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Quelle posture éducative en Sessad pour les enfants handicapés moteurs ?

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Dans le champ du handicap moteur, les services d’éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad) interviennent auprès de familles qui n’ont pas demandé d’accompagnement éducatif. Une situation qui fragilise l’identité des professionnels, analyse Carine Maraquin, psychologue clinicienne en Sessad.

« Dans les Sessad qui fonctionnent réellement à domicile, comme leur nom l’indique, le quotidien de la pratique des éducateurs se déroule à l’extérieur de l’institution, majoritairement au sein des familles. Cette pratique (1) reste originale dans le champ médico-social et pose des questions particulières en termes de positionnement professionnel.

Dans le champ du handicap moteur, une autre particularité s’y ajoute : les familles avec lesquelles nous travaillons ne sont pas, ou rarement, identifiées comme des familles rencontrant des problèmes dits “éducatifs”, et n’ont donc pas ou ont peu de “demande” en termes éducatifs.

Quelle posture la fonction éducative peut-elle alors prendre dans le paysage du Sessad ?

L’accompagnement, comme posture idéale du lien qui relie les professionnels aux usagers de leurs services, peut être défini comme une façon de “prendre soin” de l’autre, au sens du care. A travers cette acception, l’accompagnement devient une posture commune à toutes les disciplines professionnelles (médicales, rééducatives, sociales, psychologiques, enseignantes, éducatives) d’un Sessad, et non spécifique au domaine éducatif. Les éducateurs, comme les autres professionnels, prennent soin des enfants dont ils s’occupent.

On peut aussi inverser ce propos, et postuler que les soignants sont tous des professionnels qui éduquent, au sens d’éduquer, du latin ex ducere : guider hors de, former l’esprit de quelqu’un, développer ses aptitudes, c’est-à-dire aider la personne à se passer de nous. Bien au-delà des soins physiques apportés à un enfant, c’est bien cela que fait un Sessad, même dans le champ de la déficience motrice : permettre à des familles, dans leur milieu naturel de vie, de se relever du traumatisme, de préserver des liens et d’en recréer, de ne pas succomber à la dépression ou au chaos vers lesquels le handicap peut emporter toute une famille ; soutenir chaque membre dans sa quête d’exister comme sujet (sujet de pensée, d’émotion, de droit, de parole, d’action).

Le Sessad, par son ouverture à l’extérieur (sa perméabilité) est certainement, plus que toute autre institution, envahi de ces enjeux : le soin ou l’éducation ne peuvent lui suffire car ses professionnels sont confrontés quotidiennement à la vie “réelle” des familles, qui leur rappelle l’indissociabilité de ces deux aspects. Par exemple : la multiplication des rééducations n’apporte aucune aide à la vie sociale d’un enfant rejeté dans une cour ; de même l’aide éducative ne sera jamais celle qui permet à un enfant de se tenir debout et de se regarder entier dans un miroir pour la première fois.

Les clivages entre le soin et l’éducation sont pourtant constatés dans bon nombre d’équipes, et sont sans doute à l’image de la quête identitaire de professionnels un peu perdus dans cette approche si globale de la personne. Parfois la hiérarchie ou l’organisation des institutions donne une réponse, classe, favorise l’une ou l’autre de ces deux tentations. D’ailleurs l’architecture même parle au nom de ce clivage quand elle sépare géographiquement le médical du social. Par exemple, dans un service hospitalier, l’étage supérieur se consacre au soin du corps pendant que le rez-de-chaussée s’occupe des activités du quotidien.

Posture ou regard

L’éducation spécialisée se trouve peut-être là au sein d’un tiraillement insoluble en Sessad, chercher une place spécifique à l’éducation y est peut-être peine perdue en termes de posture, et ne serait possible qu’en termes de regard. Là se situe avec certitude la spécificité de chaque profession en Sessad : poser un regard unique sur une situation donnée. Cette différenciation ouvre alors à une potentielle collaboration pluridisciplinaire extrêmement riche.

Une autre tentation résiderait dans une posture d’agent d’une paix sociale, en quelque sorte. L’éducation spécialisée, apportant une norme éducative, se situerait alors comme un moyen de pallier des compétences éducatives parentales défaillantes, comme dans le cadre d’un mandat social (administratif ou judiciaire). Or la majorité des familles qui demandent l’intervention d’un Sessad pour leur enfant en situation de handicap moteur ne vient pas pour cette raison et entend justement s’y présenter et y être reçue autrement. Les familles y arrivent alors tout simplement dans un parcours classique de soin (hôpital-centre d’action médico-sociale précoce-Sessad) et elles peuvent se sentir blessées par l’imposition d’un accompagnement éducatif, qu’elles vivront comme une mise en cause de leurs capacités à éduquer seules et bien leurs enfants. Cela risque d’ajouter un poids à une blessure narcissique déjà inhérente au handicap. L’intervention à domicile vient poser un regard sur ce qui se passe dans l’intimité des familles et concrétise ainsi parfois la peur ou le fantasme d’une surveillance ou d’un contrôle.

Des familles en témoignent lorsqu’elles disent, à l’extérieur du service ou après des années de suivi, combien le passage d’un éducateur (ou l’assistant social et le psychologue) les amenaient à camoufler certaines choses de leur vie ordinaire : cacher du désordre, une personne, mentir…

La société dispose d’autres institutions pour tenir ces postures normatives, qui d’ailleurs sont portées par une dimension institutionnelle que l’on sait indispensable pour soutenir des fonctions paternelles, maternelles et familiales déstructurées. Et nous pouvons travailler avec elles, à condition de se différencier, dans un partenariat fructueux (2).

Les Sessad visent certes à soutenir aussi la fonction parentale, mais en s’appuyant sur l’identité familiale et ses modes de transmission tels qu’ils existent et pas forcément pour les modifier. L’éducation spécialisée est alors là pour aider les parents à adapter leur modèle éducatif à la spécificité de la déficience ; à transmettre leurs valeurs bousculées par l’expérience du handicap ; à consolider les compétences des parents et des enfants; à étayer leur lien ; à inscrire cet enfant dans cette filiation, malgré sa différence.

Cette pratique particulière du domicile, auprès de familles qui n’ont pas demandé d’accompagnement éducatif, peut être considérée comme un facteur fragilisant l’identité même des professionnels et notamment celle des éducateurs. Elle engage ses acteurs à reconnaître les émotions complexes et insécurisantes qui les traversent, pour chercher et ajuster en permanence une posture “tenable”, entre utilité et non-agression des familles. »

Contact : c.maraquin@free.fr

Notes

(1) Prendre en charge à domicile l’enfant handicapé. Les Sessad – Sous la dir. de Daniel Terral – Ed. Dunod, 2006 (2e édition).

(2) « De l’utilité des tiers comme garde-fous de nos actes », Carine Maraquin, in Au risque de la relation. La question du lien dans les pratiques d’accompagnement des personnes handicapées – Actes des XXIIes journées d’étude d’APF Formation, 2009.

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