Installés en mars dernier dans le cadre de l’affaire « Thierry Meilhon », auteur présumé du meurtre de la jeune Laëtitia Perrais dans la Loire-Atlantique (1), les deux groupes de travail sur les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), composés de personnels du ministère de la Justice – magistrats, directeurs de maisons d’arrêt, directeurs de SPIP et autres professionnels de l’administration pénitentiaire –, ont remis leurs conclusions à Michel Mercier le 30 juin (2). Le premier a planché sur les moyens d’améliorer l’organisation et le fonctionnement des SPIP, le second devait établir des référentiels pour le suivi des personnes placées sous main de justice. Une partie de leurs constats et de leurs préconisations se rejoignent, notamment s’agissant de la nécessaire évaluation des personnes condamnées via un référentiel unique, de la mise en place de la pluridisciplinarité au sein des SPIP ou encore de la charge de travail de ces services et des moyens nécessaires à leur bon fonctionnement. A l’issue des travaux conjoints de l’inspection générale des services judiciaires et de l’inspection générale des finances, chargées en parallèle de définir des indicateurs d’évaluation de l’activité des SPIP, « un ensemble de mesures traduiront effectivement et concrètement ces réflexions », s’est engagé le garde des Sceaux dans un communiqué.
Pour les deux groupes de travail, l’évaluation de la personne placée sous main de justice, au regard non seulement de la peine prononcée mais aussi et surtout, de sa personnalité, de son passé pénal et de son évolution tout au long de son suivi, est un « élément fondateur » de la qualité de la prise en charge professionnelle. Ils proposent, pour assurer cette évaluation, la mise en œuvre généralisée d’un référentiel unique de suivi : le « diagnostic à visée criminologique » (DAVC),actuellement expérimenté par l’administration pénitentiaire dans 11 SPIP pilotes. Présenté sous la forme d’un rapport rédigé par le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP), le DAVC, « défini comme l’ensemble des critères à prendre en compte afin d’analyser à un moment donné un comportement par rapport à des actes dans un environnement déterminé », doit permettre de repérer un éventuel risque de récidive. Mais, souligne l’un des rapports, « la notion de risque de récidive ne doit pas être confondue avec celle de dangerosité [qui] comporte souvent une dimension psychiatrique » dont l’analyse ne rentre pas dans les compétences des CPIP.
Il est nécessaire, selon les groupes de travail, que le DAVC soit établi dans un délai de un mois en milieu fermé et de trois mois en milieu ouvert, qu’il soit validé par un cadre du SPIP et transmis à l’autorité judiciaire mandante. Le DAVC doit être commencé dès que le service est saisi d’une mesure, ce qui implique une affectation systématique et immédiate de la mesure à un CPIP. Il doit, en outre, être intégré dans l’application informatique « APPI » qui, soulignent au passage les rapports, nécessite d’être réformée (3) et mise en cohérence avec les autres logiciels utilisés par l’administration pénitentiaire afin de supprimer toute double saisie « coûteuse en temps et décourageante pour les personnels ».
Pour définir des mesures de prise en charge adaptées et harmonisées, les groupes de travail préconisent, en parallèle, l’utilisation de la segmentation. Egalement expérimentée dans les 11 SPIP pilotes, elle doit permettre un suivi individualisé du condamné en fonction de sa personnalité, de ses besoins en termes d’accompagnement et de la durée de la peine. L’un des rapports propose de fixer à quatre le nombre de segments, le premier concernant les personnes demandant un suivi régulier mais ne nécessitant pas un accompagnement de l’évolution de l’individu, quelle que soit la durée de la prise en charge, le dernier regroupant celles ayant un faible potentiel d’évolution avec la seule action du SPIP compte tenu de leurs problématiques médicales et psychologiques. L’un des groupes de travail préconise également, dans le cadre de la segmentation, qu’un « corpus d’incidents commun » soit défini entre le service d’application des peines et le SPIP « pour permettre d’apprécier le degré de gravité des manquements qui doivent être signalés en temps réel » au juge.
Pour le garde des Sceaux, la mise en place de ce référentiel de suivi unique « nécessite l’achèvement de la professionnalisation des SPIP à travers trois mesures phares » proposées par les groupes de travail : la pluridisciplinarité au sein des services, la création d’un organigramme national et l’élaboration de critères pour mesurer les charges de travail.
Bien que validé dans le protocole d’accord signé le 9 juillet 2009 entre l’administration pénitentiaire et le Snepap-FSU (4), le principe de la pluridisciplinarité
Les groupes de travail relèvent par ailleurs la nécessité d’uniformiser l’architecture des SPIP au niveau national afin, notamment, d’avoir une meilleure visibilité de leurs activités et, par là même, de faciliter le travail avec les différents partenaires. Cela passerait par l’élaboration d’un organigramme qui, selon le ministre de la Justice, permettrait de « stabiliser les équipes et d’affecter les ressources de manière rationnelle ». « Au regard des mesures confiées aujourd’hui aux SPIP, il est souhaitable, souligne un des rapports, d’extraire a minima trois secteurs d’activité au sein de chaque service, à savoir les enquêtes, les travaux d’intérêt général/travaux non rémunérés et les placements sous surveillance électronique. ». Et, dans le cadre des enquêtes, la réalisation des permanences d’orientation pénale devrait être confiée au secteur associatif habilité en raison de la charge d’activité qu’elles représentent.
Dernier axe d’action proposé par les groupes de travail et retenu par Michel Mercier : l’élaboration de critères visant à mesurer les charges de travail. Cette évaluation, qui doit se faire par mesure ou modalité d’exécution de peine, pourrait revenir à un groupe d’experts professionnels nationaux constitué auprès de la direction de l’administration pénitentiaire, suggère l’un des rapports. Elle donnerait une « meilleure assise » à l’indicateur « nombre de personnes suivies par CPIP », référence régulièrement utilisée et sur la base de laquelle doit se faire la répartition des emplois entre les directions pénitentiaires interrégionales.
Mais, sans attendre les résultats de cette évaluation, les groupes de travail s’inquiètent d’ores et déjà de la faiblesse du nombre de recrutements de CPIP – les postes ouverts aux concours ne couvrant pas les départs volontaires ou à la retraite – et appellent notamment à renforcer les effectifs de la prochaine promotion et/ou à procéder à un recrutement exceptionnel d’assistants de services sociaux ou d’éducateurs spécialisés pour remplir les fonctions de CPIP.
Parallèlement aux deux rapports sur les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) (voir ci-contre), le ministre de la Justice a également reçu, le 30 juin, les conclusions d’un groupe de travail sur le fonctionnement et le pilotage des services de l’application des peines (SAP), dont la majorité des préconisations « seront très rapidement mises en œuvre par la chancellerie », a assuré Michel Mercier. Le groupe de travail pointe, en premier lieu, les difficultés d’évaluation de la charge de travail des SAP « en raison de l’absence d’outils statistiques précis et fiables ». Fort de ce constat, ses membres ont élaboré deux tableaux de bord d’activité et défini des indicateurs sur la charge de travail raisonnable d’un SAP, évaluée entre 700 et 800 dossiers par le juge de l’application des peines. « Grâce à ces travaux, le ministère de la Justice disposera, début 2012, de statistiques nationales sur l’activité annuelle des [SAP qui] permettront de mieux apprécier, dans chaque juridiction, l’adéquation des moyens de ces services par rapport à leur charge de travail », a estimé le garde des Sceaux. Le groupe de travail prône par ailleurs la désignation, dans chaque SAP, d’un magistrat coordonnateur chargé de l’animer et de le piloter afin de lutter contre « l’isolement institutionnel » et le manque de coordination qui règne au sein de ces services et entre les SAP et les SPIP.
(2) Rapports disponibles sur
(3) Copiloté par la direction des services judiciaires et la direction de l’administration pénitentiaire, l’application « APPI » manque de fiabilité en raison, d’une part, de la double entrée des informations et, d’autre part, de la « maîtrise imparfaite et souvent partielle » de cet outil qui aboutit à fausser les informations enregistrées (doublons, renseignements incomplets), explique l’un des rapports.
(5) Les assistants de service social qui exercent actuellement des fonctions de CPIP sont appelés à opter pour leur détachement dans le corps des CPIP ou leur maintien dans leur statut actuel en se consacrant à des fonctions sociales. Ce dernier choix permettra la montée en puissance de cette fonction importante mais réduira d’autant le nombre de professionnels effectivement chargés du suivi individuel des personnes, explique l’un des rapports.