« Paquet » ingrat

Attention, humour grinçant ! C’est du jamais vu : Bernard Barracuda, le héros du dessinateur Valfret, n’est fait que de quelques coups de crayon noir, et il ne parle pas, ne bouge pas, pas même le petit doigt… Pourtant, il lui arrive un tas d’aventures, au fil des 80 pages de cette BD éponyme publiée par une maison d’édition déjantée, Les Requins Marteaux. Bernard Barracuda vit en établissement pour personnes handicapées à la suite, semble-t-il, d’un grave accident de voiture. Les gens qui l’entourent n’ont aucune compassion à son égard : sa tante, sa cousine, son père, sa mère, son ancien entraîneur de ping-pong, les autres malades viennent successivement à son chevet et interagissent autour de lui. C’est au travers de ce « légume » – ou même « paquet », comme certains le nomment – que cette galerie de personnages plus affreux les uns que les autres dévoile toutes les bassesses de la nature humaine. Les soignants de la clinique de l’Espérance ne sont pas mieux. Ils n’adressent la parole à Bernard que pour lui parler de ses selles et lui imposent comme compagnon de chambrée un vieillard suicidaire. Pour tous, il semble que le malade ne soit qu’un ingrat qui se refuse à faire le moindre effort… Mais que pense-t-il, que ressent-il ? On ne le saura jamais. Pas un trait du visage rond mangé par de grosses lunettes de Bernard Barracuda ne s’agite. L’histoire cruelle de ce paraplégique attendrissant a d’abord été publiée par épisodes sur le blog http://chevaldequatre.be, avant de devenir ce truculent album dont l’épigraphe n’est autre qu’une citation du satiriste irlandais Jonathan Swift : « Puissiez-vous vivre tous les jours de votre vie »…