Les ménages pauvres sont économiquement frappés par une « double peine ». L’idée, qui n’est pas nouvelle, a été explorée à la demande de la chaire « Social business-Entreprise et pauvreté » d’HEC, dans le cadre de ce qui est en quelque sorte son « laboratoire » : l’« Action tank Entreprise et pauvreté », association coprésidée par Martin Hirsch et Emmanuel Faber, directeur général délégué de Danone. Conclusion : non seulement les ménages pauvres ont un faible pouvoir d’achat, avec une capacité d’épargne quasiment nulle, mais en plus il paient parfois plus cher que les plus favorisés les mêmes biens et services, par unité de consommation. « Nous avons constaté que des personnes dont les revenus sont compris entre 700 et 1 000 € mensuels paient jusqu’à 100 € par mois leur carte téléphonique prépayée. Mais le phénomène est également connu, notamment, pour les services financiers, explique Charles-Edouard Vincent, directeur de l’entreprise d’insertion Emmaüs Défi et professeur à la chaire « Social business-Entreprise et pauvreté » d’HEC. Nous avons voulu identifier les autres biens et services concernés, quantifier cet impact sur le budget des ménages pauvres et mettre en lumière les raisons de cette “double peine”. »
L’étude, réalisée par le cabinet de conseil Boston consulting group à partir de la dernière enquête de l’INSEE sur les revenus et la consommation des ménages (1), identifie une série de mécanismes « sous-jacents » qui parfois se cumulent. L’un est lié aux structures de coûts et aux mécanismes de tarification, autrement dit l’« effet volume » pour les entreprises, qui pénalise les petites quantités consommées par les ménages pauvres. C’est le cas pour le prix du gaz. La loi de l’offre et de la demande a également tendance à renchérir, par exemple, le coût au m2 des petits logements. Un autre facteur tient aux diverses difficultés à accéder aux offres les plus économiques. « Les petits revenus ont accès aux crédits les plus chers, illustre le directeur d’Emmaüs Défi. Pour la téléphonie, les meilleures offres sont sur Internet, mais encore faut-il avoir une connexion. Les grandes surfaces sont moins chères que les hard-discount situés en ville, ce qui nécessite d’avoir une voiture… » Sans compter l’autre pénalité due à la moindre qualité nutritionnelle des aliments low cost… Le manque d’accès à l’information empêche aussi les plus pauvres d’effectuer les arbitrages adéquats, sur le choix d’un crédit à la consommation ou d’une assurance… Au total, l’étude chiffre à 4 % le surcoût subi sur les dépenses contraintes et nécessaires (loyers et charges, alimentation, santé, transport, assurances…), voire à 8 % pour certains profils de ménages. Soit environ 500 € par an en moyenne pour les 3,5 millions de ménages vivant sous le seuil de pauvreté (949 € par mois).
Si des systèmes compensatoires, comme les aides et les tarifs sociaux, existent ou pourraient exister pour neutraliser cet « effet collatéral » du marché, l’objectif de l’Action tank est de sensibiliser les entreprises à la nécessité d’adapter leur offre et de jouer leur rôle d’information auprès des consommateurs. En partenariat avec un opérateur, les services sociaux parisiens et des associations, Emmaüs Défi a ainsi lancé un programme de « téléphonie solidaire » qui a permis de mettre en place une carte prépayée à 5 € de l’heure (2). « Pour avoir un impact sur la réduction de la pauvreté et de l’exclusion, chaque projet doit reposer sur le trépied entreprise, pouvoirs publics et associations », estime Charles-Edouard Vincent.
(1) « Entreprise et pauvreté : qualification de la “double peine” et enjeux pour les entreprises » – 27 avril 2011 – Disponible sur