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Prise en charge de la dépendance : quelques questions simples…

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Complexe, le débat d’experts autour de la prise en charge de la dépendance (voir ce numéro, page 45)… Pierre Gauthier, ancien directeur de l’action sociale et ancien directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation de Midi-Pyrénées, rappelle ici quelques questions simples, à l’aune desquelles il conviendra de juger la qualité de la réforme à venir.

« Le débat touche à sa fin, un débat qui est resté un débat d’initiés. Pouvait-on faire autrement ? Il concerne pourtant toutes les familles de ce pays. Fera-t-il avancer la réflexion collective puis la prise de décisions ? Il y a lieu de craindre que l’accumulation des rapports, le mélange de contributions techniques, d’annonces et de demi-annonces, et de réactions catégorielles produisent un salmigondis inintelligible pour le citoyen moyen.

Notre système est effectivement très compliqué. Pourquoi ? Il repose sur trois décideurs-financeurs, l’Etat, les conseils généraux et l’assurance maladie, dont aucun ne veut lâcher une once de légitimité, auxquels il faut ajouter des centaines d’opérateurs de toutes tailles et de tous statuts et des milliers d’offres locales de services. C’est dire que la question de la coordination est centrale, et mal résolue : les textes qu’on nous annonce vont-ils aider à régler ce problème lancinant ?

Je propose quelques clés pour aider à décrypter le débat.

 Le principe, réaffirmé haut et fort par le gouvernement, du libre choix entre maintien à domicile et hébergement collectif est indiscutable à défaut d’être nouveau, puisqu’il a été formalisé dans le rapport Laroque, il y a un demi-siècle. La réalité, toutefois, c’est que l’on ne recourt à un hébergement en établissement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), voire en unité de soins de longue durée, que lorsque le maintien au domicile n’est plus possible et que la panoplie des aides y concourant a été épuisée.

 Parmi les “outils” du maintien à domicile, figurent historiquement et en bonne place les services d’aide à domicile gérés par des associations, parfois par des centres communaux d’action sociale. Ces services sont en grande difficulté. En clair beaucoup seraient voués à une prochaine disparition dans une indifférence assez générale, victimes d’une gestion parfois approximative mais avant tout d’un système de financement archaïque.

Les conseils généraux, par l’intermédiaire de l’Assemblée des départements de France, et la direction générale de la cohésion sociale ont compris qu’il fallait revoir ce mode de financement et, par voie de conséquence, le mode d’intervention de ces services. Mais il y a une certaine urgence. Que dira le projet gouvernemental sur ce sujet ?

D’aucuns attendent que les entreprises prennent le relais, et c’est sans doute une illusion : sans garantie de qualité, et d’un rapport qualité/prix acceptable, beaucoup de personnes âgées – et leurs familles – préféreront renoncer à une aide plutôt que de faire entrer chez elles quelqu’un en qui elles n’auraient pas confiance.

Du reste, les emplois promis par le plan Borloo ne sont pas au rendez-vous : un rapport d’information du Sénat (30 juin 2010) ne laisse aucune illusion à cet égard.

 Le débat a tourné comme on pouvait le prévoir sur les questions de financement, et cette focalisation a occulté la question centrale : ce financement qui sera en définitive dégagé, à quoi servira-t-il et à qui ?

Facilitera-t-il la prise en charge de séjours en EHPAD dont le coût du seul volet hébergement dépasse généralement les ressources de la personne dépendante et peut représenter jusqu’à un salaire mensuel de cadre ?

Servira-t-il à augmenter l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), laquelle vise à financer, pour les personnes aidées à leur domicile, un plan d’aide personnalisé qu’il revient aux services du conseil général d’étudier et de “négocier” ? L’APA servie à domicile pour les dépendances moyennes couvre une heure par jour d’aide ménagère : est-ce suffisant et est-ce bien la bonne réponse ?

Servira-t-il à d’autres aides ? Lesquelles ? L’utilisation des nouvelles techniques de l’information et de la communication ? Certainement, mais dans quel cadre ?

 Heureusement qu’on a trouvé un “croquemitaine” pour animer un débat austère et complexe : les assureurs, qui sont du reste loin d’être tous de statut commercial. Quand la gauche comprendra-t-elle que la mise en place de “tickets modérateurs” et de “reste à charge” de plus en plus lourds, tant pour des raisons de maîtrise des coûts que pour des raisons de redistribution (des classes moyennes vers les classes populaires) ouvre un boulevard aux assureurs ? On peut douter au demeurant, et les assureurs les premiers, de la réelle “assurabilité” du risque…

Il est clair que les établissements doivent continuer (et pour certains commencer) à évoluer, à diversifier leurs services, sortir de leurs murs, devenir des centres de ressources, de véritables opérateurs. Ils doivent aussi disposer du personnel nécessaire pour la prise en charge de pensionnaires de plus en plus âgés, et dépendants : c’est ce que l’on appelle communément et improprement la “médicalisation”, à la charge de l’assurance maladie ou couverte, pour une part minoritaire, par le tarif “dépendance” et donc par l’APA. Cette tarification “tripartite”, dont personne ne soutient quelle est simple, sera-t-elle maintenue ? L’Etat osera-t-il déléguer aux conseils généraux la répartition de crédits de l’assurance maladie ? Et surtout, qui financera les postes indispensables pour une prise en charge correcte, par exemple faire manger les personnes accueillies – dans les établissements (où le ratio agent/lit est très en dessous de celui qui est appliqué – pour des niveaux de dépendance comparables – aux établissements, foyers ou maisons d’accueil spécialisées pour adultes handicapés) ?

 La majorité des personnes dépendantes vivant seules ou le plus souvent “en famille”, sont à la charge de ceux qu’on appelle les “aidants familiaux” (il s’agit plus exactement d’aidantes) : si ceux-ci disparaissaient d’un seul coup, notre système de protection sociale serait acculé à une faillite immédiate. Or on pense que, pour des raisons tenant à l’évolution de notre société, ces aidants familiaux seront moins nombreux à l’avenir. Que prévoira le dispositif dit “du cinquième risque” pour les aider ? Renforcement des plateformes de répit ? Formations ? Groupes de parole ? Reconnaissance de leur activité en termes de couverture maladie ou de droits à pension ? Meilleure information pour les aider dans le maquis des aides et des dispositifs ? Quiconque est confronté à cette situation constate immédiatement, en effet, que les dispositifs actuels de CLIC (centres locaux d’information et de coordination, lancés par la circulaire Martine Aubry de 2000), de MAIA (“maisons” Alzheimer), d’accueils de jour ou temporaires sont totalement insuffisants.

 Bien sûr, l’union sacrée se fera autour de l’impératif de prévention, sans trop savoir ce qu’on met dedans. Certes, l’adaptation des logements est très importante, de même que le maintien de liens sociaux pour les personnes très âgées. Mais il faut dire que la prévention se fait, ou ne se fait pas, dans les hôpitaux, et d’abord dans leurs services d’accueil des urgences : on y fabrique très vite un dépendant.

Prévenir la dépendance, c’est d’abord soigner les personnes âgées de leurs affections et en tenant compte de leur fragilité particulière, et non renvoyer la question sur les SSR (services hospitaliers de soins de suite et de réadaptation, anciens services de “moyen séjour”), les EHPAD et les USLD. C’est aussi tout faire pour prévenir leur hospitalisation, et raccourcir autant qu’il est possible la durée de celle-ci ; la question des solutions d’“aval” est cruciale, comme celle de l’organisation des soins dans les EHPAD. C’est enfin, il faut le dire, donner à la gériatrie la place qu’elle mérite et qu’elle n’a pas encore partout.

 En définitive, qui organisera ce puzzle, qui mettra de l’ordre dans cette course de haies qu’est la prise en charge au quotidien d’une personne âgée dépendante ? Cela fait trente ans (circulaire Joseph Franceschi, 1982) que l’on essaie de faire de la coordination et dix qu’on sait que ça ne marche pas, sauf exceptions. Peu croient que les agences régionales de santé, qui ont pourtant la plupart des cartes en main, soient capables d’un miracle dans ce domaine. Quel opérateur, alors, osera proposer une prestation complète, intégrant enfin les soins et l’aide ménagère, la prévention et l’apport des technologies de l’information et de la communication, l’hospitalisation quand elle est nécessaire et pas plus, et la prise en charge à domicile ? Les établissements de gériatrie ? Les assureurs ? Le secteur associatif ?

On souhaitera simplement que les textes qui sortiront du débat en cours, inévitablement bavards et qui ajouteront vraisemblablement une couche de complexité, ne ferment pas la porte à ces opérateurs. »

Contact : pierre.charles.gauthier@wanadoo.fr

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