« La deuxième conférence nationale du handicap a déçu. Tout comme, il y a trois ans, la première. Ce n’est pas une surprise, tant les enjeux selon les acteurs semblent éloignés : si les pouvoirs publics souhaitent avant tout mettre en avant leur bilan, les associations et les personnes handicapées espèrent obtenir des réponses concrètes à des situations qui ne s’améliorent que trop lentement.
Dix ministres, sans oublier le président de la République, se sont exprimés tout au long de cette journée, échelonnée en de multiples tables rondes. Il faut bien entendu y voir une volonté politique indéniable et singulière, aucun événement ne réunissant sur une même journée un nombre aussi important de membres du gouvernement. Toutefois, bien qu’ils aient pris les précautions d’usage pour rappeler qu’il restait encore beaucoup de chemin à parcourir pour une application véritable de la loi de 2005 dans tous les domaines de la vie, le décalage important entre ces discours et les attentes des personnes handicapées, dont les conditions d’existence restent discriminantes, était patent.
Cette conférence nationale a été voulue par le législateur, afin de suivre l’application de la loi du 11 février 2005 sur la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Toutes les lois n’ont pas cet honneur. Cela démontre, s’il en était besoin, que ce texte constitue l’une des grandes lois adoptées par la République ces dernières années, une loi structurante, une loi impactant l’ensemble de la société et des citoyens. Ce rendez-vous est d’autant plus nécessaire que ce texte s’est heurté de plein fouet aux conservatismes de notre société et aux lobbies de tout poil ! Le gouvernement a trop souvent laissé prospérer des attaques en règle contre les principes intangibles de cette loi : on pourrait donc se réjouir d’avoir entendu Roselyne Bachelot et Marie-Anne Montchamp les rappeler à plusieurs reprises, précisant qu’elles n’accepteraient aucun retour en arrière.
Depuis plusieurs mois, toute l’attention des associations et des pouvoirs publics était dirigée vers ce rendez-vous, dont la préparation a nécessité, grâce à la mobilisation des différents partenaires, des centaines d’heures de réunion au sein de multiples commissions du Conseil national consultatif des personnes handicapées, de l’Observatoire national sur la formation, la recherche et l’innovation sur le handicap et de l’Observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle. Au total, près de 500 propositions ont été faites. On ne peut non plus oublier les multiples réunions interministérielles à l’origine de nombreux arbitrages.
Cette conférence nationale a donc impliqué, dans sa préparation, associations, partenaires sociaux, pouvoirs publics. Cette mobilisation ne fait que renforcer la déception largement partagée, même si, pour être honnête, nous ne nous sommes pas rendus à cette deuxième conférence nationale avec le même entrain qu’à la première, échaudés sans doute par le triste bilan que l’on peut tirer de l’application des annonces et des promesses qui avaient été faites il y a trois ans. Si dans tous les domaines on ne peut que constater des progrès, il n’en reste pas moins que le quotidien des personnes handicapées ne s’est globalement pas amélioré. Des milliers d’enfants handicapés restent exclus des écoles publiques de leur quartier. Discriminées, les personnes handicapées le sont aussi pour accéder à un emploi, le taux de chômage étant de manière constante deux fois supérieur à celui du reste de la population. Un accident ou une maladie en cours de carrière professionnelle se traduit encore trop souvent par un licenciement pour inaptitude et la spirale de l’exclusion ; sans oublier tous ceux qui, ne pouvant travailler du fait de leur handicap ou de leur état de santé, perçoivent une allocation qui, même revalorisée, les confine sous le seuil de pauvreté.
Le discours de clôture du président de la République était attendu, la salle n’a d’ailleurs pas manqué de se remplir rapidement en fin d’après-midi. Il devait apporter un nouveau souffle à la politique du handicap, dont le pilotage patine, à l’image du comité interministériel du handicap qui ne s’est pas réuni depuis plusieurs mois, et que Nicolas Sarkozy n’a évoqué à aucun moment de son discours. Malheureusement, le nouveau souffle n’est pas venu. Pire, sur de nombreux points, le discours de cette année ressemblait à celui d’il y a trois ans, notamment lorsque le président de la République a rappelé, avec un ton à la limite du compassionnel, qu’il comprenait l’impatience des personnes handicapées. Si le discours prononcé lors de la première conférence nationale avait pour ambition d’impulser une véritable politique et des axes d’action structurants, celui de cette année, en cette période préélectorale, s’est essentiellement concentré sur la présentation d’un bilan, naturellement subjectif, sur de nombreux points. Pour n’en citer qu’un seul, prenons celui de la réalisation du plan handicap visuel : malgré ce qui a été affirmé le 8 juin, aucune mesure de ce plan ne s’est concrétisée, provoquant la colère légitime des personnes concernées (voir ce numéro, page 22).
Au-delà des quelques annonces positives qui ont émaillé ce discours, telles que la création d’un millier de postes supplémentaires dans les entreprises adaptées (EA), le recrutement d’auxiliaires de scolarisation qualifiés et la volonté accrue de renforcer l’emploi dans les fonctions publiques, on retiendra sans doute le “Je vous ai compris” adressé à de multiples reprises aux associations et aux personnes handicapées. Mais s’il nous a compris, on ne peut que s’étonner de l’absence de réponses apportées à toutes les colères exprimées au quotidien par les personnes handicapées et de l’évacuation pure et simple de certains sujets, comme l’amélioration de la compensation du handicap. Sans compter le fait que la crédibilité des discours ne peut qu’être entamée lorsque les actes et les paroles diffèrent aussi régulièrement. Par exemple, si le président de la République a rappelé qu’il serait inflexible sur le respect de la mise en accessibilité de la cité, des décrets ou des propositions de loi viennent régulièrement remettre en cause la volonté du législateur de n’admettre aucune dérogation pour les bâtiments neufs. Et ce n’est pas le gouvernement qui fait respecter l’esprit de la loi, mais les associations, qui se voient obligées de saisir le Conseil d’Etat pour qu’il annule des dispositions controversées, comme il l’a fait la veille de la conférence nationale à propos des lieux de travail (1). C’est aussi le cas dans le domaine de la formation professionnelle : si tout le monde s’accorde à rappeler l’importance de l’apprentissage et de la formation tout au long de la vie, c’est chaque année un combat lassant et répétitif lors des lois de finances pour rappeler la nécessité d’investir dans le domaine, pour renforcer la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle.
Erreur de communication ou volonté délibérée, le catalogue de la centaine de mesures envisagées par le gouvernement en réponse aux 500 propositions résultant de mois de concertation a été transmis uniquement aux journalistes, dans un simple dossier de presse, alors que les participants à la conférence ont dû se contenter d’une succession de discours, peu éclairants, incomplets et parfois insipides. Le gouvernement a-t-il eu honte de ces mesures ? Pourtant, certaines répondent aux propositions faites et auraient même pu être soutenues et rendre cette conférence moins décevante, même si, sans calendrier ni budget, un listing de mesures ne peut que susciter réserve et scepticisme quant à la réalité de leur application et à la volonté de leurs auteurs. Le rapport du gouvernement faisant suite à cette conférence nationale constitue la prochaine étape : il faut espérer que nous y retrouverons ces propositions, avec davantage d’explications. Alors peut-être pourrons-nous avoir l’impression d’avoir été compris, peut-être même aussi d’avoir obtenu des réponses, certes partielles. Mais tel n’était pas le cas en sortant de cette deuxième conférence nationale du handicap…
Sans nul doute, la déception est inhérente aux modalités d’organisation et de préparation d’une telle journée. Mais s’il faudra peut-être réfléchir pour les éditions futures à d’autres formats ou déroulements (qui ne sont pas faciles à inventer), un tel rendez-vous reste toutefois indispensable pour permettre d’ouvrir des espaces de dialogue, sans tabou, entre l’ensemble des acteurs. Mais c’est également un lieu d’impulsion qui doit permettre d’ouvrir le débat lié à la politique du handicap à d’autres cercles, à toutes les composantes de la société, et de donner aux personnes handicapées la possibilité de devenir des citoyens à part entière. »
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