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Justice des mineurs : « Nous sommes dans l’escalade des réponses »

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De réforme en réforme, la justice des mineurs ne cesse de voir son fonctionnement modifié et ses spécificités remises en cause. Le dernier projet de loi en date est ainsi en cours d’examen à l’Assemblée nationale (voir ce numéro, p. 24). Dans ce contexte, que devient la figure centrale du juge des enfants ? La magistrate Laurence Bellon en témoigne dans son livre « L’atelier du juge ».

Vous êtes juge des enfants depuis plus de 25 ans. En quoi vos conditions d’exercice ont-elles évolué ?

Lorsque j’ai pris mes fonctions en 1985, les juges des enfants étaient souvent sur le terrain. Puis la loi du 6 janvier 1986 réformant l’assistance éducative a imposé que toute mesure de placement ou d’AEMO [action éducative en milieu ouvert] soit revue au moins tous les deux ans. Auparavant, elle ne l’était qu’en cas de demande des parents ou d’incident grave. Nous avons dû revoir un grand nombre de dossiers qui n’avaient jamais été réexaminés. Cela a multiplié par trois ou quatre notre activité juridictionnelle. Et comme il n’y a pas eu de création de postes, il nous a fallu tenir audience sur audience. Aujourd’hui encore, il nous est très difficile de dégager du temps pour des réunions à l’extérieur. De façon concomitante, les juges des enfants sont devenus bien plus soucieux des règles de procédure, notamment du principe du débat contradictoire. Avant, les pionniers dans la fonction étaient surtout préoccupés de l’articulation entre la justice et les sciences humaines et sociales. Mais nous sommes revenus à des postures d’arbitrage plus traditionnelles. Une autre évolution concerne la montée en puissance des parquets. Depuis les années 1990, ils sont dans une position de jugement. Là où, avant, seuls les juges des enfants étaient saisis, presque la moitié du contentieux est aujourd’hui traitée par le parquet en alternative aux poursuites.

Les problématiques des jeunes ont-elles aussi beaucoup changé ?

La comparaison n’est pas simple. J’ai débuté à Lyon, qui est une ville riche avec une forte tradition sociale, et j’exerce aujourd’hui à Roubaix, une cité en grande difficulté économique et sociale. Le contexte est donc totalement différent. A Roubaix, les conditions de précarité sont souvent extrêmes. Je reçois en moyenne entre cinq et sept familles par jour, et au moins l’une d’elles est orpheline de père ou de mère. De même, lorsque je suis arrivée dans le Nord, j’ai eu à traiter beaucoup de dossiers concernant des abus sexuels. Mais de là à dire qu’il s’agit d’une particularité régionale… Surtout que, depuis les années 1980, un important travail de sensibilisation des professionnels de l’enfance a été réalisé partout en France sur les maltraitances physiques et sexuelles. Enfin, depuis trois ou quatre ans, je constate une explosion des situations de danger liées à l’intensité des conflits lors de séparations conjugales. Cela touche tous les milieux, avec des enfants qui font l’objet de conflits extrêmement durs.

Pourquoi l’image d’un « atelier » pour parler de votre cabinet ?

Je tiens à ce côté « bricolage », au sens noble du terme. Si la loi était d’application automatique, il n’y aurait pas besoin de juges. Des ordinateurs suffiraient à appliquer mécaniquement le code. Mais les contentieux sont complexes, notamment en matière de protection de l’enfance et de justice des mineurs. L’arbitrage et l’individualisation de la décision sont nécessaires. En même temps, comme l’artisan reçoit beaucoup de monde, le juge des enfants a de nombreux partenaires. Je statue sur la notion de danger, mais celle-ci n’étant définie nulle part, je peux avoir recours à des pédiatres, des pédopsychiatres, des sociologues, des médecins… Ils ont une fonction pédagogique à l’égard des juges, ce qui n’est pas le cas dans d’autres types de contentieux.

La justice des mineurs n’est-elle pas entravée par une législation de plus en plus contraignante ?

Dans le domaine de la protection de l’enfance, la loi de mars 2007 a plutôt ouvert des solutions, par exemple avec la possibilité de prononcer des AEMO renforcées. Je suis en revanche plus dubitative sur les expériences de placement à domicile. Le problème est que la même loi a modifié la frontière entre la compétence des juges et celle des départements afin de limiter les signalements à la justice. Mais, ce faisant, nous avons perdu nos repères. En effet, la loi indique que si la famille est d’accord, c’est le conseil général qui intervient, quelle que soit la gravité de la situation. On ne va devant le juge que si la famille n’est pas d’accord ou si l’on ne parvient pas à intervenir. Mais dans la réalité, quasiment tous les départements ont réinventé un critère de fait : le danger grave. Or ce critère n’existe dans aucun texte. Cela amène donc à ce que je sois parfois saisie de situations qui ne le justifient pas. A l’inverse, d’autres dossiers, avec de multiples manifestations de danger, n’arrivent pas devant moi car les parents ne s’opposent jamais. Il faudrait inscrire ce critère de danger grave dans les textes afin de déterminer à quel moment la justice doit intervenir, que les parents soient d’accord ou non.

Et concernant la délinquance des mineurs ?

Nous sommes aujourd’hui en grande difficulté, avec la montée progressive de mécanismes de verrouillage et d’escalade des réponses. Ainsi, depuis la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, lorsque la peine encourue est de sept ans, nous devons automatiquement renvoyer le mineur devant le tribunal pour enfants. Par exemple, pour un jeune en possession de 5 grammes de cannabis, en retenant uniquement l’usage, la peine encourue n’est que de deux ans. Je peux donc juger comme je le souhaite. Mais en retenant aussi la détention et le transport, ce que l’on fait quasi systématiquement, la qualification devient le trafic qui, lui, est punissable de dix ans. En clair, si je respecte mot à mot la loi, je dois renvoyer un jeune devant le tribunal pour enfants pour 5 grammes de cannabis.

Beaucoup prônent la fermeté et la tolérance zéro à l’égard des jeunes. Mais l’instauration d’un rapport de forces est-elle la bonne solution ?

Il faut rappeler que la tolérance zéro n’est pas née en 2002 mais autour de 1992. A l’époque, le gouvernement de gauche voulait répondre aux reproches de laxisme qui lui étaient faits. On en voit actuellement les résultats. Cependant, depuis 2002, nous sommes dans l’escalade des réponses, et cela mène à des impasses. Si la notion de minorité a encore un sens, cela signifie qu’avant 18 ans on n’a pas encore acquis l’autonomie de la volonté. Celle-ci s’acquiert progressivement, avec des étapes que l’on franchit à 13, à 15 et à 18 ans. Mais notre société est devenue intolérante envers cette règle d’apprentissage qui est aussi une pédagogie. On confond apprentissage et laxisme. C’est une erreur profonde. Les choses importantes doivent être dites et répétées plusieurs fois. On adapte, on donne des réponses différentes, on punit parfois…

Justement, comment les centres éducatifs fermés (CEF) s’inscrivent-ils sur cette palette ?

D’un point de vue pragmatique, l’existence de quelques CEF ne me pose pas de problème pour des cas très difficiles, en alternative à l’incarcération. La viabilité de l’ordonnance de 1945 repose sur la multiplicité des réponses possibles. En revanche, ce qui me pose question, c’est que pour les élus, la chancellerie, les responsables de la protection judiciaire de la jeunesse, le CEF et l’enfermement semblent être devenus la panacée. Au point que la mesure de placement n’est plus conçue que dans le cadre du contrôle judiciaire. Je m’explique. Un procureur réclame l’éloignement d’un jeune de son lieu d’habitation jusqu’à son jugement. Ce que j’admets tout à fait. Mais cet adolescent peut se retrouver chez un cousin sans comprendre que si jamais il fugue, il va se retrouver en CEF. Un mineur qui vient pour la première fois devant un juge des enfants peut donc très vite se retrouver enfermé par révocation de son contrôle judiciaire. Pour ma part, je considère que cette mesure est la dernière arme avant la détention pour des mineurs ayant déjà bénéficié des mécanismes éducatifs classiques. Le CEF a été conçu comme alternative à l’incarcération dans le cadre des articles 137 et 144 du code de procédure pénale. C’est-à-dire pour des cas graves et exceptionnels.

Vous vous alarmez d’une tendance à judiciarisation des comportements des jeunes…

Pour les institutions ayant un rôle éducatif, la tâche est devenue complexe et difficile. Dans les années 1970 et 1980, les fonctions d’éducation et d’enseignement étaient encore valorisées. Mais depuis, la légitimité et les savoirs des professionnels de l’enfance, des enseignants, des travailleurs sociaux ont été remis en cause. Ils sont en grand désarroi, et comme ils ne savent plus vers qui se tourner, ils font davantage appel à la justice. Le résultat est que nous sommes parfois saisis pour des situations concernant le comportement d’enfants de 7 ou 8 ans. Mais le juge des enfants ne peut régler seul tous les dysfonctionnements éducatifs. C’est une responsabilité qui incombe à l’ensemble des adultes. Utiliser la police et la justice pour des enfants trop jeunes est totalement disproportionné.

REPÈRES

Juge des enfants, Laurence Bellon est vice-présidente coordonnatrice du tribunal pour enfants de Lille. Elle a été maître de conférences à l’Ecole nationale de la magistrature. Elle publie une version actualisée de L’atelier du juge. A propos de la justice des mineurs (Ed. érès), dont la première édition datait de 2005.

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