On tente souvent d’appréhender l’exclusion en observant la seule région parisienne. Or vous avez choisi d’étudier les six grandes métropoles régionales. Pourquoi ?

Les études sur Paris et sa région ne manquent pas. En revanche, la connaissance des réalités de l’exclusion sur le territoire français reste insuffisante. Nous avons donc étudié les six grandes métropoles régionales en cherchant à savoir si leur géographie de l’exclusion était semblable à celle de Paris. Il s’agit de Lille, Lyon, Marseille, Nice, Toulouse et Bordeaux, qui correspondent au deuxième niveau de l’armature urbaine française. Le poids démographique de ces villes étant assez proche, il était logique d’essayer de les comparer.

Vous avez élaboré pour cela un « indicateur synthétique d’exclusion ». Comment opère-t-il ?

Lorsqu’on examine les différentes études sur l’exclusion, on se rend compte que chaque administration ou organisation utilise ses propres sources et indicateurs. Nous avons donc cherché, non sans mal d’ailleurs, à collecter des indicateurs provenant de diverses institutions, puis à les combiner. Nous nous sommes adressés à l’INSEE, à la direction générale des impôts, à la Banque de France et aux caisses d’allo­cations familiales afin d’obtenir des indicateurs territorialisés par commune. C’est cette pluralité des sources qui rend notre approche novatrice.

Quels indicateurs avez-vous retenus ?

Parmi les chiffres de l’INSEE, nous avons utilisé les taux de chômage, de logements HLM, de personnes non diplômées, de familles monoparentales et d’emplois aidés. Dans le domaine fiscal, notre choix s’est porté sur le revenu fiscal médian, sur la part des ménages fiscaux non imposés et sur la limite du premier décile du revenu fiscal des ménages. Du côté de la Banque de France, nous nous sommes surtout intéressés à l’indice de surendettement. Enfin, nous avons collecté auprès des CAF les taux d’allocataires du revenu minimum d’insertion, de titulaires de l’allocation aux adultes handicapés et des bénéficiaires de l’allocation de parent isolé. Une fois toutes ces données recueillies, nous avons testé un certain nombre de pondérations possibles pour construire un indicateur global. Mais il est apparu qu’il n’existait pas d’argument scientifique justifiant de pondérer ces indicateurs entre eux. Ils sont donc considérés comme ayant tous un poids égal dans notre indice synthétique d’exclusion, ou ISE, qui permet de comparer de façon scientifique la situation des territoires en matière d’exclusion.

Au vu de vos résultats, comment l’exclusion se répartit-elle dans les six villes étudiées ?

On aurait pu penser que la répartition de l’exclusion dans ces grandes métropoles régionales était proche de ce que l’on appelle le « modèle parisien ». C’est-à-dire que plus on s’éloigne du centre vers la périphérie, plus l’exclusion devient importante. Or c’est le contraire qui se produit. La concentration de l’exclusion est importante dans les centres-villes et diminue vers les périphéries. Ce résultat met en doute la vulgate qui s’est développée autour du phénomène de « gentrification » (1) des centres-villes. Certes, au cours de la période récente, d’importants chantiers de réhabilitation et d’amélioration des quartiers centraux y ont attiré les catégories sociales supérieures. Ce phénomène est bien réel mais on a pensé, à tort, qu’il suffisait à résumer les dynamiques territoriales des grandes métropoles. Notre analyse montre que, en réalité, deux phénomènes cohabitent dans les villes-centres : la gentrification et l’exclusion. La situation est donc très contrastée. A l’inverse, dans les couronnes proches puis intermédiaires, la situation est plus homogène, même si certaines communes concentrent des logements sociaux avec un niveau d’exclusion élevé. Mais d’autres communes ont choisi un urbanisme plutôt pavillonnaire regroupant des catégories socioprofessionnelles moyennes ou supérieures, avec un niveau d’exclusion relativement faible.

La ville de Lyon échappe un peu à ce modèle…

Effectivement, Lyon se distingue des autres métropoles régionales car elle a été l’une des premières à mettre en œuvre une politique de réhabilitation de son centre-ville, en particulier dans des quartiers à dominante traditionnellement industrielle, comme la Croix-Rousse et Vaise. Le résultat de ces choix d’urbanisme est que l’ISE de la ville-centre de Lyon est assez proche de celui de la moyenne du territoire de l’agglomération. A l’inverse, les villes-centres de Lille, Tourcoing et Roubaix ont un ISE nettement plus élevé que celui de l’ensemble de leur unité urbaine. L’exemple de Lyon peut laisser penser que les autres métropoles pourraient évoluer de façon similaire dans la mesure où celles-ci ont entrepris plus tardivement les travaux de réhabilitation de leurs quartiers centraux. Néanmoins, je pense qu’une proportion importante de populations exclues continuera à vivre dans les centres-villes car celles-ci y trouvent des opportunités supérieures par rapport aux zones périphériques.

Justement, pour quelles raisons le niveau d’exclusion des centres-villes reste-t-il élevé ?

Il existe plusieurs facteurs explicatifs. Je citerai en premier lieu la désindustrialisation des centres-villes, qui a laissé sans emploi toute une part de la population ouvrière. Il y a ensuite la présence importante de migrants qui bénéficient, dans certains quartiers centraux, de réseaux de compatriotes, de possibilités de petits boulots et de logements peu chers avec la persistance d’un bâti ancien et dégradé où se concentrent les ménages pauvres. Une forte présence estudiantine est un troisième facteur, compte tenu de la précarité dans laquelle vivent nombre d’étudiants. Par ailleurs, un certain nombre de communes-centres, comme à Toulouse, comportent des grands ensembles dans lesquels logent beaucoup de ménages modestes. Enfin, les centres-villes attirent les populations marginalisées, notamment les personnes sans abri, qui y trouvent des conditions de vie moins difficiles que dans le périurbain ou en milieu rural.

Les métropoles françaises fonctionneraient donc davantage sur le modèle nord-américain…

Oui, même si ce modèle a, lui aussi, considérablement évolué. Traditionnellement, en Amérique du Nord, les pauvres vivent dans le centre-ville tandis que les classes moyennes et les riches habitent dans les première et deuxième couronnes. Mais on assiste, là aussi, à un mouvement de réhabilitation des centres-villes, au moins dans certains Etats. Les grandes métropoles régionales françaises sont dans une logique similaire, avec des centres-villes mariant l’exclusion et la gentrification. Toutefois, la comparaison s’arrête là car les populations sont très différentes. En particulier aux Etats-Unis, avec la présence des Afro-Américains descendant de l’esclavage qui restent très marginalisés. En outre, il n’existe pas de concentration ethnique de personnes de même origine dans les quartiers français, contrairement aux Etats-Unis et à l’Angleterre.

Quels enseignements peut-on tirer de votre étude en matière de lutte contre les exclusions ?

Notre approche me semble avoir fait ses preuves dans la mesure où elle apporte des connaissances précises et fort utiles sur les grandes agglomérations régionales. Il serait donc tout à fait intéressant de l’appliquer à d’autres territoires et aussi, peut-être, de l’affiner si nos services publics veulent bien fournir des statistiques plus fines, plutôt que de pratiquer une relative rétention de l’information. La lutte contre les exclusions suppose de faire d’abord un bon diagnostic. Or ceux qui ont été réalisés auparavant me paraissaient insuffisants, ce qui explique que les politiques mises en œuvre ces dernières décennies n’ont pu contribuer à résoudre suffisamment la question de l’exclusion. Notre approche géographique du problème peut aider les décideurs publics qui disposent de leviers efficaces, par exemple avec les plans locaux d’urbanisme. Il serait en effet utile d’y introduire des logiques favorisant à la mixité sociale et générationnelle. Il faudrait également favoriser le développement de réseaux de transports publics permettant de réduire l’exclusion, car certains quartiers, même situés dans la partie centrale des agglomérations, restent relativement enclavés, mal desservis par les réseaux de transports publics. Ce qui, entre autres, rend difficile l’accès des habitants au marché du travail.

REPÈRES

Gérard-François Dumont, géographe, économiste et démographe, enseigne à l’université Paris IV. Il préside l’Observatoire international de prospective régionale et dirige la revue Population & Avenir. Il publie Géographie urbaine de l’exclusion dans les grandes métropoles régionales françaises(Ed. L’Harmattan, 2011). Il est également coauteur du Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie (Ed. PUF, 2011) et a publié La France en villes (Ed. Sedes, 2010).

Notes

(1) De l’anglais gentry (petite noblesse), la « gentrification » est le processus par lequel le profil économique et social des habitants d’un quartier se transforme au profit d’une couche sociale supérieure.

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