Viols, assassinats, agressions, persécutions politiques et religieuses… « Les récits ressemblaient aux récits. Aucune différence. Sauf quelques détails, de date et de nom, d’accent et de cicatrice. C’était comme si une seule histoire était racontée par des centaines d’hommes et la mythologie était devenue réalité […]. J’écoutais leurs histoires aux phrases coupées, hachées, éjectées comme on crache. » La narratrice est interprète pour clandestins. Les premiers temps, elle reste neutre. Au bout d’une année, elle se dit « lessivée, amère, agacée ». Dans les premières pages d’Assommons les pauvres !, elle passe la nuit au poste. Elle a été mise en examen pour avoir fracassé une bouteille sur la tête d’un demandeur d’asile. Pourquoi une telle violence ? Marre des mensonges de ces hommes venus du même dénuement qu’elle et qui lui rappellent que sa condition actuelle ne tient qu’à un fil ? « Tout s’embrouillait et se confondait dans ma tête qui avait su, depuis longtemps, effacer le souvenir de la misère », écrit l’héroïne, vraisemblablement indienne. Depuis longtemps déjà, cette femme a franchi la « barrière » et s’est occidentalisée. C’est sur le paradoxe de son existence que se fonde son mal-être. Il y a peu d’action dans ce récit qui se lit comme une succession de tableaux et de scènes, lesquels fouillent aussi bien les consciences qu’ils peignent la violence du monde. On y trouve surtout de nombreuses réflexions, d’une part, sur la roublardise des avocats, l’insensibilité des juges, la pression des travailleurs sociaux et, d’autre part, sur les « sauveteurs-employeurs », passeurs de mieux en mieux organisés, qui promettent à ces hommes – contre de fortes sommes d’argent – une vie meilleure, créant en France « un autre bazar, celui d’une fabrique de récits, de faux documents ». Assommons les pauvres ! : un titre énigmatique, tout droit sorti d’un poème en prose de Baudelaire. Shumona Sinha, l’auteure d’origine indienne et qui vit à Paris, est une poétesse reconnue. Le livre, court, est écrit avec cette touche de poésie qui donne le goût de tourner ses pages.
Assommons les pauvres ! – Shumona Sinha – Ed. de l’Olivier – 14 €