Recevoir la newsletter

Déclassement, reclassement, surclassement

Article réservé aux abonnés

Un spectre hante la société française : le déclassement. Récemment remis à l’ordre et au goût du jour, le concept désigne des phénomènes différents, mais convergents : dévaluation des diplômes, trajectoires sociales descendantes, obstacles pour les nouvelles générations. La notion et les réalités qu’elle cherche à désigner permettent une réflexion innovante sur un Etat providence incapable de garantir ce qu’il promettait : une certaine sécurité de destin.

Il existe maintenant autour du déclassement une littérature et des controverses spécialisées. Des débats techniques portent sur la nature et l’ampleur du phénomène. Des polémiques sont nées autour de certains aspects ou de certaines explications du déclassement, comme la qualité et l’utilité des parcours scolaires et universitaires. Enfin, bien des interrogations ponctuent la réflexion autour d’un phénomène qui voit les craintes qu’il provoque ne pas forcément correspondre aux réalités objectives. Il est vrai qu’en la matière, enquête après enquête, les Français se distinguent clairement, que ce soit à l’échelle de l’Union européenne ou à celle de l’OCDE, par une appréhension très élevée de la pauvreté et de l’exclusion (formes extrêmes du déclassement). Ils se singularisent aussi, toujours sur ce plan de la subjectivité, par des angoisses prononcées face à l’avenir.

L’Etat providence – au sens large, intégrant notamment le système éducatif ? – entretient des relations capitales avec le déclassement, que ses interventions le préviennent, le réparent ou bien l’installent. Dans une perspective inspirée de Pierre Bourdieu (1), on peut s’intéresser à un Etat providence qui classe (c’est l’une de ses premières fonctions, qu’il s’agisse de spécifier, de cibler, de catégoriser, etc.), qui cherche à reclasser (on a là un synonyme de « réhabiliter », « réadapter » ou « réinsérer »), mais qui, à bien des égards, surclasse aussi (par niches fiscales, privilèges âprement défendus). Précisons rapidement ces trois points.

Le système de protection sociale, parce qu’il classe, participe au déclassement. Le classement par l’Etat providence est assuré par les différentes agences et instances qui sélectionnent et assignent les positions. Comme être déclassé suppose au préalable d’avoir été classé, un système de protection sociale à multiples statuts et innombrables régimes est, en quelque sorte, un réservoir à déclassement.

Le système de protection sociale a ses instruments de reclassement. Toute l’aide et l’action sociales, à côté de la sécurité sociale, ont vocation à reclasser. Par coquetterie sémantique, on ne dit plus « assister ». Les politiques d’insertion sont des politiques de reclassement, tout comme une partie des politiques d’aménagement du territoire (dont la politique de la ville) visant la reconversion, la réhabilitation, la rénovation urbaines. Naturellement, les politiques d’emploi, tant sur leurs volets passifs qu’actifs, sont pleinement des politiques de reclassement.

Le système de protection sociale français fait aussi du surclassement. Il est classique d’observer que les avantages des politiques sociales peuvent davantage profiter aux catégories sociales plus aisées qu’aux plus faibles. Dans le cas français, les mieux lotis profitent des niches fiscales, mais aussi de prestations et d’équipements dont ils comprennent mieux les mécanismes. Plus fondamentalement, sur un plan générationnel, le conflit existe non pas tant au sein des familles que dans les comptes sociaux. S’opposent les générations – qualifions-les d’historiquement « surclassées » – qui ont connu l’essor (et pas toujours l’aisance) des Trente Glorieuses et celles – baptisons-les « indignées », pour faire référence à l’actualité – qui peinent à trouver leur place sur les marchés du travail et du logement.

Une question capitale, dans la suite de ces digressions, est de savoir si l’Etat providence est bien classé ou, à défaut, déclassé pour lutter contre le déclassement. Le déclassement n’est pas un accident individuel ou un risque collectif qui se corrige ou s’assure aisément. Il est en revanche possible d’envisager des réformes, moins paramétriques que structurelles, permettant, d’une part, de limiter les conséquences personnelles du déclassement et, d’autre part, de viser un Etat providence moderne qui réduirait le déclassement, en particulier dans ses dimensions générationnelles. Et à cet effet il faut certainement limiter les classements (les désignations spécifiques) et les surclassements (avantages dits acquis mais devenant des injustices ancrées).

Notes

(1) « Classement, déclassement, reclassement », Pierre Bourdieu, Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 24, n° 1, 1978, pp. 2-22. Relevons que le sociologue repérait déjà une « génération abusée ».

Le point de vue de…

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur