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Quand l’intégration se conjugue au féminin

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A leur arrivée en France, les femmes migrantes rencontrent de nombreux freins à leur intégration. Outre d’importantes difficultés d’insertion sociale et professionnelle, elles sont confrontées à des discriminations liées au genre. Si des dispositifs prennent en compte le public féminin, les moyens manquent encore pour valoriser la richesse que ces femmes peuvent apporter.

Pas facile d’être candidat à l’intégration, surtout lorsqu’on est une femme. Or plus de la moitié des migrants arrivant en France sont… des migrantes, du moins si l’on s’en tient aux chiffres officiels qui recensent les signataires du contrat d’accueil et d’intégration (CAI) et écartent par définition les personnes en situation illégale sur le territoire. Depuis la fin de l’immigration de travail en 1974 et l’ouverture du regroupement familial, la venue des femmes s’est, en effet, accrue. En 2009, elles représentaient 52,3 % des signataires du CAI ; ce dispositif vise à faciliter l’intégration des étrangers désirant s’installer dans l’Hexagone, grâce à un accompagnement (cours de langue, journée de formation civique, sur la vie en France…) orchestré par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) (1).

Si, au fil des ans, l’immigration féminine s’est diversifiée, sa perception a toutefois insuffisamment évolué. « Il existe une pluralité de trajectoires, de profils, et donc de besoins : des femmes sont diplômées, certaines portent le projet de l’immigration, d’autres sont exilées… On continue pourtant à les voir toutes comme les épouses des migrants », dénonce Chahla Beski, sociologue et directrice de l’Agence de développement des relations interculturelles pour la citoyenneté (ADRIC). En 2009, 3,5 % des femmes ont obtenu un titre de séjour dans le cadre de la migration professionnelle (contre 15,2 % des hommes) et 10 % en tant que réfugiées ou apatrides (sans nationalité légale). Quant aux 81,5 % venues pour motif familial, elles n’ont pas forcément pour ambition de rester au foyer. Le poid des représentations complexifie donc le chemin des candidates à l’intégration. Lesquelles comptent pourtant parmi les publics prioritaires du ministère de l’Intérieur et de l’Immigration ; « elles jouent, en effet, un rôle essentiel dans le processus d’intégration, notamment de leur famille et de leurs enfants », explique Isabelle Maupilier, chargée de mission « Intégration et promotion sociale des femmes étrangères et immigrées » au sein de ce ministère (voir encadré ci-dessous).

Premier obstacle à l’intégration des migrantes : l’emploi (voir encadré, page 33). « Une partie d’entre elles n’ont pas de réseau, pas d’expérience, voire aucune formation. Néanmoins, nous recevons de plus en plus de femmes ayant fait des études pour qui se posent des questions d’équivalence de diplômes », témoigne Joséphine Muteteli, assistante sociale à l’OFII de Paris. « Il y a aussi des progrès à faire concernant la validation de l’expérience et la formation professionnelle, estime Martine Bendahan, déléguée territoriale de l’Association service social famille migrants (Assfam) dans la Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine (2). Faute pour ces femmes d’être inscrites à Pôle emploi depuis plus de un an, des formations leur sont fermées et elles ne peuvent envisager de reconversion. Les pouvoirs publics doivent bouger là-dessus au lieu de tout miser sur la formation linguistique. » L’apprentissage du français est en effet une obligation du CAI, qui conditionne l’octroi d’un titre de séjour. « L’intégration passe évidemment par la maîtrise de la langue et l’organisation d’un dispositif offrant jusqu’à 400 heures de cours gratuits a été le bienvenu. Mais on fait beaucoup d’affichage sur ce point alors que les primo-arrivantes sont à plus de 80 % francophones », s’agace Martine Bendahan. En outre, le niveau exigé reste insuffisant pour travailler et « il est assez difficile de faire financer des cours de perfectionnement et non un enseignement de base », estime-t-elle, regrettant que l’OFII ne prenne pas en charge des ateliers socio-linguistiques.

L’Assfam, pour sa part, anime de tels dispositifs, auxquels participent surtout des femmes. Objectif ? Permettre un apprentissage de la langue en souplesse autour d’une problématique sociale : insertion professionnelle, vie quotidienne… « Nous avons, par exemple, organisé des ateliers scolarité-parentalité avec des femmes éprouvant des difficultés à communiquer avec le monde enseignant et à suivre la scolarité de leurs enfants, faute de bien maîtriser le français, explique Martine Bendahan. Cette formule répond à un besoin très pratique et les résultats sont concrets. Ces femmes sont très volontaires. »

Que ce soit pour suivre les cours de langue, une formation ou exercer une activité, celles-ci sont aussi freinées par leur situation familiale et sociale. « Elles rencontrent d’énormes problèmes pour se loger et faire garder leurs enfants qu’elles élèvent souvent seules, les crèches et haltes-garderies étant saturées. Certaines se retrouvent hébergées dans des hôtels en grande banlieue, parfois avec des enfants scolarisés dans la capitale. Travailler ou effectuer des démarches dans ces conditions devient très difficile », relève Christine Rousselin, directrice territoriale adjointe de l’OFII de Paris. C’est d’ailleurs le serpent qui se mord la queue. « Comment trouver un logement sans avoir de quoi le payer ? Comment chercher un emploi sans pouvoir faire garder ses enfants ? Ces femmes ont envie d’apprendre, de travailler, d’être autonomes. Avec tous ces freins, on se demande souvent quand l’intégration pourra vraiment commencer », se désole Joséphine Muteteli.

« Le titre de séjour ne règle pas tout »

Pour faciliter l’accès à l’emploi, les signataires du CAI peuvent bénéficier, depuis 2009, d’un bilan de compétences. Une convention a, par ailleurs, été signée, en 2010, entre Pôle emploi et l’OFII pour assurer un suivi personnalisé (3). Des partenariats sont aussi montés au plan national, par exemple avec Manpower sur les métiers en tension ou localement avec les directions territoriales de l’office. « Nous sommes très demandeurs de dispositifs car, même si notre suivi est d’abord administratif, nous repérons d’énormes besoins, assure Christine Rousselin. Le titre de séjour ne règle pas tout. » Des programmes sont ainsi régulièrement expérimentés. Ce fut le cas du projet Métis, achevé fin 2010. « Il s’agissait de proposer un logement et un emploi à des migrants prêts à s’installer en province avec un suivi de six mois après le départ. Le succès a été mitigé car maintes personnes régularisées, déjà déracinées, n’ont pas envie de quitter leur environnement. Mais le projet a intéressé des femmes seules avec enfants, désireuses de vivre en plus grande sécurité », commente Yannick Gillet, responsable « intégration » à l’OFII de Paris. Autre exemple : le lancement d’un partenariat visant à organiser un marrainage pour des femmes ayant un bac+ 2 pour les aider dans leur recherche d’emploi.

De surcroît, un accompagnement social est toujours proposé. « Lors de la plateforme d’accueil, nous informons ces femmes qu’elles peuvent avoir un entretien pour un suivi individualisé, explique Joséphine Muteteli. Mais nos moyens sont réduits et nous œuvrons en lien avec nos collègues extérieurs. L’idée est aussi de faciliter le passage vers le droit commun. Nous constatons beaucoup de précarité chez ces femmes. Avant leur régularisation, elles ont souvent vécu sans ressources, ballottées d’un lieu à l’autre. Certaines ont également subi des moments très douloureux. »

Un sort que connaissent aussi nombre d’exilées. Près de 60 % des bénéficiaires de la protection subsidiaire (4) sont des femmes. « Parmi elles, beaucoup ont été victimes de persécutions en raison de leur genre [violences sexuelles, risques de mutilations génitales…]. Dans ce cadre, leur titre de séjour est de courte durée et doit être renouvelé, ce qui entraîne une précarité et une difficulté à se projeter sur le long terme », analyse Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile. A cela s’ajoute le vécu traumatique, qui peut entraver l’autonomie.

Dans certains départements, des travailleurs sociaux de l’Assfam sont présents sur les platesformes de l’OFII. Dans ce cadre, des femmes ont pu dénoncer des difficultés spécifiques freinant leur intégration : les violences dont elles sont parfois victimes (voir encadré, page 35) et que facilitent la méconnaissance de la langue, l’isolement, la précarité financière ou juridique… « Souvent, la délivrance de leur titre de séjour est subordonnée à un temps de vie avec le conjoint et s’en séparer signifie perdre son droit au séjour. Elles sont donc parfois l’objet de pressions », souligne Martine Bendahan. Et si des mesures existent pour mieux protéger ces femmes, encore faut-il qu’elles dénoncent les violences subies.

A ce cumul de difficultés s’ajoutent des réalités plus subtiles liées à leur identité de femmes étrangères. Ainsi, dans leurs démarches auprès des institutions comme dans l’organisation de leur quotidien (formation, emploi, logement, santé…), les migrantes se heurtent à des discriminations spécifiques. « Comme les autres femmes, elles sont confrontées au sexisme, mais cela se cumule en général avec le racisme. On a alors tendance à n’aborder les choses que par le biais de ce dernier et le sexisme se révèle difficile à démontrer », observe Chahla Beski. C’est d’ailleurs l’un des enseignements d’une recherche-action menée par l’ADRIC (voir encadré ci-dessous). Autre obstacle : le communautarisme. « Il commence dès qu’on fait d’une appartenance communautaire une référence identitaire exhaustive, sociale et politique. Ces comportements ne viennent pas que des personnes d’origine étrangère mais aussi de la société qui les entoure, des professionnels qu’elles rencontrent et qui ne les identifient que par rapport à une appartenance (religieuse, culturelle…). Cela peut mener à des discriminations », assure Chahla Beski.

De son côté, Faïza Guelamine, sociologue et responsable de formation à l’Andesi (Association nationale des cadres du social) (5), pointe les risques de victimisation des migrantes à laquelle peut conduire l’assignation à une identité de femme immigrée. « On ne peut nier certaines situations spécifiques et certaines pratiques préjudiciables à ces femmes, mais attention à ne pas les instrumentaliser pour désigner celles qui ne sont pas intégrées, met-elle en garde. Il existe de vrais problèmes d’inégalités dans la société française et cela ne concerne pas que les femmes immigrées. » De telles assignations peuvent aussi confiner les migrantes dans des rôles faisant obstacle à leur intégration. « J’ai vu des acteurs du sanitaire et du social présenter les Algériennes comme de bonnes nourrices, par culture voire par nature, relève Simona Tersigni, maître de conférences à l’université Rennes-II. C’est dangereux : non seulement c’est faux – une Algérienne déprimée peut être une mauvaise nounou –, mais, en plus, cela limite leurs possibilités car on n’envisage pas d’autres voies pour elles. »

Un autre risque est de les enfermer dans l’espace domestique. « Si on vise l’intégration des migrantes, il faut s’interroger sur la qualité de leur travail. Aujourd’hui, beaucoup sont employées dans les services à la personne. Or, si elles passent leur journée à garder des enfants ou au domicile de personnes âgées, leurs relations seront limitées, tout comme leur intégration sociale », poursuit Simona Tersigni. D’où la nécessité, défend-elle, de développer des réseaux professionnels afin de leur permettre d’interagir avec d’autres femmes, notamment françaises. « Cela leur donnerait aussi des outils favorisant l’apprentisage de la langue par le partage d’expériences. » Dernier danger : l’intériorisation du stigmate. Assignées à certaines tâches, les femmes finissent par s’y conformer. Ce que constate l’Association pour l’accompagnement et la formation des femmes et des familles (AFAVO), dans le Val-d’Oise (6), qui offre un accompagnement global. « Une fois leur titre de séjour obtenu, elles cherchent du travail et, souvent alors ne pensent qu’à effectuer des ménages. Mais certaines ont un bon niveau de français, voire un bagage. Elles peuvent aller vers autre chose. Il faut leur redonner confiance en elles et veiller à ce qu’elles ne s’enferment pas dans certains métiers comme si c’était une évidence », témoigne Salimata Sylla, responsable de l’antenne de Cergy.

« Au cumul du racisme et du sexisme, aux effets des violences spécifiques et à ceux néfastes du communautarisme et des extrêmismes religieux, s’ajoute l’image dévalorisée qu’on a des populations immigrées. On identifie toujours ces femmes à partir de ce qu’elles n’ont pas, alors qu’elles sont pleines de ressources et que certaines sont à l’origine d’expériences innovantes dans les quartiers », souligne Chahla Beski. Avoir un projet d’émigration demande une énergie positive et d’aller au bout d’une démarche, des atouts à ne pas négliger. « Certes, les acteurs sociaux ne rencontrent ces femmes qu’en raison de leurs difficultés, mais, si l’on veut progresser, il convient de changer de regard. Sans ignorer les réalités de terrain, il faut évacuer les préjugés et s’appuyer sur ce capital ignoré que, même avec la meilleure bienveillance, on ne parvient pas aujourd’hui à valoriser », insiste Chahla Beski.

C’est l’approche que défend également l’AFAVO. « Notre démarche est à double facette : nous cherchons à régler les problèmes sociaux, mais aussi à ne pas prendre les femmes que par le prisme de leurs difficultés en les faisant avancer à partir de leur potentiel, dont elles ont d’ailleurs rarement conscience, explique Aïcha Sissoko, directrice de l’AFAVO. Les personnes doivent s’enrichir et savoir qu’elles peuvent enrichir cette société, c’est notre fil conducteur. Et ce parcours est fait de ruptures et de continuité. » L’AFAVO tente donc de créer des liens entre les familles et leur environnement. « L’intégration, ce n’est pas rester entre soi. On est dans le va-et-vient permanent. On organise, par exemple, des ateliers de couture pour qu’elles rencontrent d’autres femmes, immigrées on non », poursuit sa directrice. L’AFAVO utilise à cette fin l’approche interculturelle. « Nous prenons en charge les différences culturelles sans enfermer personne dans ses spécificités. Nous facilitons la compréhension des messages, en particulier des travailleurs sociaux, pour permettre aux femmes de prendre leur place dans la société d’accueil », explique Denise N’Galeu, médiatrice interculturelle.

L’intégration en général, des femmes en particulier, concerne donc non seulement les individus mais aussi la société tout entière. Pourtant, ce principe semble se déliter. « En France, il y a eu des politiques d’intégration avec un soutien à certains dispositifs et l’idée que les migrants pouvaient s’inscrire dans un projet de société. Aujourd’hui, il reste surtout des injonctions d’intégration, avec un fond sécuritaire et un filtrage selon les besoins du marché, analyse Simona Tersigni. Comme ailleurs en Europe, l’intégration est désormais pensée comme individuelle, tout repose sur les migrants qui ont, via des CAI, des devoirs et doivent montrer des gages. On ne parle plus de droits civils, encore moins de droits politiques. » Un point de vue que relaie Faïza Guelamine : « On est dans une caricature de l’intégration. On la voit comme une assimilation d’ordre culturel qui procède d’une action volontariste alors qu’on sait que c’est un processus collectif. C’est d’ailleurs intéressant de voir des filles de 20 ans, de la troisième génération, vivre moins à l’occidentale que leur mère. »

L’attitude des politiques est également montrée du doigt. « Nous ramons dans le sens de la citoyenneté et de l’intégration républicaine pendant que sont tenus des discours aux plus hauts niveaux les contrariant. On ne peut pas dire que la République est riche de sa diversité et désigner ceux qui en font partie comme responsables de tout ce qui va mal. Cela disqualifie notre intervention ! », lâche Aïcha Sissoko.

« Aujourd’hui, les pouvoirs publics ont commencé à identifier la place des femmes, mais cette visibilité doit être relayée par des actions concrètes, il faut dépasser les discours. Cela réclame des moyens », plaide, quant à elle, Chahla Beski. Et de citer la qualification des acteurs, essentielle pour faire évoluer les représentations, et leur reconnaissance : « Intervenir sur le terrain n’est pas valorisé, agir auprès des populations immigrées non plus, et se pencher sur les questions de genre, pas davantage… »

LES FEMMES, UNE PRIORITÉ

Au ministère de l’Intérieur et de l’Immigration, la direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté a notamment pour mission de promouvoir l’accès aux droits sociaux et personnels et aux formations linguistiques des migrantes, d’appuyer leur entrée dans l’emploi, d’agir en faveur de la prévention et de la lutte contre les violences qui leur sont faites. Fin 2007, un accord-cadre interministériel a été signé pour faciliter les partenariats dans ces domaines entre notamment l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration), l’ACSE (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances et le service des droits des femmes et de l’égalité). Décliné en particulier dans le cadre des programmes régionaux d’intégration des populations immigrées (7), il vise, entre autres, à renforcer la coopération des acteurs pour réussir l’intégration des primo-arrivantes.

UN PARCOURS DIFFICILE MAIS SANS REGRETS

Malgré les obstacles qu’elles rencontrent, les migrantes se disent satisfaites de leur expérience en France. Quelque 97 % des signataires d’un contrat d’accueil et d’intégration (CAI) en 2009 déclarent en effet que venir était une bonne décision. Telle est la conclusion d’une étude publiée par le ministère de l’Intérieur et de l’Immigration (8) à partir de l’enquête longitudinale sur l’intégration des primo-arrivants (ELIPA).

Issues pour l’essentiel du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, mariées (73 %) ou en couple (10 %), les femmes sont environ huit sur dix à avoir obtenu un premier titre de séjour pour motif familial, contre un peu plus de six hommes sur dix. Les femmes se sont, par ailleurs, moins souvent retrouvées dans l’irrégularité, puisque sept sur dix contre cinq hommes sur dix, n’ont jamais connu cette situation.

Sur le plan des études, les femmes ont plus de diplômes que les hommes. Elles sont 71 % dans ce cas (contre 64 % des hommes) sans compter que plus du tiers ont un diplôme universitaire ou équivalent (contre un quart de leurs homologues). Pour autant, cela « ne se traduit pas par une situation des femmes sur le marché du travail plus favorable », constate Virginie Jourdan, adjointe au chef de la division « enquêtes et études statistiques » du secrétariat général à l’Immigration et l’Intégration, qui pointe l’absence de réseau professionnel et les difficultés d’équivalence de diplômes.

Avant leur venue, près de 60 % des femmes travaillaient et près de 30 % étaient au foyer. Environ 10 % étaient au chômage, soit plus que les hommes. Si des inégalités hommes-femmes existaient déjà dans le pays de départ, la migration n’a rien arrangé puisque « leur situation sur le marché du travail s’est dégradée et que certaines femmes, auparavant actives occupées, deviennent femmes au foyer », note la chercheuse. Et d’analyser : « La migration a pour conséquence immédiate l’entrée dans l’inactivité pour certaines femmes. Et parmi les femmes actives, plus de la moitié est au chômage. » Les migrantes diplômées sont particulièrement concernées.

Parmi les femmes au foyer, huit sur dix déclarent ne pas chercher d’emploi. Cela s’explique surtout par la présence d’enfants, nés ou à naître. Seules 30 % des femmes font garder leurs enfants la journée et plus elles sont éloignées du marché du travail, moins elles le font.

La barrière de la langue est aussi évoquée comme un frein à la recherche d’emploi. L’enquête montre sur ce point que, à durée de présence égale, les migrantes maîtrisent moins bien le français que les hommes. Là encore, l’éloignement du marché du travail renforce la tendance.

Enfin, la situation au regard de l’emploi a un impact sur la satisfaction des femmes à vivre en France. Chez les chômeuses, elle est en effet moindre (86,7 %) que chez les actives occupées (90,2 %). Pour autant, ces taux élevés sont à relativiser car, relève Virginie Jourdan, les migrants « ont tendance à comparer leur vie actuelle à leur ancienne vie ou à la vie des personnes restées dans leur pays d’origine et préfèrent, malgré les difficultés rencontrées, leur vie en France ».

CAPITALISER LES SAVOIRS ET AMÉLIORER LES PRATIQUES

A partir d’une recherche-action sur les problématiques liées à l’intégration des migrantes, l’ADRIC (Agence de développement des relations interculturelles pour la citoyenneté) (9) a édité, en 2008, un guide méthodologique, Face aux violences et aux discriminations : accompagner les femmes issues des immigrations. Destiné aux acteurs sociaux, cet outil a été élaboré à partir de questionnements et de constats d’intervenants de terrain, et de savoir-faire associatifs. Y ont contribué maints organismes tels la Cimade, Voix de femmes ou le Centre d’information des droits des femmes et des familles (CIDFF) de Seine-et-Marne. Il vise à améliorer le décodage du vécu de ces femmes et de leurs besoins, à favoriser l’intervention dans une « perspective d’égalité entre les sexes, de liberté et d’autonomie », à promouvoir leur rôle en tant que « citoyennes et actrices du progrès social et culturel » et à faciliter le travail en partenariat.

Dans une logique similaire, l’association a mené, avec le Centre national d’information des droits des femmes et des familles, une autre action en Ile-de-France, Rhône-Alpes et Centre, qui a abouti à l’écriture, en 2010, du guide Pour l’intégration des femmes primo-arrivantes. Le projet, soutenu par le Fonds européen d’intégration, a reposé sur des ateliers d’échanges de pratiques et des sessions de formation. Il couvre toutes les dimensions de l’intégration en vue d’améliorer l’accueil des migrantes et l’approche des acteurs sociaux.

ISABELLE GILLETTE-FAYE
« Accéder au savoir joue un rôle très positif »

Sociologue et directrice du Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants (GAMS) (10).

En quoi les migrantes seraient-elles plus exposées à la violence que les autres femmes ?

Les violences conjugales ou intrafamiliales concernent toutes les femmes, mais la situation de migration tend à aggraver le phénomène. En outre se greffent des pratiques spécifiques à certaines communautés. Tout d’abord, au-delà du pays, il faut tenir compte de la région d’origine de ces femmes. Beaucoup sont issues de zones rurales où les populations sont peu alphabétisées et les filles peu scolarisées. Certaines viennent de régions enclavées et ont été plongées d’emblée dans un environnement où les rapports hommes-femmes sont marqués par la violence – mutilations sexuelles, mariages précoces…

Que se passe-t-il quand elles arrivent en France ?

Nombre de migrantes se retrouvent dans un pays dont elles ne parlent pas la langue, dont elles ne maîtrisent ni les codes ni les modes de vie. Isolées, sans accès à l’emploi, elles sont dépendantes financièrement de leur conjoint, d’ailleurs pas toujours choisi – ce qui en soi est susceptible de générer de la violence familiale –, et ne savent pas comment se faire aider. Ces femmes ont reçu une éducation où elles doivent tout à leur mari et rares sont celles qui osent se révolter. En outre, dans le cadre de travaux sur la polygamie, beaucoup me disaient : « Ici, j’ai l’eau au robinet, je n’ai plus besoin de chercher du bois… donc, j’accepte des choses de mon mari ». Elles voient en outre que leurs enfants ne meurent plus, qu’ils vont à l’école, et en sont fières.

La situation évolue-t-elle ?

Cela va en s’améliorant, même si, dans ses neuf régions d’implantation (11), le GAMS rencontre des cas terrifiants. Le contrat d’accueil et d’intégration a heureusement permis de progresser en imposant l’apprentissage du français et la sensibilisation aux valeurs républicaines, dont l’égalité hommes-femmes. Aujourd’hui, les signataires savent officiellement qu’en France, on ne mutile pas sa gamine, on ne marie pas de force sa fille et on ne bat pas sa femme. Il est aussi prévu de revoir le contenu de la formation civique pour tenir compte des origines des migrants. Tout cela va dans le bon sens (12). Enfin, dans les pays de départ, on assiste à des avancées extraordinaires, et arrivent désormais des générations ayant connu un meilleur développement. Accéder au savoir joue un rôle très positif sur le statut des femmes et leur capacité à se défendre.

PROPOS RECUEILLIS PAR F.R.

Notes

(1) Visant un public de « primo-arrivants » (hors Union européenne) et obligatoire depuis 2007, le CAI est signé pour un an renouvelable une fois mais peut concerner des personnes en France depuis plus longtemps, tels les sans-papiers régularisés.

(2) Assfam : 5, rue Saulnier – 75009 Paris – Tél. 01 48 00 90 70.

(3) Voir ASH n° 2660 du 21-05-10, p. 20.

(4) Accordée à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié et qui aurait des craintes d’être exposée à une menace en cas de retour dans son pays d’origine.

(5) Elle a publié Action sociale et immigration en France – Repères pour l’intervention – Ed. Dunod, 2008.

(6) AFAVO : 40, avenue du Martelet – 95800 Cergy Saint-Christophe – Tél. 01 30 32 41 28.

(7) Voir ASH n° 2647 du 19-02-10, p. 16.

(8) « Les femmes immigrées signataires du CAI en 2009 » – Infos Migrations n° 22, avril 2011.

(9) ADRIC : 7, rue du Jura – 75013 Paris – Tél. 01 43 36 89 23 – www.adric.eu.

(10) Fédération nationale GAMS : www.federationgams.org.

(11) Ile-de-France, Haute-Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Champagne-Ardenne, Rhône-Alpes, PACA, Val-de-Loire, Poitou-Charentes et Picardie.

(12) Voir ASH n° 2682 du 12-11-10, p. 17.

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