Créés par la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, les centres éducatifs fermés (CEF) et les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) remplissent-ils leurs objectifs ? Une mission d’évaluation confiée par la commission des lois du Sénat à François Pillet (UMP) et à Jean-Claude Peyronnet (PS), dont les conclusions ont été rendues publiques le 12 juillet (1), enfonce le clou sur les défauts des deux dispositifs. Plusieurs rapports (2) ont, en effet, déjà formulé des préconisations pour les corriger, dont certaines sont déjà prises en compte (3).
Ce nouveau document est toutefois nettement moins critique sur le dispositif des CEF, qui « mérite d’être pérennisé et même étendu », que sur les EPM, « dont le mode de fonctionnement devrait être revu sur plusieurs points ». Même si un premier constat prévaut dans les deux cas : leur efficacité est difficile à mesurer en l’absence de données pertinentes sur le devenir des jeunes concernés, en termes de réitération et de réinsertion, que les rapporteurs proposent de résoudre par une amélioration de la connaissance statistique.
Sur les CEF (au nombre de 44, soit 488 places), les deux sénateurs s’en remettent donc à l’« appréciation plutôt positive » des magistrats, qui « se traduit par un fort taux d’occupation, proche dans certaines régions de la saturation ». Ils émettent néanmoins des réserves sur l’élargissement du public accueilli prévu par la loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (4). La possibilité d’y placer des primodélinquants, et non plus seulement des multirécidivistes et des multiréitérants, comme le prévoit leur cahier des charges, devrait, selon eux, « être limitée aux mineurs ayant commis des faits de nature criminelle ou pour lesquels le risque de réitération apparaît particulièrement élevé ». Ils invoquent un risque d’extension au détriment d’autres modes de prise en charge adaptés et moins coûteux que les CEF (640 € en moyenne par jour) et souhaitent que la capacité globale des foyers « classiques » relevant de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) soit maintenue. La mission suggère en revanche d’assouplir les conditions de placement en CEF pour leur permettre de continuer de prendre en charge un jeune au-delà de sa majorité. Egalement pour éviter les ruptures de l’accompagnement éducatif, elle préconise qu’un mineur condamné au cours de son placement à une peine d’emprisonnement ferme soit incarcéré prioritairement en EPM. Autre point préoccupant : la difficulté des magistrats à placer en urgence un mineur dans les CEF, faute de places ou par refus des centres en raison d’une inadéquation avec le projet mis en place. Cette question devrait être « sérieusement débattue » dans le cadre de la redéfinition du cahier des charges, estiment les auteurs, dans le respect du travail éducatif mené et de la mission des CEF d’alternative à l’incarcération.
Pour renforcer « la cohérence globale » du dispositif, les sénateurs préconisent que l’implantation des CEF soit davantage corrélée avec les bassins de délinquance, notamment dans les régions les plus urbanisées, et que les relations avec les partenaires locaux soient systématiquement formalisées. Et de pointer la situation des mineurs atteints de troubles mentaux : « Faute de places suffisantes en institut éducatif, thérapeutique et pédagogique (ITEP), les juges des enfants sont parfois tentés de les orienter vers un CEF », relèvent-ils, en recommandant une meilleure articulation entre la PJJ et les services de santé mentale, ainsi qu’un plus grand nombre de places en ITEP. De même, ils regrettent le manque d’implication de l’Education nationale et des conseils généraux dans le suivi des mineurs à l’issue de leur placement. Les rapporteurs formulent par ailleurs une série de préconisations relatives aux personnels, qui doivent être suffisamment formés ou expérimentés, recrutés de préférence sur la base du volontariat et en nombre suffisamment élevé. Enfin, constatant la variété des fonctionnements existants, ils recommandent des outils pour favoriser « les échanges d’expériences et de bonnes pratiques ».
Quant aux EPM, au nombre de six, ils disposent au total de 350 places. Au 1er janvier 2011, sur 688 mineurs incarcérés, 34 % l’étaient en EPM et 66 % en quartiers pour mineurs. Mais cinq ans après les premières ouvertures d’EPM, les auteurs regrettent « le poids des désillusions » et des « choix initiaux contestés ». Ils font état d’une implantation déséquilibrée, conduisant notamment à une suroccupation de l’EPM de Marseille, avec tous les inconvénients qui en découlent sur le plan éducatif. Le nombre de violences apparaît par ailleurs « encore plus fort en EPM qu’en quartiers mineurs », en raison de choix architecturaux inadaptés et de la pression que représente, pour les mineurs, « la prépondérance des temps collectifs » sur les temps individuels. Le fonctionnement du binôme surveillant/éducateur pose problème, en raison de l’imprécision qui demeure sur les rôles impartis à chacun, confusion aggravée par l’inexpérience des personnels et la différence des rythmes de travail.
L’effet de la prise en charge intensive est de surcroît « largement neutralisé par la durée souvent très courte de détention » (2,5 mois en moyenne). Au-delà, « la capacité des EPM à favoriser la réinsertion peut être fragilisée par les conditions de recours à ce type de structures, la difficulté à maintenir les liens avec l’extérieur, ainsi que par la faiblesse des mesures d’aménagement de peine ».
Pour autant, les auteurs refusent de « prononcer un constat d’échec » et recommandent des « évolutions rapides et significatives », sans lesquelles « la charge que représentent les EPM pour la Nation pourrait difficilement être acceptable ». Première exigence : évaluer de manière précise le coût d’une journée de détention en EPM (estimé sur la base de l’analyse d’un établissement à environ 570 €). Ils préconisent de réserver la détention en EPM aux mineurs incarcérés pour au moins trois mois et de garantir l’individualisation de la peine, en particulier à travers des régimes de détention différenciés, « ce qui implique le respect absolu du numerus clausus ». A ce titre, le rapport propose une réflexion sur le rééquilibrage des lieux de détention des mineurs. Pour éviter les « sorties sèches » qui ne favorisent pas la réinsertion, il appelle à la mise en place de cellules de semi-liberté dans les EPM, ce qui inciterait les magistrats à prononcer plus facilement des aménagements de peine. Autres priorités : « encourager la stabilité et la qualité des personnels, notamment par un profilage des postes », « développer de réelles synergies » au sein du binôme surveillant/éducateur et garantir le travail pluridisciplinaire des trois ministères concernés – Justice, Education nationale et Santé –, « qui ne doit pas seulement aboutir à la juxtaposition de moyens humains et financiers ».
(1) Disp. sur
(2) De l’ancienne défenseure des enfants (voir ASH n° 2670 du 20-08-10, p. 22) et du contrôleur général des lieux de privation de liberté (voir ASH n° 2686 du 10-12-10, p. 5) sur les CEF et des inspections de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sur les EPM (voir ASH n° 2706 du 22-04-11, p. 5).
(3) Le cahier des charges des CEF et le guide méthodologique des EPM sont en cours de réécriture – Voir ASH n° 2718 du 15-07-11, p. 5.