« C’est l’examen de la dernière chance », alertaient l’Unicef-France et la CNAPE (Convention nationale des associations de protection de l’enfant) à la veille du début de la lecture à l’Assemblée nationale, le 21 juin, du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs. Le texte, déjà adopté au Sénat le 19 mai sans grande modification (1) et examiné en procédure accélérée, devrait rester entre les mains des députés jusqu’au 28 juin. Sans sursaut de ces derniers, dont beaucoup de l’opposition ont déposé des amendements de suppression, l’ensemble des acteurs du secteur – associations, magistrats, avocats et professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse, rejoints par nombre de personnalités – craint la mise à mal des principes de l’ordonnance du 2 février 1945. Ils invoquent la violation de la Constitution et des engagements internationaux de la France. Des arguments jusqu’ici rejetés par la chancellerie, qui assure que le projet de loi maintient la spécialisation des juridictions pour mineurs, l’atténuation des peines et la primauté de l’éducatif sur la réponse répressive.
Parmi les dispositions du projet, deux sont jugées particulièrement emblématiques d’un alignement sur la justice des majeurs, qui sanctionnerait donc plus fort, et plus vite. La première est la création d’un tribunal correctionnel pour les mineurs récidivistes de plus de 16 ans encourant trois ans de prison. « Le projet fait quasiment disparaître le tribunal pour enfants où siègent aux côtés du juge des enfants deux assesseurs recrutés pour leur intérêt pour les questions de l’enfance ; les voici congédiés au profit du tribunal correctionnel, augmenté dans certaines affaires d’assesseurs citoyens tirés au sort et où le juge des enfants [siégeant avec deux juges non spécialisés] servira d’alibi », expliquaient le 23 juin, dans un appel à la mobilisation, plusieurs organisations, dont le Syndicat de la magistrature, l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), le Syndicat des avocats de France, la CGT-PJJ et le Syndicat national de la protection judiciaire de la jeunesse (SNPES)-PJJ-FSU. Pour les professionnels, le juge des enfants serait marginalisé, même s’il est prévu qu’il préside le tribunal correctionnel pour mineurs. Cette seule présence ne suffirait pas, selon eux, à maintenir son rôle dans une procédure spécialisée, fondée sur la continuité et le travail pédagogique avec des professionnels référents à même de prendre en compte l’évolution du mineur. « Il suffirait de demander la participation d’un juge des enfants entre deux rendez-vous en assistance éducative. Celui-ci ne serait pas forcément celui qui suit le mineur », explique Odile Barral, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature.
Le fait que très peu de mineurs – entre 600 et 700 selon le sénateur (UMP) Jean-René Lecerf, rapporteur du projet de loi – seraient concernés par ce tribunal correctionnel ne rassure pas les professionnels. « Ce ne sera qu’un début, estime Odile Barral. Car il suffirait qu’ils soient jugés dans les mois qui suivent une première affaire et qu’ils n’aient pas fait appel pour se trouver en état de récidive. »
De fait, l’apparition de cette nouvelle juridiction serait conjuguée à l’autre disposition très critiquée : la possibilité de saisir directement le tribunal correctionnel ou le tribunal pour enfants sans passer par le juge des enfants. Objectif du gouvernement : juger plus rapidement, alors qu’il se passe « 18 mois en moyenne entre la commission des faits et la décision de justice ». Pour répondre aux exigences du Conseil constitutionnel « qui a censuré une disposition similaire dans la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, le projet de loi fixe des conditions qui n’en sont pas », poursuit Odile Barral. Il faudra que la peine encourue soit de trois ans pour les plus de 16 ans, de cinq ans pour les plus de 13 ans, et que le mineur ait déjà fait l’objet d’une procédure. « Il suffirait de viser les circonstances aggravantes, comme les vols en réunion, pour atteindre ces seuils. En réalité, cette forme de comparution immédiate concernerait beaucoup de mineurs. »
Selon le projet de loi soumis aux députés, seraient entendus directement par le tribunal, dans un délai de dix jours à deux mois, les mineurs pour lesquels des éléments de personnalité ont pu être recueillis récemment ou ne sont pas nécessaires. Pour les professionnels, cette accélération du jugement, qui a, en outre, motivé la création d’un « dossier unique de personnalité », serait un contresens : « Ce qui fait la richesse de la justice des mineurs, c’est le temps de l’avant-jugement pour mettre en place une évaluation approfondie et pluridisciplinaire et amorcer une prise de conscience du jeune, explique Maria Inès, co-secrétaire nationale du SNPES-PJJ-FSU. Dire que les mineurs d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier n’a pas de sens : leur taille et la gravité de leur acte ne dit rien de leur maturité ! » Les spécialistes dénoncent une confusion entre la rapidité nécessaire de la réponse pénale et celle du jugement. « Ce qui est contre-productif, c’est de convoquer un gamin plusieurs mois après un délit parce que les services judiciaires sont encombrés », souligne Michel Faujour, du SNPES. Les délais de prise en charge par les services de la PJJ peuvent également, faute de moyens, être très longs dans certains départements.
Pour améliorer le traitement judiciaire de la délinquance des mineurs, l’AFMJF propose une « césure de la procédure » en deux phases : une audience initiale d’examen de la culpabilité et une audience de jugement intervenant au terme d’une période d’investigation sur la situation du mineur et de « mise à l’épreuve ». Une solution pour raccourcir le délai de réponse à l’acte et rendre le système plus lisible, tout en respectant les principes de l’ordonnance du 2 février 1945. La commission des lois de l’Assemblée nationale en a repris l’idée en prévoyant d’assouplir les conditions de l’ajournement des peines pour les mineurs.
L’association avait déjà porté ce projet dans le cadre de la préparation du « code pénal de la justice des mineurs » lancé par Rachida Dati fin 2008, dans la foulée des conclusions du « rapport Varinard » (2). Mais ce projet ne fait plus partie du calendrier, en tout cas jusqu’à l’échéance électorale de 2012. Dommage, car les syndicats et les associations avaient largement contribué au débat, à partir de leurs constats. Une expertise qui semble aujourd’hui faire défaut. « Pour la douzième fois en neuf ans, il vous est demandé de modifier l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante, sans que les précédentes modifications législatives aient pu être évaluées ni même porter leurs effets », a regretté, le 14 juin, DEI (Défense des enfants International)-France dans une lettre ouverte aux députés.