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Stages parentaux : aider dans un cadre répressif ?

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Les stages de responsabilité parentale ont déjà séduit plusieurs parquets et professionnels du champ social, qui y voient un moyen de raccrocher certaines familles aux dispositifs d’aide. Ils n’en suscitent pas moins des interrogations sur leur pertinence et leur légitimité, face à des parents plus souvent disqualifiés que volontairement négligents.

Contrats de responsabilité parentale, conseils des droits et devoirs des familles, suppression des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire… « Responsabiliser » les familles par la contrainte est, depuis une dizaine d’années, un leitmotiv des politiques de prévention de la délinquance. L’idée selon laquelle la défaillance de l’autorité parentale est l’une des raisons des comportements inciviques et des délits des mineurs est d’ailleurs largement défendue dans les deux rapports remis en 2010 au chef de l’Etat par Jean-Yves Ruetsch (1) puis par Jean-Marie Bockel (2). Sans que l’on sache s’ils seront un jour suivis d’effets, tous deux préconisent notamment de développer les stages de responsabilité parentale, déjà initiés dans certaines juridictions comme alternatives aux poursuites pénales de parents de mineurs délinquants ou en situation d’absentéisme scolaire grave, au titre de l’article 227-17 du code pénal. Celui-ci prévoit de punir d’une lourde peine – deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende – le fait « de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur ». Après enquête de police, l’infraction des parents n’est pas forcément caractérisée par leur malveillance, mais plutôt par leur manque de réaction ou de volonté d’intervenir, alors qu’ils ne sont pas dans l’incapacité d’exercer leurs responsabilités et sont conscients de la situation. Si le champ du délit n’est pas précisément défini, l’absence systématique de réponse aux alertes de l’établissement scolaire, le fait de « couvrir » les absences ou les infractions de sa progéniture, d’en minimiser les conséquences, de ne pas se présenter lors de sa garde à vue ou à la convocation du tribunal pour enfants (3) et de faire obstruction aux aides proposées font souvent partie des faits reprochés. S’il n’existe pas de modèle unique, les stages comportent tous une séance collective sur les « droits et devoirs » des parents, pendant laquelle un représentant du parquet expose la nature de l’infraction, la peine encourue et l’objectif de la mesure, suivie d’une phase plus ou moins ambitieuse de suivi individualisé.

Présentés comme une manière de permettre aux parents d’échapper à la sanction (4) et d’être aidés, les stages de responsabilité parentale ont émergé de façon discrète au gré de la volonté des parquets. La première expérience a commencé à la fin des années 1990 au tribunal de grande instance (TGI) de Colmar, où le procureur de l’époque, René Rech, a défendu l’idée d’introduire « un objectif éducatif dans un cadre répressif ». Quelques années plus tard, le tribunal de Toulon marquait les esprits en condamnant une mère refusant de participer à un stage à un an de prison ferme – commué finalement en une peine de travaux d’intérêt général. L’affaire a cristallisé toutes les craintes exprimées sur ce sujet hautement sensible. « On renvoie aux parents beaucoup de responsabilités alors que les responsabilités collectives ne sont pas assurées », regrette Maryvonne Caillaux, responsable du « réseau familles » d’ATD quart monde. Le Carrefour national de l’action éducative en milieu ouvert dénonce également l’instrumentalisation de la notion d’autorité à des fins sécuritaires, dans une logique « libérale » et « individualiste ».

Les arguments ne sont pas seulement politiques. Comment, d’un point de vue social et juridique, distinguer les parents « négligents » de ceux dépassés par leur situation, qui relèvent dans les deux cas d’une aide éducative ? « En réalité, peu de parents sont démissionnaires. De multiples facteurs peuvent rendre difficile l’exercice de leur autorité », poursuit Maryvonne Caillaux. La disqualification de la fonction parentale dans des situations familiales et sociales complexes en fait partie, tout comme les difficultés relationnelles au sein du foyer ou du couple. De fait, une étude réalisée en 2001 par la direction des affaires criminelles et des grâces soulignait la difficulté de caractériser l’infraction (5). Comme à Colmar, le tribunal de Toulon a changé de procureur et abandonné le dispositif.

Depuis, d’autres expériences sont pourtant nées et la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance a donné un corps législatif aux stages de responsabilité parentale. Selon les dernières statistiques dont dispose la chancellerie, 206 personnes ont dû suivre un stage en 2009, le dispositif ayant été mis en place dans plus de 20 tribunaux. Si ces chiffres restent faibles, ils laissent perplexes de nombreux acteurs éducatifs : ces stages renvoient les parents à leurs échecs, à leurs difficultés, en les contraignant à échanger en public, ce qui risque de favoriser davantage leur repli, estime Brigitte Annézo, éducatrice spécialisée à l’aide sociale à l’enfance de Lorient, auteur d’un article sur la parentalité dans les derniers Carnets de Parentel (6). Par ailleurs, la « motivation d’ordre stratégique » qu’ils impliquent sous la menace de la sanction paraît peu compatible avec le choix de réfléchir sur ses propres pratiques – adhésion qui nécessite du temps et une relation de confiance. Autre raison de douter de leur efficacité : la fonction parentale ne peut se construire à partir d’« un mode d’emploi », mais « s’élabore à partir des valeurs, des représentations, des codes sociaux qui nous ont été transmis et ont été intégrés par chacun ». Elle n’est donc « pas de l’ordre du savoir » et ne peut se transmettre comme tel. « La forme d’un stage ainsi que son intitulé, son objectif et sa durée semblent donc en décalage total avec la réalité », juge l’éducatrice, rappelant d’ailleurs qu’en Grande-Bretagne et en Belgique, où de tels dispositifs ont été mis en place, « les résultats ne sont pas concluants ».

L’injonction au changement n’est, il est vrai, pas une habitude du travail social. Et la convocation devant le délégué du procureur ou le substitut chargé des mineurs est indéniablement un moment de tension, lors duquel les parents se sentent injustement stigmatisés. Pour autant, certains professionnels du secteur veulent voir dans la phase d’aide qui y succède un moyen de susciter une prise de conscience des familles et de les sortir de leur isolement. Depuis deux ans, au Centre d’information sur les droits des femmes (CIDF) de Valenciennes (Nord), une conseillère conjugale et familiale rencontre les pères et les mères convoqués (une dizaine par groupe) – qui doivent financer la mesure à hauteur de 50 € – durant six séances de deux heures. Par une approche ludique (jeux, saynettes…), ceux-ci sont amenés à s’exprimer sur le thème de l’autorité et des relations avec l’école. Que faire lorsqu’un enfant refuse d’aller au collège ? Comment savoir dire non ? Les séances, finalement, ressemblent fortement à des groupes ordinaires de soutien à la parentalité. « Mais s’il ne s’agissait pas d’un cadre pénal, ces parents ne viendraient pas, surtout ceux éloignés des institutions ou ceux, qui ne sont pas majoritaires, issus des milieux plus favorisés, explique Florence Creusé, qui conduit ces ateliers parentaux. Après avoir été dans le déni, la plupart se disent soulagés d’avoir pu parler, d’avoir entendu d’autres parents confrontés aux mêmes difficultés. » A la fin de la mesure, le CIDF propose aux parents – volontaires cette fois – de continuer à être un « lieu ressources ».

Le suivi se veut parfois plus poussé. Comme à Mulhouse, où la « Maison des parents », outil du contrat intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance voulu par son ancien maire et ex-secrétaire d’Etat à la Justice, Jean-Marie Bockel, organise depuis janvier 2010 un suivi de trois mois. « Nous nous sommes inspirés des AEMO renforcées, fait valoir Dominique Roesslinger, ancienne référente de la structure et éducatrice spécialisée. Alors que la première rencontre est toujours douloureuse, les premiers entretiens ont pour objectif de recréer un lien de confiance. L’intervention peut représenter une dizaine d’heures dans la semaine au début, l’idée étant de faire revenir progressivement la famille vers les services existants : les services sociaux, les structures d’insertion, la maison des adolescents… »

Les stages sont évalués par les parquets en fonction de l’implication des parents, dont le dossier est pour la plupart classé sans suite. Mais, en raison de la courte durée de la mesure, son efficacité à plus long terme est difficile à établir : « Elle existe pour amener les parents à réfléchir sur pourquoi ils en sont là et ce qu’ils pourraient faire pour s’en sortir. Le dispositif a des résultats lorsqu’ils ont besoin d’une prise de conscience sur leur capacité à agir ou de décoder les institutions. Mais, quand il y a déjà eu des interventions sociales, c’est plus difficile », relativise Dominique Roesslinger.

Un moyen d’accès aux familles

Ces stages s’adressent néanmoins aussi aux parents pour qui les tentatives de l’Education nationale ou d’autres institutions ont échoué. « En dédramatisant le travail social et la justice, nous sommes dans un rôle de réconciliation », souligne Michel Aubry, directeur du « service d’intervention en milieu naturel » de la Sauvegarde de la Marne. Celui-ci s’est engagé dans l’expérience il y a six ans, à la suite d’une réflexion menée au sein du CLSPD (conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance) sur les moyens de mobiliser les parents d’enfants trop souvent livrés à eux-mêmes. Quatre stages ont lieu tous les ans, chacun réunissant jusqu’à 12 parents pendant quatre demi-journées étalées sur une dizaine de jours. Financés sur des crédits de la politique de la ville, ils commencent, après le rappel de la loi par le substitut du procureur, par une phase collective animée par un psychologue et un travailleur social du service, avec des personnels de l’Education nationale, d’autres institutions ou des médecins qui interviennent sur les thèmes de la santé physique et psychologique de l’enfant, de la scolarité et de la fonction parentale. Puis un éducateur rencontre les parents individuellement pour élaborer avec eux des perspectives. « Le stage est un moyen d’avoir accès à ces familles, dans une logique de protection de l’enfance. Et après que chacun a dit le mal qu’il veut des institutions, parfois en rejetant la responsabilité sur l’école, on entre très vite dans l’échange. Notre travail s’arrête là, il n’y a pas d’accompagnement », précise Michel Aubry. Les parents sont évalués sur leurs engagements à la fin de la mesure, sans que le parquet ne dispose par la suite d’éléments sur la réitération du mineur ou son retour à l’école. « Nous savons que nous fixons aux parents des obligations de moyens, pas de résultat », reconnaît Sixtine Du Crest, substitut chargée des mineurs au parquet de Reims.

Selon les parquets, le champ des partenaires associés varie. Pour lutter contre le grand absentéisme scolaire et l’implication de mineurs dans des infractions graves, comme les vols avec violence et les trafics de stupéfiant, le parquet de Marseille s’est, pour sa part, rapproché il y a deux ans de l’inspection académique, de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), du conseil général et de l’Association départementale pour le développement des actions de prévention des Bouches-du-Rhône (ADDAP 13). La juridiction a choisi de cibler son action sur les jeunes décrocheurs (à partir de 90 demi-journées d’absence sur un trimestre, dès les classes de 6e ou 5e), pour qui il est encore temps de reconstruire une intégration scolaire.

Le stage se déroule pendant une demi­journée au tribunal de grande instance, en présence des partenaires et d’une psychologue. « Nous nous sommes aperçus qu’il n’y avait pas eu de suite aux aides jusqu’ici proposées », décrit Olivier Poulet, vice-procureur au TGI de Marseille et chef de la section « enfance-famille ». Mais en réalité les familles apparaissent plus dé­munies que défaillantes : « La plupart des parents concernés, issus de l’immigration, sont dans une situation de précarité lourde et d’illettrisme. Des mères seules qui pensent que leur enfant est à l’école parce qu’elles sont déjà parties à 7 heures du matin pour faire des ménages et qu’elles l’ont réveillé par téléphone, qui ne comprennent pas le règlement de l’établissement scolaire, des familles qui ne peuvent pas payer la cantine et dont les enfants sortent pour déjeuner en ne retournant pas au collège l’après-midi… L’objectif n’est pas de poursuivre ces parents en difficulté, mais de leur faire comprendre l’intérêt de faire retourner leur enfant à l’école. » Chaque séance se termine avec un rendez-vous dans l’établissement scolaire pour préparer la réintégration du mineur, dans une classe-relais si besoin, avec l’aide d’une assistante sociale de quartier, d’un éducateur de rue ou d’un psychologue.

La situation est suivie pendant quelques mois. « La majeure partie des gamins – une soixantaine de familles ont été concernées en deux ans – reprennent l’école, mais pasforcément dans la durée, car les problèmes sont toujours là », concède le vice-procureur. Patrick Pouilly, chef de service à l’ADDAP 13, admet, quant à lui, que la présence de l’association de prévention spécialisée dans le dispositif a été difficile à faire accepter par les équipes. Ses conditions : intervenir pendant la séance du côté des familles, en tant que « partenaire ressources », et en respectant le principe de la libre adhésion. « Sur une dizaine de parents, quatre ou cinq me rappellent, indique-t-il. Bien sûr, le cadre pénal n’est pas pour nous une porte d’entrée naturelle. Mais ensuite, notre manière d’entrer en contact avec ce jeune public n’est pas modifiée. Malgré le stress d’avoir été convoquées en justice, les familles ressortent avec le sentiment que leurs souffran­ces ont été prises en compte. Cela vaut mieux que la suppression de leurs allocations familiales ! »

Dans le département sinistré de la Seine-Saint-Denis, le stage parental, initié à titre expérimental par le parquet et financé par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance, est aussi apparu au Pôle accompagnement judiciaire et éducatif (PAJE) de l’Association de sauvegarde de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte, comme un moyen d’éviter la sanction à des parents en difficulté. « Nous l’avons conçu avec une “dimension résolutive” », explique Jeanne Clavel, directrice du PAJE. Organisé sur un trimestre, il alterne des entretiens individuels avec les parents et un travail de groupe intégrant des visites de collèges « pour les rapprocher de l’Education nationale ». Aux côtés des intervenants socio-judiciaires, le dispositif associe une ethno-psychologue « pour ne pas cristalliser les problèmes sur la question culturelle », indique-t-elle.

Malgré cette démarche d’aide, les institutions marchent sur des œufs : alors que le stage a été conçu il y a plus d’un an, une quinzaine d’élèves devaient être identifiés à la fin de l’année scolaire pour la rentrée 2011, alors que 1 000 élèves font tous les ans l’objet d’un dossier de suivi d’assiduité scolaire. « Nous attendions de connaître des situations dûment travaillées en amont dans le champ social et pédagogique, le procureur de la République devant intervenir dans des cas extrêmes, dans une logique de protection de l’enfance », explique Marc Bablet, inspecteur d’académie adjoint. Des critères qui situent la mesure « en bout de chaîne » : selon l’inspection académique, la loi « Ciotti » sur la suppression des allocations familiales, qui a déjà visé quelques familles du département, a tout de même vocation à s’appliquer avant le stage. Mais celui-ci ne devra pas non plus se substituer à une mesure de protection de l’enfance.

Si toutes les familles concernées par un stage parental ne relèvent pas d’une mesure prise au titre de l’enfance en danger, le risque de confusion existe en effet (7). Selon un protocole établi en 2002 par la chancellerie, le stage parental « n’empiète pas sur les missions du juge des enfants » et doit être « complémentaire » des mesures d’assistance éducative lorsqu’elles existent ou vont être mises en œuvre. Reste que, dans les faits, quand les familles font l’objet d’un autre suivi, les services ne coordonnent pas forcément leur intervention. En 2005, la PJJ a, quant à elle, clarifié dans une note sa position dans le dispositif : si elle n’est pas, en principe, engagée dans le suivi des familles participant au stage, elle peut être impliquée en tant qu’expert. « Il s’agit d’adultes, mais aussi d’une mesure qui doit bénéficier au mineur », souligne Danièle Mouazan, chef du bureau des méthodes et de l’action éducativede la direction de la PJJ, qui a en 2009, alors qu’elle était directrice territoriale, lancé un stage mis en place par la Sauvegarde de l’enfant à l’adulte d’Ille-et-Vilaine.

Malgré les atouts que peuvent présenter les stages de responsabilité parentale, transformer un dispositif coercitif en mesure d’aide pose, pour beaucoup, la question du sens donné à l’action sociale. Les mesures existantes d’aide aux parents, aux adolescents et les dispositifs visant à maintenir le lien social ne suffiraient-ils pas si ils étaient suffisamment dotés, lisibles et organisés ? « Les pouvoirs publics ne sont pas très imaginatifs : on reprend les dispositifs de soutien à la parentalité et d’aide éducative dans le champ pénal, sans en élargir les moyens. Mais il faut surtout faire attention à ne pas appauvrir les réponses et à ne pas brouiller les finalités », avertit Fabienne Quiriau, directrice générale de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant.

LE CADRE LÉGAL

La loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance a légalisé le stage de responsabilité parentale et prévu qu’il peut être prononcé comme une peine, dont les modalités sont prévues par un décret du 26 septembre 2007. Mais une circulaire de la direction des affaires criminelles et des grâces du 13 décembre 2002 sur « la politique pénale en matière de délinquance des mineurs » invite, en cas de délit de soustraction des parents à leurs obligations légales (article 227-17 du code pénal), les procureurs à opter en premier lieu pour des mesures alternatives aux poursuites, en l’occurence les stages parentaux. Le modèle de protocole joint à la circulaire précise que, dans ce cadre, le stage a pour objectif « d’agir sur les parents pour les inciter à réfléchir sur leur fonction éducative et à adopter une attitude plus responsable, leur apporter un soutien éducatif sur un temps limité et dans un cadre légal bien défini qui n’empiète pas sur les missions du juge des enfants en matière d’assistance éducative ». Le stage comprend trois étapes : une séance collective au cours de laquelle un représentant du parquet (avec parfois l’Education nationale et la police) présente le cadre pénal de la mesure, un suivi individualisé des parents, réalisé le plus souvent par une association, et un rapport adressé au parquet qui pourra, selon la situation, poursuivre les parents en cas d’échec, classer la procédure sans suite, ou saisir le juge des enfants par requête en assistance éducative.

LE TGI DE PARIS MISE SUR LE « POUVOIR D’AGIR »

Le stage de responsabilité parentale mis en place au tribunal de grande instance (TGI) de Paris est né des conclusions d’une étude sur le phénomène des bandes dans la capitale remise au procureur de la République en janvier 2009. L’un des deux auteurs, Françoise Duvignau, issue de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et chargée de mission auprès du procureur a, à la demande de ce dernier, mis au point un « programme », inscrit au contrat parisien de sécurité, inspiré des « conférences familiales » néo-zélandaises. « Il associe deux approches, explique-t-elle :la lecture systémique, qui permet d’agir avec un réseau inter-institutionnel, et l’empowerment, qui donne aux parents l’occasion de se saisir d’un événement judiciaire pour devenir partenaires éducatifs. L’enjeu n’est pas de les stigmatiser, mais de travailler sur leurs ressources et de renforcer leurs capacités. »

Le stage, complémentaire des procédures visant le mineur, commence par une convocation de la famille devant un délégué du procureur, qui leur fixe un premier rendez-vous avec l’association habilitée « Jeter l’@ncre », créée pour mettre en place ces stages dans les maisons de justice et du droit des Xe et XIVe arrondissements de Paris. Cinq entretiens sont prévus sur six semaines avec les intervenants – des « modérateurs » pour les parents et des « référents pédagogiques » pour les enfants, pour la plupart pédagogues, médiateurs ou juristes. La première séance est consacrée à la présentation de la mesure et aux questionnements du fonctionnement familial. « Un travail sur la responsabilité partagée permet de resituer les parents et les enfants dans leur rôle et d’esquisser de premières hypothèses »,détaille Françoise Duvignau.

Lors de la deuxième séance, la situation familiale est exposée à un réseau d’acteurs locaux : un représentant de l’établissement scolaire, l’adjoint au maire chargé de la tranquillité publique ou de la jeunesse, un policier de la mission prévention et communication (MPC) du commissariat, un médecin de l’Espace santé jeune, un représentant de la PJJ… « Si ce dispositif ne fait pas partie de notre champ d’action direct, nous avons fait le choix politique d’intervenir en soutien pour favoriser la complémentarité et la coordination quand il y a des suivis conjoints », explique Jean Menjon, directeur territorial de la PJJ de Paris. Les élus peuvent faciliter le montage d’un dossier de demande de logement, la mise en relation d’un parent avec un cours d’alphabétisation, les policiers inscrire les jeunes au dispositif Ville Vie Vacances. Autre originalité : les intervenants bénéficient d’une « analyse des pratiques » assurée par un psychologue. « Les aspects culturels ne sont pas au cœur des interventions, mais la présence d’une “référente pédagogique” d’origine malienne permet de faciliter les échanges et de lever les incompréhensions », précise Françoise Duvignau. A la fin du programme, l’association remet au procureur un rapport sur les engagements pris par les familles et les relais institutionnels envisagés, dont la concrétisation est suivie pendant trois mois. La transmission du document par le parquet au juge des enfants peut, en cas d’échec, déboucher sur le renforcement ou la mise en place d’une mesure de protection, mais peut aussi avoir une influence dans le suivi pénal des mineurs : « Je n’en ai pas reçu beaucoup, mais ceux dont j’ai eu connaissance m’ont semblé positifs, témoigne Bernadette Dachkevitch, première juge des enfants au TGI de Paris. Je me souviens notamment d’un groupe de jeunes filles délinquantes. En audience, les mamans m’ont dit que le stage les a aidées. Alors que j’étais auparavant réservée, cela m’a intéressée. »

D’une première évaluation, il ressort que lorsque les parents se mobilisent pendant le stage, ils tiennent en grande partie leurs engagements : une famille a souhaité un suivi éducatif pour l’ensemble de la fratrie, une thérapie familiale a été engagée pour une autre, un père divorcé a accepté la garde de son fils… Mais il arrive que les projets soient abandonnés quand les parents ont affiché un discours convenu, sans s’impliquer réellement. Sur 65 dossiers au 30 novembre 2010, tous ont été classés sans suite, ce qui ne veut pas dire non plus que les mineurs n’ont pas réitéré. Le dispositif pourrait faire des émules, notamment au parquet de Lille. Pour le maire d’Halluin (Nord), Jean-Luc Deroo (PS), les stages de responsabilisation pourraient en effet prolonger les actions engagées par la ville sur la parentalité, « qui n’atteignent pas les publics les plus en difficulté ».

UNE ALTERNATIVE AUX POURSUITES POUR VIOLENCES

Au tribunal de grande instance de Meaux (Seine-et-Marne), une première version du stage parental fondé sur l’article 227-17 du code pénal a très vite été abandonnée. « Tel qu’il avait été conçu, il s’adressait à des parents dans l’impossibilité d’exercer leurs responsabilités parentales, pour lequel un délit était difficile à établir de façon rigoureuse, explique André Ribes, procureur de la République adjoint. Face aux difficultés à le mettre en œuvre, nous l’avons recentré, sans exclure les cas de délaissement ou d’absentéisme quand les conditions sont réunies, en direction des parents qui ont une conception de l’éducation basée sur la violence, sans pour autant être dans la maltraitance. »

Depuis le démarrage du dispositif, en janvier dernier, une quinzaine de parents ont été convoqués. L’association de délégués du procureur « Respect », présidée par l’ancien procureur René Pech, qui mène des actions de prévention en milieu scolaire financées par la ville et le Fonds interministériel de prévention de la délinquance, organise le stage, centré sur l’éducation, le fonctionnement familial, notamment la place du père, et le bon usage de l’autorité. Deux séances se succèdent, la première, collective, une deuxième au domicile, en présence des enfants.

Si la question renvoie explicitement aux codes sociaux et culturels, Christian Cogez, ancien directeur départemental de la PJJ et coordonnateur de l’association Respect, se défend d’une approche culturaliste. « Cependant, nous ne pouvons pas ne pas évoquer l’aspect culturel, ça ne serait d’ailleurs pas respectueux envers les familles ».

Le stage peut déboucher sur une proposition d’aide individuelle ou de thérapie familiale. « Toutes les familles viennent aux convocations mais, dans la moitié des cas, nous nous apercevons que les difficultés dans l’organisation familiale nécessiteraient un travail plus long »,commente Christian Cogez. Il arrive aussi que des situations fassent l’objet d’un signalement en protection de l’enfance.

Notes

(1) Voir ASH n° 2648 du 26-02-10, p. 5.

(2) Voir ASH n° 2682 du 12-11-10, p. 5.

(3) Dans le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs adopté par l’Assemblée nationale le 28 juin, les députés ont intégré la possibilité de condamner les parents qui ne répondent pas à la convocation d’une juridiction pour mineurs à un stage de responsabilité parentale.

(4) En 2009, 205 condamnations ont été prononcées au titre de l’article 227-17 du code pénal.

(5) Citée dans une note de la DPJJ du 4 février 2005.

(6) « Quand la parentalité est empêchée », coordonné par Gaëlle Lego – N° 33 – Association Parentel : 4, rue Colonel-Fonferrier – 29200 Brest – Tél. 02 98 43 62 51.

(7) L’article 227-17 du code pénal renvoie quasiment aux mêmes termes que l’article 375 du code civil, selon lequel des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice lorsque « la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ». La loi du 9 septembre 2002 a supprimé la notion de gravité qui figurait dans l’article 227-17 du code pénal.

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