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Une décision du Conseil constitutionnel fait craindre une déconstruction de la justice des mineurs

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Au moment où le Conseil constitutionnel doit se prononcer sur la loi votée le 6 juillet, qui aménage notamment la justice des mineurs (voir ce numéro, page 5), sa décision inattendue sur la composition du tribunal pour enfants suscite les plus vives inquiétudes sur l’avenir de l’ordonnance du 2 février 1945. En répondant à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la Haute Juridiction, invoquant une atteinte au principe d’impartialité des juridictions, a décidé, le 8 juillet, que ce magistrat spécialisé ne peut, quand il a suivi un mineur pendant la phase d’instruction, présider le tribunal pour enfants vers lequel il le renvoie à des fins de jugement (voir ce numéro, page 6). Or, dans la plupart des cas, le même ma­gistrat instruit l’affaire, procède, selon l’ordonnance du 2 février 1945, « à toutes diligences et investigations utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et à la connaissance de la personnalité du mineur ainsi que des moyens appropriés à son éducation » et, selon les cas, renvoie le mineur en « chambre du conseil » ou devant le tribunal pour enfants qu’il préside, avec à ses côtés deux assesseurs compétents.

Le fait que le même juge des enfants puisse suivre le mineur dans la durée, dans le cadre d’une procédure pénale ou d’assistance éducative, a jusqu’ici été considéré comme l’un des piliers de la spécificité de la justice des moins de 18 ans. « Les dérogations au droit des majeurs ont toujours été justifiées par le principe d’une justice éducative, protectionnelle, qui se voit remise en cause. Il est terrible de voir que le coup de grâce vient de l’instance sur laquelle on pensait pouvoir compter pour éviter les risques de dérive », se désespère Catherine Sultan, présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF).

La censure, en mars dernier, par le Conseil constitutionnel de plusieurs dispositions de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, au motif qu’elles portaient atteinte à la spécialisation de la justice des mineurs, avait en effet été considérée par les professionnels comme un précieux garde-fou. « Plusieurs options sont désormais à craindre, poursuit Catherine Sultan. La plus catastrophique serait d’instaurer une juridiction différente, comme le prévoit déjà la loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et sur le jugement des mineurs, avec l’instauration d’un tribunal correctionnel pour les plus de 16 ans. Quoi qu’il en soit, nous sommes pessimistes : il s’agit d’un choix de système et nous ne pouvons nous contenter de cette décision. L’AFMJF compte présenter des propositions pour que l’on puisse continuer à juger des mineurs comme des mineurs. » Les procédures de jugement rapide introduites au fil des dernières lois, ajoute la magistrate, ont déjà pu préfigurer « l’application d’une autre justice, qui transforme le lien entre le jeune et son juge ».

Ce lien « permet de faire ce “sur-mesure” de nature à mieux tendre, au-delà de l’acte posé, à une individualisation de la réponse pénale », défend également Jean-Pierre Rosenczveig, président de DEI (Défense des enfants International)-France et du ­tribunal pour enfants de Bobigny (1), non sans s’interroger sur la « mouche politique [qui a] piqué le Conseil constitutionnel ». Ce « continuum » pose clairement, et ce n’est pas nouveau, la question de la neutralité du magistrat spécialisé, mais à laquelle d’autres instances ont déjà répondu. « La Cour de cassation, saisie de soupçon de partialité qui taraudait – à juste titre – de purs esprits juridiques, s’était prononcée en 1993 sur cette question, explique-t-il. Elle avait trouvé conforme à la Convention européenne des droits de l’Homme cette disposition dérogatoire au droit commun procédural. »

La Cour européenne des droits de l’Homme a suivi le même raisonnement dans une décision du 2 mars 2010. Mais le Conseil constitutionnel, contre toute attente, « contribue à casser la dynamique éducative tellement difficile à mettre en place ». S’il valide la création des tribunaux correctionnels pour les plus de 16 ans, « on pourra dire qu’effectivement une page de l’histoire de France de la justice aura été tournée », s’inquiète Jean-Pierre Rosenczveig.

Notes

(1) Sur son blog : http://jprosen.blog.lemonde.fr.

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