Mise en place d’un dossier unique de personnalité, création d’un tribunal correctionnel pour mineurs, possibilité de traduire directement certains mineurs devant la juridiction de jugement ou de les assigner à résidence avec surveillance électronique… Ce sont quelques-unes des mesures adoptées, le 6 juillet, par le Parlement dans le cadre de la loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs. Ce dernier volet du texte, qui s’est enrichi d’une dizaine d’articles au cours des débats, est censé, selon le garde des Sceaux, « permettre un traitement plus rapide et plus adapté à l’évolution de la délinquance des mineurs ». Mais il suscite l’inquiétude des professionnels du secteur qui y voient de graves atteintes à la spécificité de la justice des mineurs (1). Une analyse partagée par l’opposition qui, le 8 juillet, a demandé au Conseil constitutionnel d’examiner les dispositions très contestées de ce texte.
Afin de répondre au plus vite aux faits de délinquance commis par des mineurs, la loi simplifie certaines procédures, par exemple en créant un « dossier unique de personnalité ». Placé sous le contrôle du procureur de la République et du juge des enfants, il regroupera l’ensemble des éléments relatifs à la personnalité du mineur ainsi qu’à sa situation sociale et familiale, recueillis dans le cadre des procédures pénales et d’assistance éducative. Cette mesure devrait garantir « un même niveau d’information aux différents intervenants à la procédure (juge d’instruction, juge des enfants, éducateurs…) », a expliqué la chancellerie, et assurer « une connaissance complète et réactualisée du mineur délinquant pour un meilleur suivi de sa prise en charge éducative et une meilleure cohérence des décisions le concernant ». Pourront y accéder les avocats du mineur, de ses parents ou de son tuteur légal, et de la partie civile, les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse et les magistrats saisis de la procédure. Le juge des enfants pourra également autoriser la consultation de ce dossier aux personnels du service ou de l’établissement du secteur associatif habilité saisi d’une mesure judiciaire concernant le mineur. Le dossier unique de personnalité ne pourra être utilisé que dans les procédures suivies devant les juridictions pour mineurs.
En outre, la loi permet au procureur de la République de traduire directement certains mineurs devant la juridiction de jugement. Ainsi, il pourra citer à comparaître devant le tribunal pour enfants soit un mineur âgé d’au moins 13 ans lorsqu’il lui est reproché d’avoir commis un délit puni de cinq ans d’emprisonnement, soit un mineur d’au moins 16 ans ayant commis un délit puni de trois ans d’emprisonnement (2). Toutefois, cette procédure ne pourra être mise en œuvre que si le mineur fait l’objet ou a fait l’objet d’une ou de plusieurs procédures prévues dans le cadre de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. En outre, cette convocation ne sera possible que si une enquête sur les faits n’est pas nécessaire et si des investigations sur la personnalité du mineur ont été accomplies à l’occasion de la procédure en cours ou d’une procédure antérieure de moins de un an. A cet égard, les députés de l’opposition demandent au Conseil constitutionnel de « vérifier si ces conditions sont suffisantes, avec une attention particulière pour l’exception à l’exigence d’une investigation récente qui ne garantit donc pas que le tribunal disposera d’informations suffisantes sur la personnalité du mineur lui permettant de rechercher son relèvement éducatif et moral ». Conformément à la loi, l’audience devra se tenir dans un délai qui ne pourra être inférieur à dix jours et supérieur à deux mois.
Signalons que, lorsque les parents ou les représentants légaux du mineur poursuivi ne répondront pas à une convocation à comparaître devant un magistrat ou une juridiction pour mineurs, ces derniers pourront, d’office ou sur réquisition du ministère public, ordonner qu’ils soient immédiatement amenés par la force publique pour être entendus. En outre, ils seront passibles d’une amende civile d’un montant maximum de 3 750 €.
La loi prévoit aussi d’élargir la palette des réponses pénales afin de pouvoir adapter la sanction et de la rendre plus effective. Par exemple, en matière correctionnelle, les conditions de placement sous contrôle judiciaire des mineurs de moins de 16 ans seront élargies. Ils pourront en faire l’objet si la peine d’emprisonnement encourue est supérieure ou égale à cinq ans pour un délit de violences volontaires, d’agression sexuelle ou un délit commis avec la circonstance aggravante de violences. Une mesure qui permettra de placer ces jeunes dans un centre éducatif fermé (CEF) afin d’éviter une éventuelle récidive, indique l’exposé des motifs du projet de loi initial. D’ailleurs, leur placement en CEF pourra aussi être ordonné lorsque le non-respect des obligations prévues en matière de sursis avec mise à l’épreuve entraîne la révocation du sursis et la mise à exécution de la peine d’emprisonnement.
Autre nouveauté : le texte indique que les mineurs âgés de 16 à 18 ans pourront être assignés à résidence avec surveillance électronique dès lors qu’ils encourent une peine d’emprisonnement d’au moins deux ans. Quant à ceux âgés de 13 à 16 ans, ils ne pourront en faire l’objet que dans les cas où ils peuvent être placés sous contrôle judiciaire. S’ils se soustraient à cette mesure ou aux obligations du contrôle judiciaire, ils pourront faire l’objet, sous certaines conditions, d’un mandat d’amener ou d’arrêt, d’un placement en détention provisoire ou bien voir leur contrôle judiciaire révoqué. Dans leur recours adressé au Conseil constitutionnel, les députés de l’opposition ont relevé « l’inadaptation et la rigueur excessive [de la mesure] du fait qu’[elle] constitue non un substitut au contrôle judiciaire mais à la détention provisoire ».
« Face aux mineurs les plus âgés et qui ont déjà été condamnés, une réponse pénale plus solennelle, de nature à prévenir la répétition des infractions, doit être apportée », a indiqué le garde des Sceaux. Aussi la loi crée-t-elle dès 2012 un tribunal correctionnel pour mineurs, présidée par un juge des enfants, afin de juger les mineurs récidivistes de plus de 16 ans qui encourent une peine d’emprisonnement supérieure à trois ans (3). Il pourra aussi connaître des délits et contraventions connexes aux délits reprochés aux mineurs, et juger les coauteurs ou leurs complices majeurs. Cette nouvelle juridiction pourra prononcer des mesures éducatives et, si celles-ci ne lui paraissent pas suffisantes, des sanctions éducatives ou des peines.
Sur proposition de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, les parlementaires ont adopté des dispositions prévoyant une « césure du procès pénal des mineurs » en deux phases : une première audience d’examen de la culpabilité et une seconde intervenant au terme d’une période d’investigation sur la situation du mineur et de mise à l’épreuve. Plus précisément, stipule la loi, en matière correctionnelle ou contraventionnelle, la juridiction pour mineurs pourra, après avoir déclaré le prévenu coupable, soit le dispenser d’une peine, d’une mesure ou d’une sanction éducative (4), soit ajourner le prononcé de celles-ci (5). La loi précise que le juge des enfants qui statue en chambre du conseil (6), le tribunal pour enfants ou le tribunal correctionnel peuvent recourir à l’ajournement de la sentence envisagée lorsqu’ils considèrent :
soit que les perspectives d’évolution de la personnalité du mineur le justifient ;
soit que des investigations supplémentaires sur sa personnalité sont nécessaires.
Dans ce cas, l’affaire est renvoyée à une audience qui devra se tenir au plus tard dans les six mois. Et, dans l’intervalle, les magistrats pourront ordonner, à titre provisoire, le placement du mineur dans un établissement public ou habilité à cet effet, une mesure de liberté surveillée préjudicielle, une mesure ou une activité d’aide ou de réparation ou encore une mesure d’activité de jour.
(2) La convocation est également notifiée « dans les meilleurs délais », précise la loi, aux parents, au tuteur, à la personne ou au service auquel le mineur est confié.
(3) Les affaires dont le tribunal pour enfants a été saisi avant le 1er janvier 2012 demeureront de sa compétence même si elles relèvent de ce futur tribunal correctionnel pour mineurs.
(4) La dispense peut être prononcée lorsque le reclassement du coupable est acquis, le dommage réparé et que le trouble a cessé.
(5) L’ajournement de la peine est décidé lorsque le reclassement du coupable est en voie d’être acquis, le dommage en voie d’être réparé et que le trouble va cesser.
(6) Rappelons que, en matière pénale, le juge des enfants préside le tribunal pour enfants pour lequel il est assisté de deux assesseurs non professionnels ou statue seul en chambre du conseil.