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Les MECS ou la gouvernance atomisée

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Ces dernières années, les maisons d’enfants à caractère social (MECS) ont dû faire face à de nombreuses contraintes réglementaires et budgétaires, ainsi qu’à des ruptures dans les politiques publiques de protection de l’enfance, souligne Christian Szwed, ancien directeur de MECS associative et ancien chef du pôle « investigation et protection de l’enfance » à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (1). Il réagit à un récent article des « ASH » consacré aux évolutions de ces établissements (2).

« L’article en question mérite quelques contrepoints ou précisions. En effet, il apparaît quelque peu décontextualisé du système institutionnel et fait l’économie de la responsabilité des pouvoirs publics dans la crise profonde que les MECS traverseraient. Centré sur les professionnels et les usagers, il fait l’impasse sur le contexte budgétaire et politique, voire idéologique, dans lequel se joue finalement l’économie de ces établissements.

Le titre, en premier lieu, interpelle le lecteur quelque peu attentif aux évolutions de ce secteur. “MECS : une identité à retrouver” ? Personnellement, je ne crois aucunement à une perte d’identité, mais plutôt à une identité en lente construction. Depuis la fin des années 1980, ces établissements entreprennent une longue métamorphose. Issus des orphelinats, ils deviennent peu à peu des structures multiservices au sein d’un territoire : la MECS du XXIe siècle constitue un centre de ressources parents-enfant au sein d’un réseau.

Par ailleurs, dans cet article, j’ai du mal à saisir par exemple l’évocation du travail avec les parents comme “un autre défi à relever par les équipes”. Curieux, en effet, car depuis la loi Dufoix (1984), puis le coup de semonce du rapport Naves-Cathala (2000), ces dernières sont en mesure, de nombreux rapports et travaux remarquables à l’appui (3), d’appréhender ce travail difficile avec les familles pour étayer des pratiques de cousu main, qui ont fait leurs preuves en termes de bien-être des usagers.

Sur la question de l’“implication” des parents, il convient d’observer que cette notion est absente du code de l’action sociale et des familles, qui retient plutôt, avec la loi 2002-2, la notion de “participation”, plus riche mais non moins équivoque. Penser la participation mériterait de longs développements (4) dans la mesure où cohabitent simultanément dans les MECS trois formes de paradigmes :

 la substitution familiale, lorsque le parent est absent ou exclu pour une longue durée ;

 la suppléance parentale. C’était, avant la loi de mars 2007, la situation la plus fréquente : le parent est tenu à distance de l’enfant, mais présent et les attributs de l’autorité sont respectés : il est informé, on lui demande son avis, on cherche à l’associer pour les tâches de sa compétence ;

 la participation parentale. Après la loi de 2002, qui énonce le principe de participation, celle de mars 2007 en établit les modalités concrètes : le parent est plus présent, coproducteur, davantage reconnu et responsabilisé (l’hébergement peut être exceptionnel ou périodique).

Ces trois paradigmes impliquent des temporalités d’hébergement différentes : permanent, semi-permanent, ou séquentiel, et impactent la durée comme le renouvellement possible de la décision de placement administrative ou judiciaire. On devine bien, pour ces trois formes d’action, combien elles vont complexifier l’organisation de la vie collective et la personnalisation de la prise en charge, le mode de travail et de triangulation avec les familles et l’enfant, les investissements professionnels et particulièrement celui de l’éducateur référent de l’enfant. Mettre en œuvre les moyens correspondants en réponse aux besoins d’une telle diversité est d’une complexité redoutable ! Si l’on veut évoquer un défi, il se situe bien là pour les gestionnaires, soumis à deux tensions : les limites de temps et de flexibilité du travail des éducateurs, les obligations des établissements au regard des besoins et des droits des usagers et des exigences des commanditaires (juges des enfants et président de conseil général).

Un temps d’intervention déplacé

Depuis le tournant du siècle et à moyens constants, les MECS ont dû digérer successivement, voire concomitamment, outre la dimension plurifactorielle des difficultés familiales soulignée par le juge Robert Bidart, les 35 heures et la mise en œuvre des outils de la loi 2002-2. Une partie importante du temps d’intervention s’est déplacée de l’usager (et peut-être à son détriment) au profit d’un système documentaire (procédure, enregistrement, documents qualité). Conséquence : à moyens quasi constants, il faut de fait simplifier l’acte éducatif, empiéter sur sa continuité et permanence, ce qui aboutit parfois en définitive à limiter de façon drastique certaines prestations (camps, sorties de week-end, etc.). On peut s’interroger sur l’impact produit en termes de qualité de prise en charge et d’équité de l’offre. C’est pourquoi on constate dans certains endroits le retard pris par la généralisation des outils de la loi 2002-2. De plus, des directeurs soulignent combien la contrainte de temps (ou financière, ce qui revient au même) demeure prégnante pour que les équipes s’approprient et déclinent opérationnellement les recommandations de bonnes pratiques de l’ANESM. A ces difficultés se greffe un phénomène peu étudié et qui doit également préoccuper les dirigeants : celui de la charge mentale forte et de l’usure professionnelle ! Les possibilités de mobilité professionnelle dans ce secteur sont pauvres, conduisant des éducateurs à des carrières longues en internat que l’allongement de la durée de travail va accentuer. Par ailleurs, faute de moyens nouveaux, peu d’équipes bénéficient de dispositifs de soutien collectifs ou individuels animés par un tiers.

Cette métamorphose se produit par conséquent dans un champ bien particulier, qui se présente dans un cadre mouvant non complètement stabilisé aujourd’hui. Le sociologue nous enseigne que “la structure d’un champ à un moment donné est un état du rapport de forces entre les agents [5] et les institutions engagés dans la lutte. Tout champ s’inscrit donc dans une histoire qui elle-même se dépose en lui” (6). Le champ de la protection de l’enfance est soumis à de fortes tensions, il fait depuis 15 ans l’objet de débats et de querelles idéologiques, enfin il subit les pressions d’un réformisme néolibéral décomplexé. On peut aussi se demander si les contraintes qui pèsent sur les directeurs de MECS (comme sur les départements d’ailleurs) ne visent pas à la prise en charge d’autres catégories d’usagers : du fait de l’absence de places en instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) dans certains départements ou pour soustraire l’Etat à ses responsabilités s’agissant d’enfants prédélinquants, voire sortant du système de la protection judiciaire de la jeunesse (centres éducatifs fermés [CEF], centres éducatifs renforcés [CER], établissements pénitentiaires pour mineurs [EPM]) (7). Si crise il y a, comme le suggère l’article, c’est peut-être bien celle d’un système dont la gouvernance éclatée (entre plusieurs directions d’administration centrale, des agences et une centaine de présidents de conseils généraux) s’éparpille, pour finalement ne plus produire de sens. Qu’on le veuille ou non, c’est aussi une crise d’un système marqué par la rupture parce que devenu plus coercitif envers les enfants et leurs parents. Les lois sécuritaires qui se succèdent depuis 2002 et surtout 2007 montrent bien cette criminalisation des jeunes et des familles. Dans ce cadre, les MECS sont sommées en quelque sorte de gérer en permanence cette injonction paradoxale qui leur est faite : à la fois soutenir et suspecter les familles, jugées défaillantes ou coupables. La rupture se situe précisément le 5 mars 2007 par la promulgation le même jour de la loi réformant la protection de l’enfance et de celle de prévention de la délinquance. Dans un tel contexte en mouvement accéléré, il devient particulièrement difficile pour les acteurs d’afficher autre chose qu’un désarroi bien compréhensible.

Il faut observer également que les MECS ne bénéficient pas d’un cahier des charges, comme il en existe pour les pouponnières à caractère social, les EPE, les CER et les CEF ou encore les ITEP. L’absence de normes, et en particulier de taux d’encadrement, augmente la marge d’incertitudes, au vu de moyens hétérogènes soumis aux décisions de chaque département.

Définir clairement les missions des MECS

Enfin, et en dernier lieu, la gouvernance du système apparaît confuse, voire brouillonne. Ce qui fait dire à certains experts que la protection de l’enfance n’a plus de centralité (8) tant le positionnement de l’Etat est incertain (9). Par ailleurs, les MECS habilitées par le ministère de la Justice seraient les seuls établissements sociaux non soumis à l’évaluation externe.

Alors que le rapport thématique de la Cour des comptes d’octobre 2009 (10) a dénoncé de graves insuffisances dans le système de protection de l’enfance, les acteurs de cette gouvernance atomisée, à défaut d’un “Grenelle de la protection de l’enfance” (investigation, action éducative en milieu ouvert), ne pourront sans doute pas faire l’économie de l’élaboration d’une définition claire et exhaustive des missions des MECS. »

Contact : christian.szwed@wanadoo.fr

Notes

(1) Il est aujourd’hui responsable du cabinet de conseil et d’évaluation Evalscop à Port-Sainte-Foy (Gironde).

(2) Voir ASH n° 2714 du 17-06-11, p. 30.

(3) On citera ceux de Paul Durning (1986), René Clément (1993), Didier Houzel (1999), Marceline Gabel, Michel Manciaux, Frédéric Jésu (2000), Catherine Sellenet (2003).

(4) Christian Szwed, Penser et construire la participation parentale dans les maisons d’enfants à caractère social – Master II de recherche – Conservatoire national des arts et métiers, 2006.

(5) De ce point de vue la création récente d’une Association nationale des MECS, sous réserve qu’elle s’appuie sur un réseau fort comme l’Uniopss par exemple, me semble aller dans le bon sens – Voir ASH n° 2703 du 1-04-11, p. 25.

(6) Sociologie contemporaine – Jean-Pierre Durand, Robert Weil – Ed. Vigot, 2002.

(7) Les établissements de placement éducatifs (EPE), qui ont vocation à accueillir ces publics, disposant de 14 éducateurs pour 12 places occupées en moyenne à 70 %, alors qu’une MECS ne dispose que de 12 à 14 éducateurs pour 36 places occupées à 100 %.

(8) « Une administration pour l’action sociale : de l’émancipation au dépérissement » – Michel Chauvière, in Qui gouverne le social ? – Sous la direction de Michel Borgetto et Michel Chauvière – Dalloz, 2008.

(9) Rapport annuel 2007-2008 de l’IGAS – Les politiques sociales décentralisées – La Documentation française, 2008 – Voir ASH n° 2586 du 12-12-08, p. 31.

(10) Voir ASH n° 2627 du 9-10-09 p. 7.

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