Qu’est-ce que le principe de neutralité du service public ?
C’est un principe général qui découle de la conception du service public dans un Etat laïc et s’applique aux trois fonctions publiques – Etat, territoriale, hospitalière. Les agents publics sont tenus à une stricte neutralité, ce qui signifie que, dans le cadre de leurs activités, ils ne doivent pas prendre parti dans le débat idéologique, philosophique ou religieux ni exprimer ouvertement leurs convictions en la matière. Cette obligation s’accompagne d’un devoir de réserve, c’est-à-dire de l’interdiction pour ces agents de faire état de leurs opinions sur les orientations du service. Cela dit, dans les faits, ce principe général est recomposé selon les exigences des professions. Il n’empêche pas, par exemple, les travailleurs sociaux fonctionnaires, qui sont à l’interface des demandes de leur employeur et des usagers, d’être dans une neutralité bienveillante, voire dans des pratiques d’alliance avec leurs publics. La neutralité est ici réinterprétée dans le cadre de la relation d’aide et d’écoute de l’usager.
Faut-il étendre ce principe aux salariés « des structures privées concourant au service public » ?
C’est une aberration du point de vue théorique et juridique. Contrairement à ce que dit le ministre, les associations gérant des établissements sociaux et médico-sociaux ne concourent pas au service public, sauf marginalement lorsqu’elles sont sous mandat judiciaire (protection de l’enfance ou protection juridique des majeurs). Selon l’article L. 311-1 du code de l’action sociale et des familles, elles remplissent des missions d’intérêt général et d’utilité sociale. Le fondement de cet article est justement de considérer les associations non comme des prolongements de la puissance publique, mais comme des organisations émanant de la société.
Tout ce qui va dans le sens d’un alignement de leur régime juridique sur le service public est non seulement contraire à l’esprit qui a présidé progressivement à l’établissement d’un « pacte » de collaboration entre la puissance publique et les structures associatives, mais passe à côté de la nature même du mouvement associatif, qui est fait de groupements intermédiaires représentant la société civile dans sa diversité.
Cette extension pourrait-elle néanmoins conforter la laïcité dans les établissements associatifs ?
Les associations, insérées dans le champ privé, sont soumises aux règles du droit commun du travail, qui imposent à tout salarié une certaine réserve, le respect des buts poursuivis par l’organisation et des personnes concernées par les activités. Tout cela me semble suffire largement à cadrer l’expression des croyances et des convictions personnelles des salariés, d’autant que les problèmes sont peu nombreux.
Une telle mesure est non seulement inappropriée, mais elle risque en outre de réduire encore un peu plus les associations au rôle d’opérateur des politiques publiques. On met en place un rouleau compresseur pour attraper des mouches !
Le ministre veut, toutefois, « respecter un espace de liberté pour tenir compte des spécificités de certains établissements, notamment d’inspiration confessionnelle »…
C’est bien la preuve que le raisonnement ne tient pas. La quasi-totalité des structures privées sont confessionnelles ou laïques militantes, et je ne pense pas que cela constitue un problème. Les institutions sociales ont plus à craindre de l’idéologie managériale et technocratique qui arase leur substance propre qu’à se protéger des ravages fantasmagoriques d’un retour massif du sectarisme quel qu’il soit !
(1) Le 31 mai à l’Assemblée nationale – Voir ASH n° 2712 du 3-06-11, p. 15.
(2) Et président du conseil de prospective de l’Uniopss.