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MECS : une identité à retrouver

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Deuxième mode de placement des enfants après l’accueil familial, les maisons d’enfants à caractère social traversent une crise profonde. Bousculées par les transformations de leur environnement socio-juridique, elles doivent revoir leur culture et leurs pratiques pour sortir de la morosité et faire la preuve de leur utilité.

Diversification des modalités de placement – à temps complet ou partiel, en institution mais aussi au sein de la cellule familiale – et développement du travail avec les parents : les changements intervenus au cours des dernières années dans le champ de la protection de l’enfance affectent profon­dément les maisons d’enfants à caractère social (MECS). Au point que c’est « quotidiennement un numéro d’artiste d’assurer une mission dont plus personne n’est capable de donner une définition claire et exhaustive », estime François Daniès, directeur d’une MECS en Dordogne et président de l’Association nationale des cadres du social (Andesi) – co-organisatrice, avec le centre régional d’études et d’actions sur les handicaps et les inadaptations (CREAI) d’Aquitaine, des premières rencontres na­tionales des professionnels de MECS (1).

De fait, ces institutions, que François Daniès décrit comme des « espaces d’accueil un peu fourre-tout, où l’on retrouve un échantillonnage très large des difficultés rencontrées par une jeunesse en mal de repères et d’affection », traversent une crise d’identité. Exposées à la critique pour leur coût et une visibilité insuffisante de leurs résultats, les MECS se trouvent à la fois déstabilisées par le mouvement général de désinstitutionnalisation et par la création successive des centres éducatifs renforcés et fermés, puis des internats de réussite scolaire, comme l’analyse Francis Batifoulier, directeur d’une MECS des Pyrénées-Atlantiques et vice-président de l’Association nationale des MECS (Anmecs), née lors de ces journées de réflexion (2).

Pour ce professionnel, qui en appelle depuis plusieurs années déjà à une refondation des maisons d’enfants (3), celles-ci ont à revisiter le cadre de pensée qui soutient leur action. Premier concept essentiel à interroger : la suppléance familiale. Cette notion, qui a permis aux professionnels de se dégager progressivement d’une posture substitutive, coïncidait avec des formes d’accompagnement centrées sur l’enfant et s’inscrivant principalement dans les murs de l’institution, explique Francis Batifoulier. Or, à présent, les MECS vont au-devant des familles et elles organisent des actions de soutien à la parentalité.

Quant à la notion de continuité éducative, marque de fabrique des internats accueillant traditionnellement leur public 365 jours par an, elle se trouve mise à mal par la segmentation des temps de présence des jeunes dans l’établissement, voire par leur absence totale de prise en charge physique par celui-ci quand ils vivent au domicile parental ou dans une chambre en ville. En outre, argumente Francis Batifoulier, le travail à plusieurs, tant en interne du fait des exigences des 35 heures qu’à l’extérieur avec une pluralité d’intervenants – à commencer par les parents –, signe la fin d’une continuité éducative principalement arrimée à la personne du référent de l’enfant.

Une technicité à réaffirmer

Précisément, s’agissant des éducateurs spécialisés, c’est peu dire qu’ils sont bousculés. Ils sont souvent découragés. Ce bouleversement, Jean-François Larralde l’a d’abord vécu comme éducateur d’une MECS des Pyrénées-Atlantiques, puis comme chef de service dans cet établissement. « On a notamment ressenti les effets de la promotion de dispositifs innovants et/ou moins coûteux que l’internat, comme les services de placement en milieu naturel, explique-t-il. Quand ne brillent, dans la vitrine des institutions, que des alternatives au placement traditionnel, vous avez le sentiment que vos pratiques sont dévalorisées et dépassées. » Comment sortir de ce « mouvement dépressif » ? En revendiquant la spécificité – et la pertinence – de l’accompagnement dans un cadre collectif, répond-il. « Apprendre à des jeunes le “vivre ensemble”, c’est-à-dire à se socialiser et à tenir compte les uns des autres, ne semble pas du tout démodé à l’ère de l’hyperindividualisme, affirme Jean-François Larralde, qui met en avant la technicité particulière des éducateurs d’internat. Il ne s’agit pas d’innover à tout prix, au risque de renoncer aux valeurs fondatrices du métier, mais plutôt d’adapter au contexte actuel les fondamentaux du travail éducatif, comme le recours aux médiations éducatives, c’est-à-dire à toutes les activités qui peuvent être proposées aux jeunes pour leur permettre de s’exprimer et d’avancer. »

« L’éducatif doit retrouver ses lettres de noblesse et il faut, pour cela, le sortir de l’animation et du thérapeutique », telle est aussi la conviction de Rémi Puyuelo, psychiatre et psychanalyste. « Les populations des MECS, ce sont des enfants vulnérables, qui ont une précarité identitaire, pas des enfants psychotiques ni malades. Aussi ne convient-il pas de les pathologiser », explique-t-il, regrettant que bien souvent, dans les maisons d’enfants, quand on est dans une impasse avec un jeune, on l’envoie chez le psychiatre. Pourquoi place-t-on ? « Parce que ces jeunes sont en mal de séparation, qu’ils n’ont pas suffisamment de capacité d’individuation, faute d’une sécurité de base, explique le psychiatre. Les éducateurs sont des soigneurs, pas des soignants, et c’est cette culture du soin – le soin de l’être qui aide le sujet à reconnaître son identité sans mettre en question celle de l’autre – que les MECS doivent transmettre. » Une « transmission citoyenne », dans laquelle le contexte est essentiel, car pour le public accueilli en MECS, « il y a des accordailles avec l’environnement qui ont été défectueuses, affirme Rémi Puyuelo. C’est pour cela que ces jeunes sont forcés de s’adosser au social. »

Le grand intérêt de l’outil « MECS » consiste bien à proposer un accompagnement personnalisé dans un cadre collectif, analyse Lydie Socias, déléguée nationale de la Fédération des rayons de soleil de l’enfance. Cependant, pour que l’intégration des jeunes à la collectivité leur soit bénéfique en termes de protection, de contenance, d’étayage, de sécurisation, de socialisation et d’autonomisation, la place de chacun doit être régulièrement pensée en articulation avec celle des autres au sein de ce système en mouvement, explique-t-elle.

Tout l’art des éducateurs d’internat est dans ce nouage de l’individuel et du groupal – un exercice d’autant plus délicat que les placements séquentiels confrontent les professionnels à des ensembles à géométrie variable. « De l’animation du collectif à l’attention individuelle, de l’activité à l’écoute, du rythme de la vie du groupe au temps subjectif du jeune », telle est la clinique très complexe des MECS où il faut prendre soin du groupe tout en respectant les individualités, résume Noël Touya, chef de service dans un établissement des Pyrénées-Atlantiques, co-maître-d’œuvre, avec Francis Batifoulier, d’ouvrages sur la question (4).

Un autre défi à relever par les équipes est celui du travail avec les parents. La ligne de démarcation entre familles et institutions a effectivement bougé. Le modèle de référence des maisons d’enfants avec, souvent pour d’assez longues périodes, la famille défaillante d’un côté, l’institution suppléante de l’autre et, entre les deux, l’instauration de rapports de voisinage – chacun chez soi – s’est estompé, souligne Robert Bidart, juge des enfants à Pau. Les parents sont au­jourd’hui davantage considérés sous l’angle de leurs capacités et il leur est demandé de s’impliquer dans l’éducation de leurs enfants. Mais l’association de la famille à la prise en charge reste relativement problématique.

« Un embryon de participation »

« Redonner des droits, requalifier les parents, nul doute que cette injonction législative soit en majeure partie devenue une volonté interne des professionnels. Mais il reste à passer d’une présence symbolique des parents dans les discours à une mise en œuvre concrète, institutionnalisée, de celle-ci », fait observer Catherine Sellenet, professeure en sciences de l’éducation. Prenant l’exemple du projet personnalisé pour l’enfant qui, selon la loi 2002-2, doit être élaboré avec « la participation directe de l’usager enfant ou de son représentant légal », elle invite à se demander combien d’insti­tutions associent vraiment les parents à cette conception : « N’assiste­t-on pas plus fréquemment à un embryon de participation, réduit à la signature d’un projet pensé pour l’autre par le professionnel ? »

Ici et là, néanmoins, les pratiques changent. Ainsi peut-on noter de réels efforts des établissements en direction des familles « sous forme de journées portes-ouvertes, de pause-café proposée à l’accueil des parents, de fêtes de fin d’année, de sorties avec les enfants et les parents, de groupes de parole, voire, dans certaines institutions, de véritables hébergements enfants-parents de durées variables », constate la spécialiste. Pour travailler avec les familles, il faut un dispositif d’écoute tel que l’accueil de la problématique familiale ne contamine pas tout l’espace institutionnel, explique Noël Touya. Dans la MECS où ce dernier exerce, l’étayage des fonctions parentales se structure au fil de rencontres régulières – une tous les mois et demi pour les parents dont les enfants sont hébergés dans l’établissement – avec des interlocuteurs permanents. « C’est ainsi que l’on peut désamorcer l’urgence à répondre dans l’immédiateté », affirme Noël Touya. Et « ça marche », assure-t-il : les parents viennent et ils parlent. « On est ainsi dans une démarche où l’histoire peut se raconter et se mettre en récit, souligne le professionnel. C’est là une manière de pacifier la relation de l’institution à la famille et donc à l’enfant ou l’adolescent. Car, de son point de vue, il peut être rassuré de voir que l’on prend soin de sa famille et de constater qu’il est possible de faire avec elle. »

De la prise en compte des parents à la co-éducation aujourd’hui prônée : le changement n’est pas que sémantique. Il correspond à une révolution du regard, si ce n’est des pratiques. Le développement des mesures d’accueil modulable – prévoyant l’hébergement partiel ou total de l’enfant au domicile familial – y contribue beaucoup.

Mais encore faut-il commencer par réussir à implanter ces alternatives au placement traditionnel. Ce n’est pas forcément évident, « car cela bouscule l’ensemble du système de protection de l’enfance », commente Hervé Rolland, directeur d’une MECS dans la Seine-Maritime. En 2009, quand l’intéressé a ouvert 24 places d’accueil modulable, 14 sont restées vides. Les résistances ? « Elles venaient du milieu ouvert, qui voyait ces nouvelles modalités de placement comme une forme de concurrence et ne les conseillait pas au juge des enfants », explique Hervé Rolland. Aujourd’hui, l’accueil modulable est en train de se développer : une quinzaine de situations sont concernées. Et il a d’ores et déjà « déteint » sur toute l’institution, c’est-à-dire qu’il a « permis à l’ensemble des professionnels de l’établissement d’envisager autrement leur relation avec les enfants et les parents, déclare le responsable. Nous ne sommes plus en position d’experts mais d’accompagnateurs, de facilitateurs, de révélateurs de la parole et de la compétence des enfants et des parents. »

L’accueil modulable a aussi conduit Hervé Rolland et son équipe à réfléchir au positionnement de l’institution sur son territoire. « Un travail de coopération et de communication avec l’ensemble des partenaires présents dans l’environnement local des familles doit être construit, car le dispositif d’accueil modulable ne saurait prendre appui sur ses seules ressources », souligne le directeur. Symétriquement, la maison d’enfants à caractère social peut aussi proposer certaines de ses prestations à l’extérieur. C’est déjà ce qui se fait avec l’espace de visites médiatisées de l’établissement, qui est situé à un kilomètre de celui-ci et animé par un personnel spécifique – deux psychologues et une éducatrice spécialisée formés à la thérapie familiale. « Nous commençons à l’ouvrir à des familles dont les enfants ne sont pas placés chez nous, mais en familles d’accueil – et je voudrais aller plus loin », affirme Hervé Rolland.

« L’avenir des MECS n’est pas un avenir isolé de celui de la protection de l’enfance ni de la protection sociale, il est dans des logiques de plateformes, de personnels partagés, de boîte à outils », affirme aussi Jean-Pierre Hardy, chef du bureau « Politiques sociales » à l’Assemblée des départements de France. De fait, pour faire la preuve de leur utilité, les maisons d’enfants à caractère social peuvent jouer sur les deux tableaux : valoriser leur cœur de métier et développer de nouvelles réponses en phase avec les besoins sociaux.

L’ÉTAT DES LIEUX

Au 15 décembre 2008 – derniers chiffres connus (5) –, 1 115 maisons d’enfants à caractère social (MECS) comptaient 39 685 places et accueillaient 36 906 enfants ou adolescents.

Quasi exclusivement gérées par des associations ou des fondations, ces MECS sont de taille variable : la moitié dispose de moins de 31 places et un quart de moins de 16 places, tandis qu’un autre quart rassemble plus de 48 places (dont une sur dix de plus de 65 places).

Les MECS proposent différents types d’hébergement : l’internat complet domine – 77 % des places –, mais il existe aussi des hébergements en internat de semaine (2 % des places) et surtout en structures éclatées réparties dans l’habitat social (13 % des places).

Le personnel des MECS compte 34 481 professionnels en équivalent temps plein (ETP), soit un taux d’encadrement de 87 %. La moitié des salariés exerce des fonctions éducatives, pédagogiques ou sociales. Ce sont les éducateurs spécialisés les plus nombreux : ils constituent 24 % des ETP, suivis par les moniteurs-éducateurs (15 % des ETP).

Les jeunes accueillis – majoritairement des garçons (55 %) – sont âgés en moyenne de 14 ans (6). De manière générale, qu’il s’agisse de garçons ou de filles, ce sont les placements familiaux qui prédominent au cours de l’enfance, selon la recherche d’Isabelle Fréchon sur les prises en charge d’une cohorte d’enfants placés (7). Puis, à partir de 12 ans pour les garçons, de 16 ans pour les filles, les placements en milieu collectif deviennent majoritaires. Officiellement, la mixité est de règle dans les MECS. Seules 10 % d’entre elles n’hébergent que des garçons et 8 % uniquement des filles. Cependant, dans les faits, corrige Isabelle Fréchon, « la plupart des foyers ont opté pour une prise en charge de type non mixte pour réguler le contrôle des relations sexuelles et notamment les maternités précoces ».

Les dépenses nettes des conseils généraux en faveur de l’aide sociale à l’enfance (ASE) se sont élevées, en 2009, à 6,2 milliards d’euros (8). 48 % de ce total a été alloué aux placements en établissement – qui ont concerné 48 600 jeunes –, 26 % à l’accueil familial de 67 200 enfants.

DES PARENTS PARTENAIRES OU COUPABLES ?

« Sans les parents, nous ne pouvons rien ! » De la crèche à l’école en passant par les institutions de protection de l’enfance, ce leitmotiv est unanimement entonné par les professionnels qui interviennent auprès d’enfants, constate Catherine Sellenet, professeure en sciences de l’éducation. « La présence des parents est devenue un incontournable de l’action, ce qui a de quoi surprendre quand on porte un regard sur l’histoire des relations parents-professionnels », fait-elle observer.

Comment est-on passé de l’exclusion radicale des parents à cette incantation autour de leur présence obligée ? « S’agit-il réellement d’un désir de partenariat, interroge la spécialiste, ou d’une nouvelle façon de désigner des coupables ? » – l’appel aux parents étant entendu comme un moyen détourné de les désigner comme responsables de tous les dysfonctionnements.

Pour trouver des éléments de réponse, Catherine Sellenet propose un détour par la lexicographie. Au cœur de sa réflexion, le vocable d’implication. « Parler d’“implication parentale” n’est pas anodin, si nous nous référons au sens même du terme “impliquer” », explique-t-elle. En effet, la première acception d’implication est l’état d’une personne mise en cause dans une affaire. Définition assortie de plusieurs synonymes à commencer par celui d’« accusation ». Avec ce terme, « nous confirmons notre première hypothèse : le thème de l’implication parentale porte déjà en lui une accusation implicite, note Catherine Sellenet. Les parents sont souvent coupables de trop ou de trop peu. » Le second sens d’implication est celui de causalité. L’implication, c’est la conséquence attendue : « A implique B, d’où l’idée que du comportement des parents découlerait celui des enfants », poursuit la chercheuse. Ce qui présuppose à la fois que l’enfant n’est pas un acteur pour partie responsable de ses actes, mais le pur produit de l’éducation reçue, et que cette dernière lui est exclusivement dispensée par ses parents. « La notion d’implication porte donc en germe au mieux une notion de responsabilité, au pire une notion d’accusation implicite », souligne Catherine Sellenet.

Pour Régis Sécher, responsable régional d’un organisme de formation en travail social, auteur d’une thèse sur la parentalité des parents d’enfants placés (9), on peut établir un parallèle entre engagement parental et reconnaissance sociale. « Pour que les parents d’enfants placés dans le cadre d’une mesure de protection de l’enfance puissent jouer un rôle constructif dans l’éducation de leurs enfants, il est nécessaire qu’ils soient reconnus socialement dignes d’exercer leur parentalité », explique-t-il.

C’est bien là où le bât blesse, car la trentaine de parents rencontrés par Régis Sécher dans le cadre de sa recherche partagent tous un sentiment de disqualification. Il y a cependant des différences de positionnement selon leur appréciation concernant le bien-fondé de la mesure de placement. Régis Sécher dégage quatre types de parents : les parents révoltés face à une décision considérée comme injuste ; ceux qui l’ont initialement estimé justifiée mais dénoncent sa prolongation comme abusive ; les parents résignés face à cet « énième » épisode douloureux de parcours de vie chaotique et, enfin, les parents acceptant une mesure qu’ils jugent nécessaire.

Au sein des maisons d’enfants à caractère social, tous ces parents ne joueront pas la même partition, commente Catherine Sellenet, qui analyse cette typologie. « La voix des parents des groupes 1 et 2 se fera tempête, contradiction, opposition, revendication, dénonciation de tous les dysfonctionnements institutionnels. » Les parents résignés du groupe 3 – ou groupe des « sans voix » – « délèguent plus qu’il ne faut, non par indifférence mais bien souvent par impuissance apprise ».

Les parents du groupe 4, enfin, « sont bien évidemment ceux qui correspondent le mieux aux attentes des professionnels » – dont ils empruntent d’ailleurs parfois le vocabulaire.

DES PUBLICS DE PLUS EN PLUS EN DIFFICULTÉ ?

Faire vivre ensemble des enfants et des adolescents en difficulté ne constitue pas une tâche aisée. C’est même « une véritable gageure – et c’est un miracle que les institutions n’explosent pas plus souvent », alors qu’elles concentrent « ce qui se fait de mieux en parcours chaotiques et déchirés, en failles identitaires de toutes formes, en expressions de mal-être qui s’enchevêtrent », analyse Noël Touya, chef de service dans une maison d’enfants à caractère social (MECS) des Pyrénées-Atlantiques. Pour autant, « il n’y a aucune fatalité à ce que nos institutions soient le lieu d’expression de la violence pure. Il n’est écrit nulle part que nos missions de protection devraient céder le pas à des situations paroxystiques et nos démarches éducatives être battues en brèche par des processus de contamination et d’ensauvagement. »

Il n’empêche, ce sont là des réalités vécues par beaucoup d’équipes à bout de souffle. Les jeunes d’aujourd’hui seraient-ils plus difficiles que l’ont été leurs aînés ? « Nous ne disposons pas encore d’éléments cliniques suffisamment assurés pour prendre la mesure de la nouvelle économie psychique de ceux que nous accompagnons », répond Francis Batifoulier, directeur d’une MECS des Pyrénées-Atlantiques et vice-président de l’Association nationale des MECS.

Cependant, de nombreux professionnels ont le sentiment plus ou moins diffus que les jeunes accueillis sont en train de changer de manière profonde, précise-t-il. Juge des enfants à Pau, Robert Bidart, quant à lui, n’évoque pas de problématiques émergentes chez les enfants et les adolescents, mais une plus grande complexité des prises en charge due à la dimension plurifactorielle des difficultés qu’ils vivent. Et de citer l’apparition de nouvelles formes de pauvreté et l’ampleur des conflits intrafamiliaux autour des moments de séparation conjugale. A cela s’ajoute le caractère tardif de nombreux placements. Trop souvent, « on a une vision tellement dévalorisée des MECS que le placement n’est envisagé qu’en dernier recours », déplore Fabienne Quiriau, directrice générale de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE).

Aussi les professionnels de l’internat se trouvent-ils confrontés à des situations très détériorées.

« Nous sommes dans un secteur où on parle beaucoup de souffrance au travail, commente Jean-Bernard Prim, directeur des ressources humaines de la Fondation Apprentis d’Auteuil, gestionnaire d’une soixantaine de MECS. Or il y a un lien entre la qualité de la prise en charge et le bien-être au travail des salariés. » Pour réfléchir à la prévention des risques psycho-sociaux, un groupe composé de toutes les familles de métiers a été réuni au sein de la fondation. Il s’est attaché à définir une vingtaine de conditions de bien-être au travail, reprises dans une grille d’auto-diagnostic, qui sera mise en circulation en septembre prochain. Les directeurs de MECS vont ainsi être amenés, tous les ans, à se demander, par exemple : est-ce que les salariés ont eu une formation au cours des trois dernières années ? Quel est le taux d’absentéisme ? De turn-over ? Y a-t-il des temps collectifs organisés pour les professionnels dans l’établissement ?

Parallèlement, la fondation a lancé une réflexion sur la reconnaissance au travail, qui a été menée en 2009-2010 par un groupe régional. Ce dernier a dégagé quatre piliers de la reconnaissance : la reconnaissance individuelle de la personne – correspondant au fait que le directeur connaisse son nom et son prénom –, la reconnaissance des pratiques professionnelles, la reconnaissance de l’investissement du salarié et la reconnaissance des résultats du travail accompli. « Cette réflexion a alimenté la renégociation, en juillet 2010, de notre convention collective concernant la famille éducative non cadre », précise Jean-Bernard Prim. Dans le cadre de cet accord, les différentes formes de reconnaissance ont connu des traductions concrètes. Celles-ci peuvent être sous forme de primes de remplacement inopiné ou de revalorisations salariales. Elles peuvent aussi se traduire par la prise en charge des difficultés de la personne en aménageant son temps de travail et/ou en lui proposant un transfert sur un autre poste. Quant à la reconnaissance des pratiques, elle peut prendre la forme d’équivalence de diplômes et d’évolutions professionnelles.

C.H.

Notes

(1) Intitulées « Demain les MECS ! », ces journées ont eu lieu les 24 et 25 mars à Bordeaux – Andesi : Le Rond-Point-Européen – 63 bis, boulevard de Brandebourg – 94200 Ivry-sur-Seine – Tél. 01 46 71 71 71.

(2) Voir ASH n° 2703 du 1-04-11, p. 25.

(3) Cf. les ouvrages qu’il a co-dirigés avec Noël Touya : Refonder les internats spécialisés – Ed. Dunod, 2008, et Promouvoir les pratiques professionnelles en action sociale et médico-sociale – Ed. Dunod, 2011.

(4) Ibid.

(5) DREES – Etudes et résultats n° 743 – Novembre 2010.

(6) Chiffre de 2004 – DREES – Etudes et résultats n° 525 – Septembre 2006.

(7) Voir ASH n° 2690 du 7-01-11, p. 32.

(8) DREES – Etudes et résultats n° 762 – Mars 2011.

(9) Reconnaissance sociale et dignité des parents d’enfants placés. Parentalité, précarité et protection de l’enfance – Ed. L’Harmattan, 2010 – Voir ASH n° 2694 du 28-01-11, p. 44.

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