« Ce n’est plus gérable. L’urgence sociale, personne n’y croit […] On est dans le “c’est pas moi, c’est toi : c’est du ressort de l’Etat, non, c’est celui de la mairie”. Ils se tirent dans les pattes […]. Je me suis battu toute ma vie, je ne veux pas couvrir ça. » C’est dans un entretien à Charlie hebdo paru le 20 juillet que Xavier Emmanuelli, 72 ans, a annoncé sa démission de la présidence du SAMU social de Paris. Celui qui fut secrétaire d’Etat chargé de l’action humanitaire d’urgence de 1995 à 1997 dans le gouvernement Juppé claque ainsi la porte de la structure qu’il a fondée en 1993 avec l’aide du maire de Paris de l’époque, Jacques Chirac, dans l’idée d’appliquer aux problèmes sociaux les méthodes de l’urgence médicale. Il continuera néanmoins à présider le SAMU social international qu’il a créé en 1998.
Sa démission – qui n’interviendra qu’à la fin de l’année, selon la direction du SAMU social – n’est pas vraiment une surprise pour Bernard Lacharme, secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, que préside Xavier Emmanuelli depuis 1997. « Il s’est battu toute sa vie pour qu’on améliore la prise en charge des grands exclus et il vivait très mal les décisions gouvernementales qui contribuaient à dégrader le service. » Déjà le mois dernier, il avait dénoncé les restrictions budgétaires imposées au SAMU social, financé par l’Etat à 92 %, et leur impact sur l’hébergement des familles à l’hôtel (dont le financement a été amputé de 25 %) ou sur l’hébergement d’urgence. Il avait aussi dû fermer son seul centre d’hébergement d’urgence accueillant des femmes dans le XIe arrondissement parisien, vétuste et délabré. Ce manque de moyens, auquel s’est ajoutée l’expérimentation de quotas les obligeant à refuser toute nouvelle entrée dans le dispositif 115 qui ne soit pas compensée par deux sorties, avait d’ailleurs amené des dizaines de salariés du SAMU social à un mouvement de grève début juillet.
La décision de Xavier Emmanuelli est « un cri d’alarme parfaitement justifié », a estimé, le 20 juillet sur Europe 1, Christophe Deltombe, président d’Emmaüs France. Elle s’inscrit, en effet, dans un contexte de crise générale de l’ensemble du secteur de l’urgence et de l’insertion. « Une crise sans précédent qui est de la pleine responsabilité de l’Etat, et qui ne pourra que s’accentuer à l’entrée de l’hiver, avec des conséquences déjà dramatiques pour des centaines de familles en grande difficulté », prévient Bertrand Delanoë, maire (PS) de Paris. Si ce dernier rend hommage à celui qui s’est forgé une image de « médecin des pauvres », Jean-Paul Huchon, président du conseil régional d’Ile-de-France « partage son indignation » : « Dans nos départements et notre région, cette obligation d’accueil inconditionnel des sans-abri – pourtant l’un des fondements républicains de la solidarité nationale – n’est plus mise en œuvre par l’Etat. » Une situation pourtant largement dénoncée par les associations du secteur et qui risque encore de s’aggraver puisque le budget consacré à l’accueil, l’hébergement et l’insertion en loi de finances initiale de 2012 devrait être identique à celui voté en 2011, déjà en baisse de 3 % (1). « Si spectaculaire soit-elle, la démission du fondateur du SAMU social n’est que la partie émergée d’un profond malaise, commente Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile. Sous les coups portés avec méthode par les néoconservateurs qui désignent l’exclusion comme un poids coûteux pour la nation, l’ensemble du secteur social est menacé. »
Mais au-delà de la restriction des moyens et de ses conséquences sur la prise en charge, c’est la remise en cause du concept d’« urgence sociale », auquel il a donné un contenu opérationnel, que Xavier Emmanuelli ne supporte plus. « On nous dit que, pour lutter contre la pauvreté, la solution, c’est le logement d’abord. Et on détruit la notion d’hébergement d’urgence, qui est quand même le premier sauvetage. Quand vous n’avez pas de centres d’hébergement, que les types ne sont pas autonomes, que 30 % d’entre eux ont des problèmes psychiatriques, comment on fait ? », s’interroge-t-il dans Charlie hebdo.
Des « incompréhensions »
S’il regrette la démission de l’« une des figures emblématiques de l’hébergement en France », Benoist Apparu, secrétaire d’Etat au logement, souligne qu’elle intervient effectivement à un moment où le gouvernement défend « une nouvelle stratégie » qui n’est pas forcément partagée par Xavier Emmanuelli. Marie-Françoise Lavieville, adjointe d’Alain Régnier, délégué interministériel à la coordination de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées, préfère parler d’« incompréhensions » entre le fondateur du SAMU social et la politique menée par le gouvernement. « La priorité donnée par l’Etat au logement ne signifie pas faire disparaître le secteur de l’hébergement mais en faire une solution transitoire vers le logement, argumente-t-elle. Les coupes budgétaires concernent principalement les nuitées d’hôtel, qui ont considérablement augmenté pour faire face à l’augmentation des personnes à la rue. On ne peut les développer à l’infini. Il faut aller vers des solutions plus satisfaisantes comme l’intermédiation locative [2]. »
Cette démission aura, au moins, permis aux associations d’obtenir le rendez-vous qu’elles réclamaient en vain avec le Premier ministre. François Fillon, qui assure que « la situation des personnnes sans abri constitue une préoccupation permanente du gouvernement » et se dit, « à titre personnel, très attentif à ces personnes », a promis de les rencontrer dès la rentrée « pour faire le point avec elles sur la préparation de l’hiver et, plus largement, sur les difficultés rencontrées ».
(1) C’est ce qu’a déclaré Benoist Apparu au « Collectif des associations unies pour une nouvelle politique publique du logement » – Voir ASH n° 2717 du 8-07-11, p. 22.
(2) Dispositif dans lequel une association joue le rôle de tiers entre le bailleur et l’occupant pour assurer le paiement du loyer.