Une grande bâtisse au milieu du village, à deux pas de l’église. Du grès rose des Vosges, et une ambiance calme de retraite, loin des bruits de la ville. L’Institut des aveugles (1) est situé à Still, une petite commune d’Alsace posée sur les contreforts des Vosges, à quelques kilomètres de Strasbourg. Dans les entrailles de cet ancien château, entre les murs duquel les Sœurs de la Croix créèrent l’institut en 1895, des petites pièces, des couloirs sombres, du mobilier des années 1970. « C’est la partie de l’institut qui fera l’objet de la seconde phase des travaux, explique Marie-Clothilde Kipp, la directrice des lieux. Quelques groupes de vie sont encore logés dans ce bâtiment, mais tous les autres sont aujourd’hui installés à l’arrière, dans la nouvelle aile. »
De fait, une fois traversé le secteur administratif, les corridors s’élargissent, la peinture blanche encore fraîche reflète la lumière, ça sent le neuf. On traverse d’abord le tout nouveau plateau médico-technique, qui compte à présent une salle de sports équipée pour le fitness, une pièce dédiée à la « balnéothérapie » avec sa piscine carrée, une salle de stimulation sensorielle « snoezelen », une salle pour la psychomotricité et une autre pour la kinésithérapie. On arrive ensuite au nouveau bâtiment doté de 36 chambres et, enfin, au jardin sensoriel ou « jardin des senteurs et des saveurs », où il est possible de venir cueillir une herbe aromatique, déguster un fruit ou simplement se promener dans l’allée circulaire. Ces travaux de grande ampleur sont à mettre au crédit de l’association Adèle de Glaubitz (2). Créée en 1992, celle-ci œuvre aux quatre coins de l’Alsace au service de différents publics : jeunes en difficulté, enfants et adultes handicapés mentaux, personnes atteintes d’un handicap sensoriel ou âgées, malades ou dépendantes. Ses objectifs : « Le développement des personnes prises en charge, en leur garantissant, au regard de leurs capacités, le meilleur niveau d’autonomie et d’intégration sociale et professionnelle, et en mettant en œuvre les actes thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques les plus pertinents. »
Aujourd’hui, l’association emploie plus de 1 100 professionnels, au service des 1 700 personnes accueillies dans ses nombreux établissements et services implantés dans toute la région. Parmi celles-ci, 211 personnes présentant une déficience visuelle, dont 93 adultes vivant à l’Institut des aveugles de Still, 40 résidents hébergés dans le foyer d’accueil spécialisé (FAS) et 40 autres dans le foyer d’accueil médicalisé (FAM). Aveugles ou malvoyantes, ces personnes sont atteintes de surcroît d’un ou de plusieurs handicaps associés (déficience mentale avec ou sans troubles autistiques, déficience motrice), ainsi que de divers troubles psychiques ou du comportement. Une quinzaine d’autres personnes sont accueillies en foyer d’hébergement dans des studios du village de Still ou à Mutzig, une petite ville toute proche. Elles sont employées par l’atelier de Still, géré par l’établissement et service d’aide par le travail (ESAT) Saint-André, relevant également de l’association Adèle de Glaubitz.
Souffrant de plusieurs handicaps associés, les personnes vivant à l’institut requièrent la présence constante de professionnels pour les actes essentiels de la vie quotidienne. Le personnel éducatif compte 39 personnes : éducateurs, moniteurs-éducateurs, aides médico-psychologiques (AMP)… S’y ajoutent des aides-soignants, des infirmières (pour deux postes et demi), un psychiatre et une psychologue à mi-temps, une psychomotricienne (en cours de recrutement), deux chefs de service éducatifs et une directrice. « Le projet d’établissement bâtit des projets très individualisés, souligne la directrice, afin de permettre à chacun d’optimiser ses potentialités et de développer sa vie sociale, affective, intellectuelle et spirituelle. »
L’équipe pluridisciplinaire met tout en œuvre pour accompagner les personnes dans les actes de la vie quotidienne, afin de leur assurer « un bien-être maximum, un suivi médical dans le but d’éviter une aggravation de leur état de santé, et un soutien psychologique dans la construction identitaire et les épreuves de la vie ». Il s’agit d’offrir à ces personnes un milieu sécurisé, dans un environnement adapté à la déficience visuelle et chaleureux, favorisant la communication et l’expression de chacun. L’institut propose aussi des activités et des animations en s’appuyant sur les potentialités de chacun, en encourageant la participation sociale à l’intérieur comme à l’extérieur, et en essayant de préserver la qualité du lien avec les familles et l’environnement. Les personnes autistes bénéficient, de plus, d’un accompagnement spécifique dans de petites unités de vie de cinq personnes, au lieu de huit à douze pour les autres. Le tout pour un budget global de fonctionnement qui, en 2011, se monte à 5 371 000 €.
Débuté en décembre 2007, le chantier de rénovation, qui vise à faciliter la réalisation des objectifs occupationnels, pédagogiques et médicaux de l’association, se déroule en deux phases successives. Aujourd’hui achevée, la première tranche a permis la construction du bâtiment d’hébergement de 36 chambres individuelles avec salles d’eau privatives. Mais également la réhabilitation de la chapelle en salle de réunion et de spectacle – « où pourront se produire les membres de l’atelier théâtre, ou être projetés des films pour tous », se réjouissent Marie-Clothilde Kipp et ses collègues – ainsi que la transformation du plateau médico-technique.
Ce dernier, riche à présent d’une salle d’éveil « snoezelen » répondant à un cahier des charges assez strict, propose une stimulation des différents sens. Là, de longues tiges de fibres optiques permettent de stimuler des « restes visuels » chez des résidents malvoyants. Ici, un plateau vibratoire fonctionne au rythme de la musique. Là encore, des coussins dans lesquels on peut se mettre à l’aise et se faire masser. Ce dispositif, « conçu pour éveiller les sens en douceur et aider les personnes les plus lourdement handicapées à retrouver des perceptions sensorielles, sans objectifs pédagogiques ni obligatoirement curatifs, ne constitue pas une technique d’apprentissage ou d’acquisition de performances, mais un ensemble de stimulations », expliquent les responsables de l’institut. « Toujours au stade de l’expérimentation, reconnaît Brigitte Pfister, chef de service éducatif, la salle “snoezelen” n’est pas encore utilisée de façon optimale par l’équipe. » Cette dernière doit y être progressivement formée, puis devra « trouver ses marques et identifier le public qui pourrait le mieux en profiter ». « Ce que l’on peut déjà dire, poursuit Brigitte Pfister, c’est que le temps passé dans cette salle en tête à tête avec un résident nous permet de mieux le comprendre et communiquer avec lui. Les moments passés ici sont des moments de détente, et c’est très appréciable pour nous. Avec les autistes, qui ont notamment du mal avec le toucher, ou avec les personnes sans aucune communication verbale, cet outil supplémentaire est un vrai plus. » D’un coût de 18 000 €, financés comme le reste du plateau technique par des partenaires privés, ce nouvel outil de prise en charge reste encore « à intégrer dans le planning des activités de jour », précise la chef de service.
Dans la pièce adjacente, l’espace de balnéothérapie autorise une prise en charge par un éducateur ou par la kinésithérapeute d’un petit groupe de résidents. Il s’agit de proposer une exploration sensorielle par le contact de la peau avec l’eau, favorisant l’intégration corporelle et la conscience de soi, par des mouvements dans un milieu aquatique, nouvel espace investi, et par l’orientation dans ce milieu. Il s’agit aussi de soutenir un travail moteur (tonicité musculaire, assouplissement du corps le plus souvent rigide, expériences de l’équilibre et du déséquilibre) et un travail relationnel (attachement-détachement, séparation-individuation, échanges sociaux favorisés par un travail à deux ou à trois). « L’une de nos résidentes peut se déplacer seule dans l’eau, alors qu’à l’air, dans les couloirs, elle n’en est plus capable, se réjouit Denise Duwald, l’une des sept éducatrices spécialisées de l’institut. Là, elle se sent légère et en sécurité. » « Par des massages ou de la nage à contre-courant, on peut aussi proposer de la rééducation à des personnes âgées qui ont fait une chute par exemple, précise Rachel Bessot, l’une des 20 aides-soignants et AMP employés sur le site. Avant, pour faire tout cela, on devait prendre un bus et aller à la piscine. C’était beaucoup plus compliqué. »
Entièrement repensée, la salle de sports de l’institut comprend désormais du matériel de fitness classique, un tapis de marche et des bancs suédois pour les exercices d’équilibre, mais également un vélo tandem et un tricycle adapté aux personnes handicapées. « Avant, nous n’avions qu’un embryon de salle de sports, confie une éducatrice. La majorité de nos activités sportives sont d’ailleurs encore organisées à l’extérieur, et uniquement à destination du public qui peut sortir pour pratiquer du judo, de l’équitation, de l’escalade, de la natation, de la randonnée ou encore du vélo. Désormais, nous allons pouvoir faire travailler et préparer à la sortie ceux qui ont plus de mal à se déplacer. »
Motiver, entraîner, maintenir en forme : « La palette de nos outils s’agrandit », se félicite la directrice. « Je lui tire un grand coup de chapeau », indique à son propos Isidore Halberg, beau-frère d’une résidente hébergée à l’institut depuis une trentaine d’années et président du conseil de la vie sociale, qui rassemble des résidents, des élus et des représentants des familles et du personnel. « C’est grâce à elle que tous ces changements ont eu lieu, aussi bien sur le plan matériel avec les travaux et la restructuration que dans l’esprit du lieu par le mode de prise en charge, les activités et les relations entre le personnel et les résidents. » Une transformation qui a tout de même bousculé les habitudes. « Il y a eu une remise en cause profonde des méthodes de travail antérieures, reconnaît Isidore Halberg. Alors, bien sûr, certains membres du personnel semblent avoir eu des difficultés à s’adapter. Mais entre hier et aujourd’hui, il n’y a pas photo ! Aucun résident ne voudrait revenir en arrière. »
Suite de la visite. Pour accéder à la cour de l’institut depuis les salles médico-techniques, un simple escalier. Là, une grande cour avec, au fond, les salles d’activité (céramique, bois, vannerie, sports…). A gauche, l’aile ancienne ; à droite, l’annexe flambant neuve. A l’extérieur, de grandes jardinières apportent couleurs et odeurs à ce vaste espace, auparavant vide. Dans les bacs poussent des plantes aromatiques, du thym, du romarin… et quelques fruits, qui constituent le tout nouveau « jardin du goût » de la maison.
C’est Patrick Schleiss, éducateur diplômé en horticulture, qui est chargé de faire vivre ce petit potager. Les résidents, épaulés par Claude Louis, animateur technique spécialisé en poterie, ont été chargés de la décoration. « Tous ces objets en terre et ces plantes rappellent un peu l’univers des contes, souffle Dominique Bailly, éducatrice spécialisée, chargée d’un groupe de vie d’une dizaine de personnes depuis vingt-quatre ans. C’est vraiment très agréable pour nous comme pour les personnes qui vivent ici et qui n’avaient avant que très peu de contacts avec la nature. » Ce jardinet, comme celui des « senteurs et des saveurs », créé dans le parc en contrebas, a une mission thérapeutique, éducative et ludique. Le second jardin, tout en courbes, a en effet pour vocation d’encourager les activités physiques, de marche et de découverte de l’environnement, essentielles pour les personnes aveugles, souvent confinées dans une attitude de repli sur soi. « Son adaptation à la déficience visuelle en fait un espace sécurisé aux repères diversifiés, pour permettre des déplacements en toute autonomie, assurent ses concepteurs. Ce jardin sensoriel aide à stimuler l’odorat, avec le parfum des fleurs, le goût, avec la dégustation des produits du jardin, le toucher, qui développe les sensations, et même l’ouïe, avec par exemple le bourdonnement de l’abeille. »
Assis sur un banc ou en promenade dans ce jardin accueillant, quoique de proportions modestes, il suffit de lever le nez pour embrasser d’un regard la nouvelle bâtisse de l’institut. Bien intégrée visuellement à l’existant, celle-ci est pourtant beaucoup plus moderne, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. Fonctionnels, ces nouveaux locaux représentent une nette amélioration dans les conditions de vie des résidents et dans les conditions de travail des professionnels. « Pour les déficients visuels, cette extension offre une meilleure accessibilité, plus d’intimité, avec des chambres individuelles, la possibilité de circuler librement dans les grands couloirs, des locaux clairs et spacieux et une bonne isolation thermique et phonique, déclare la direction. Pour les professionnels, le travail est amélioré par du matériel ergonomique adapté, des salles de bains spacieuses et bien équipées, avec baignoires à hauteur variable. »
Dominique Bailly, dont le groupe a déménagé récemment dans le nouveau bâtiment d’habitation, en témoigne : « Notre travail est beaucoup plus agréable aujourd’hui. Avant, notre bureau était situé dans la salle commune, où l’on faisait la cuisine, mangeait et passait du temps. C’était très bruyant et nous manquions d’intimité pour téléphoner aux familles ou discuter avec un résident. Maintenant, avec notre bureau à part, séparé de la pièce de vie par une porte vitrée coulissante, nous avons enfin cette tranquillité tout en pouvant surveiller ce qui se passe dans le groupe. » Elle ajoute : « Avant, la disposition des lieux nous obligeait à passer beaucoup de temps à gérer des problèmes d’organisation, tandis qu’aujourd’hui on peut se concentrer sur notre métier, l’accompagnement des personnes qui en ont besoin. Nous avons également retrouvé des plaisirs un peu perdus pour les résidents, comme de manger dehors sur la terrasse [Ndlr : chaque groupe dispose de la sienne], ou de se promener dans le jardin. Cela a permis de reconnecter le groupe avec le monde extérieur, les avions dans le ciel, le bruit des oiseaux ou de la circulation sur la route… et provoqué des situations d’ouverture très positives. » Isidore Halberg confirme : « Avant la création du nouveau bâtiment, les personnes hébergées vivaient à une ou deux par chambre, avec toilettes et salles de bains sur le palier. Il y avait de nombreux problèmes d’hygiène, de sanitaires bouchés, etc. Aujourd’hui, ces soucis sont réglés, les résidents sont dans des chambres individuelles qu’ils peuvent meubler, ils n’ont plus besoin de sortir dans le couloir et de demander de l’aide pour aller aux W.C. ou se laver. Cela améliore considérablement leur qualité de vie et leur autonomie et dégage du temps aux éducateurs pour s’occuper d’eux plutôt que de l’intendance ! »
A l’Institut des aveugles de Still, la deuxième tranche des travaux vient de débuter. Elle vise à réhabiliter les bâtiments existants (excepté la chapelle déjà réaménagée) afin, entre autres, de les mettre aux nouvelles normes de sécurité incendie. En outre, dans l’une des deux maisons, les espaces communs vont être agrandis avec de nouvelles salles à manger. Une unité de vie supplémentaire sera également créée en rez-de-chaussée. L’autre bâtiment sera uniquement réservé à des activités de jour, avec différents ateliers. Le coût de la première tranche a atteint 4 993 000 €, tandis que le coût prévisionnel de l’ensemble de l’opération est fixé à 8 172 000 €.
(1) Institut des aveugles : 25, Grand’Rue – 67190 Still – Tél. 03 88 48 79 00 –
(2) Association Adèle de Glaubitz : 8, rue du Général-de-Castelnau – 67000 Strasbourg – Tél. 03 88 21 19 80 –