Le bras de fer engagé depuis un peu plus d’un an entre le gouvernement et plusieurs départements de gauche sur la question du financement des dépenses sociales (1) vient de tourner à l’avantage de l’Etat. Dans trois décisions similaires rendues le 30 juin, le Conseil constitutionnel a, en effet, rejeté les requêtes de plusieurs conseils généraux qui exigeaient de l’Etat la compensation financière d’allocations de solidarité nationale dont la charge leur a été transférée ces dernières années : revenu minimum d’insertion/revenu de solidarité active (RMI/RSA), allocation personnalisée d’autonomie (APA), prestation de compensation du handicap (PCH).
En clair, ces départements reprochent à l’Etat d’avoir créé et de leur avoir transféré des obligations sociales sans en assurer le financement. Pour contester cette situation, ils avaient choisi d’utiliser la procédure des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) pour attaquer les lois à l’origine de ces transferts. Au final, au grand dam de l’Assemblée des départements de France en particulier (voir ce numéro, page 20), le Conseil ne les aura donc pas suivis.
Dans ses décisions du 30 juin, la Haute Juridiction a appliqué aux QPC dont elle était saisie sa jurisprudence « désormais bien établie sur la libre administration des collectivités territoriales », a-t-elle résumé dans un communiqué. En clair, aux yeux des sages, la Constitution distingue, d’une part, les transferts de compétences et, d’autre part, les créations et les extensions de compétences. Les transferts de compétences imposent une compensation intégrale des charges transférées à la date de ce transfert. Ainsi, « les ressources qui doivent être attribuées aux collectivités territoriales en contrepartie de leurs nouvelles charges doivent être équivalentes aux dépenses qui étaient celles de l’Etat à la date du transfert, sans considération pour l’évolution ultérieure de ces dépenses ». L’article 72-2 de la Constitution « n’impose pas, au fil du temps, une compensation glissante et permanente des charges transférées ». Il appartient seulement à l’Etat de maintenir le niveau des ressources transférées.
S’agissant d’une création ou d’une extension de compétences, le Conseil constitutionnel recherche d’abord s’il s’agit de compétences facultatives ou obligatoires. Dans le second cas, il vérifie qu’aux compétences nouvelles répond un mécanisme permettant d’adapter la compensation financière à la charge supplémentaire. « C’est un contrôle moins poussé que dans le cas d’un transfert », explique le communiqué. L’article 72-2 de la Constitution impose alors seulement au législateur de prévoir, avec les compétences, des ressources allouées aux collectivités territoriales (ressources dont il lui appartient d’apprécier le niveau).
Une partie des griefs des départements requérants portaient sur les dispositions de plusieurs lois dont celle du 31 juillet 2003 organisant la décentralisation de l’ex-RMI et créant le revenu minimum d’activité (RMA), celle du 30 décembre 2005 qui a complété le financement des compétences départementales en matière de RMI et RMA ou bien encore celle du 1er décembre 2008 généralisant le RSA. Autant de textes qui, à leurs yeux, ne permettent pas de répondre, en l’absence de ressources suffisantes, ni à l’importance, ni à l’augmentation des charges qu’ils supportent. Mais pour les sages de la rue Montpensier, ces dispositions sont conformes à la Constitution. Ils considèrent en premier lieu que les lois relatives au RMI et au RMA, qu’ils avaient déjà validées en 2003, ont bien assuré le transfert de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à l’exercice par l’Etat de ces compétences. Et que, en l’absence de « changement de circonstance », ils n’ont pas à réexaminer leurs dispositions. En ce qui concerne la loi de 2005, le Conseil constitutionnel juge que ce texte, « compte tenu de l’évolution des dépenses mises à la charge des départements », n’a pas eu pour effet d’entraver leur libre administration. Enfin, s’agissant du RSA, il estime que la part correspondant à l’allocation de parent isolé a également été accompagnée, lors du transfert de l’Etat aux collectivités locales, des ressources que lui consacrait l’Etat. Et que les dispositions législatives contestées n’ont pas davantage eu pour effet de dénaturer la libre administration des départements.
La position du Conseil constitutionnel paraît plus nuancée s’agissant du financement de l’APA et de la PCH. Il considère en effet les dispositions légales contestées par les départements conformes à la Constitution sous deux réserves.
La première impose au pouvoir réglementaire, compte tenu de l’évolution des ressources financières des départements, d’ajuster le taux de charges nettes d’APA ou de PCH par rapport au potentiel fiscal assurant que chaque département peut bénéficier d’un concours qui permet que ne soit pas entravée sa libre administration. « Aussi, si le taux de charges nettes fixé actuellement à 30 % du potentiel fiscal s’avérait trop élevé au point d’entraver la libre administration des départements, compte tenu des ressources financières dont ils bénéficient réellement, ce taux devrait être réduit », expliquent les sages dans leur communiqué.
La seconde réserve renvoie notamment au législateur le soin de prendre les « mesures correctrices appropriées » si l’augmentation des charges nettes d’APA ou de PCH faisait obstacle à la réalisation de cette garantie de ressources. « Ainsi, si les ressources financières prévues par le législateur s’avéraient insuffisantes pour financer ce mécanisme de garantie, les pouvoirs publics devraient modifier les modalités de financement du concours pour en permettre l’augmentation. »