Une matinée comme les autres à la Maison d’accompagnement des personnes en situation de handicap psychique (MAPH-psy) de Longwy (1), antenne de l’association nancéenne Espoir 54, située à quelques kilomètres de la frontière luxembourgeoise. Au premier étage d’une maison de ville nichée sur les hauteurs de cette ancienne cité industrielle de l’est de la France, la responsable locale Virginie Valiani, doctorante en psychologie du travail, Cathy Monsel, accompagnatricemédiatrice, et Emilie Trausch, chargée d’insertion professionnelle, programment leurs rendez-vous de la semaine et planchent sur des questions administratives.
Pendant ce temps, dans le salon du rez-dechaussée, les deux animateurs du groupe d’entraide mutuelle (GEM) Le Relais de la vie accueillent les premiers arrivants de la journée. Le lieu est chaleureux, équipé de confortables canapés, d’un coin ordinateur accessible à tous et décoré par les usagers. Marion Dedeine et Najah Zaara, professionnelles intégrées à la structure depuis quelques mois seulement, lancent très vite les travaux en cuisine. A leurs côtés, quatre adhérents du GEM – association d’usagers et de bénévoles dont le but principal est d’aider sa trentaine de membres à sortir de l’isolement – ont à cœur de préparer le déjeuner pour tous. Au menu, des plats simples et équilibrés (crudités, œufs durs, camembert et melon). Ce menu a fait au préalable l’objet d’une discussion entre les adhérents, tous handicapés psychiques. Ils ont pris en charge l’ensemble de sa réalisation, des courses jusqu’à la confection des plats, avec le soutien des animateurs. « Nous ne sommes pas là pour répartir les tâches ou pour faire à leur place, précise Najah Zaara. Au contraire, l’idée est que les adhérents fassent par eux-mêmes et qu’ils mutualisent leurs compétences. »
Sur tous les fronts culinaires et très prévenant envers ses camarades, Franck P., l’un des participants à la journée, explique : « Je viens presque tous les jours ici, depuis un an environ – je venais aussi avant, mais j’ai fait une pause parce que je n’allais pas bien. Etre ici, ça m’occupe. On vient librement, pas besoin comme ailleurs d’un certificat du docteur [ndlr : l’accès à certaines structures d’accueil pour handicapés psychiques requiert une ordonnance]. C’est même ici que j’ai rencontré ma petite copine. » Il raconte encore : « Avant, j’allais aussi au service d’accompagnement à la vie sociale pour apprendre à être plus autonome, à faire la cuisine ou à ne pas trop dépenser d’argent dans les magasins. Mais maintenant que je sais me débrouiller, j’ai laissé ma place à d’autres. »
Outre Franck, sont présents ce jour-là Thierry D., qui vient « pour passer le temps et faire des activités », Florence V., qui auparavant ne sortait de chez elle que « pour aller en course avec [son] mari », ou Christiane B., à qui le GEM « donne le sentiment d’exister ». Ce groupe occupe une place importante au sein de la MAPH-psy ainsi que dans la démarche d’Espoir 54, car son objectif est en effet d’amener les malades psychiques à retrouver l’estime de soi et le goût de vivre. Et ce qui leur plaît à tous, ce sont les sorties au musée, dans des parcs de loisirs ou à la découverte de villes plus ou moins proches. Mais également les ateliers d’arts plastiques, la marche en forêt ou la musique. Ce sont encore les événements vécus ensemble, les repas de Noël ou les anniversaires fêtés à la MAPH-psy, immortalisés sur photos, qui remplissent des albums stockés dans la salle à manger. « Après une hospitalisation, en clinique psychiatrique notamment, les activités proposées ici permettent de recréer du lien entre les gens et de favoriser l’autonomie des personnes, note Marion Dedeine, titulaire d’un DUT en animation socioculturelle et d’un master en éducation et santé. Ici, contrairement aux structures institutionnelles, les adhérents du GEM peuvent gérer eux-mêmes leur budget. Nous, animateurs, sommes présents pour les accompagner en sortie, par exemple, mais également lors de discussions plus informelles. Nous avons dans ces moments-là des objectifs “cachés” : relancer la discussion et faire avancer le débat, travailler sur les idées reçues, l’ouverture d’esprit et l’estime de soi. Cela correspond à des valeurs qui me sont chères. »
La particularité de la MAPH-psy de Longwy est de réunir en un même lieu un GEM, un service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) et un dispositif d’insertion en milieu ordinaire de travail (DIMO). Le public accueilli par l’association est constitué de personnes majeures et en situation de handicap psychique, d’où des difficultés pour participer aux échanges liés à la vie familiale et sociale et, au final, une inadaptation et un risque d’exclusion. Ce handicap est la conséquence d’une pathologie le plus souvent évolutive dans ses manifestations, et que l’équipe de la MAPH-psy est formée à repérer. « Certaines des personnes accueillies souffrent de psychoses, comme la schizophrénie ou la paranoïa, d’autres de névroses, de dépressions, d’hystéries », détaille Virginie Valiani, la responsable de la MAPH-psy. Les personnes accueillies ont souvent déjà fait un séjour en hôpital psychiatrique. Certaines vivent chez leurs parents, d’autres ont leur propre logement. En revanche, aucune personne sans domicile fixe ne fréquente actuellement l’antenne de Longwy.
Encore en phase d’expérimentation, cette structure originale a pour but de former un lieu unique d’accompagnement des personnes en souffrance psychique. En 1998, une poignée de bénévoles issus de l’Union nationale de familles et amis de malades psychiques de Meurthe-et-Moselle (Unafam 54), ayant pour la plupart un proche malade au sein de leur famille, décident, en raison du manque de structures adéquates dans le département, de créer l’association Espoir 54. L’objectif : permettre aux personnes majeures en situation de handicap psychique, aujourd’hui bénéficiaires de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, de retrouver leur place dans la cité grâce à un suivi personnalisé. Outre deux lieux d’accueil à Nancy et un local à Lunéville, Espoir 54 développe en plusieurs étapes la MAPH-psy dans le nord du département, à Longwy, où sont aujourd’hui réunis les trois « leviers d’action ».
A la fin 2007, c’est d’abord le GEM qui s’y installe, rassemblant alors une poignée d’usagers et de bénévoles. Très rapidement, des ateliers (cuisine, piscine, marche, sorties culturelles) se mettent en place. Dès l’origine, l’équipe du GEM, composée de deux professionnels, d’un animateur et d’une diplômée en éducation de la santé, est rejointe par la chargée d’insertion professionnelle du DIMO 54, qui occupait depuis juillet 2007 des locaux au Pôle européen de développement à Longwy. Quant au SAVS, c’est en septembre 2008 qu’il accueille ses premiers bénéficiaires à l’antenne Espoir 54 de Longwy. Une ouverture rendue possible par l’extension de 25 places d’accompagnement à la vie sociale accordée par le conseil général et autorisant en outre le recrutement d’une médiatrice-accompagnatrice. En partenariat avec les établissements psychiatriques et les services sociaux du département, le SAVS oriente ses actions sur le développement des compétences des personnes touchées par la maladie psychique. Depuis bientôt trois ans, la MAPH-psy réunit donc toutes les formes d’accompagnement qu’a pu développer Espoir 54 ces dix dernières années. L’équipe pluridisciplinaire de la structure compte actuellement six salariés : une chef de service psychologue, une chargée d’insertion professionnelle, une médiatrice-accompagnatrice, deux animateurs et une secrétaire. Leur mission consiste à permettre aux usagers de trouver de l’aide dans chacun des domaines de la vie courante (social, professionnel et personnel). « Cette expertise, précise ses responsables, sert l’acquisition de compétences sociales et/ou professionnelles nécessaires à l’intégration et à la vie en autonomie au sein de la cité. »
La MAPH-psy travaille en lien étroit avec les professionnels locaux du secteur social et médico-social, en particulier ceux qui interviennent dans le domaine du handicap. C’est le cas notamment de Cécile Porte, assistante sociale en secteur psychiatrique à la clinique Alpha santé de Mont-Saint-Martin, qui oriente régulièrement ses patients vers Espoir 54 : « L’avantage majeur de la MAPH-psy, c’est qu’elle propose une palette complète de services qui répondent au mieux aux besoins de chaque malade, souligne-t-elle. Certains sont très isolés, je les envoie alors vers le groupe d’entraide mutuelle. D’autres recherchent un emploi, je les accompagne pour un entretien DIMO. Certains y vont d’eux-mêmes, connaissent déjà ou ne font finalement pas la démarche, mais, dans tous les cas, cette structure est un atout dans le secteur de Longwy. Car contrairement à la clinique locale ou à notre centre d’accueil thérapeutique à temps partiel, la MAPH-psy n’a pas cette connotation médicale pour les patients. C’est une association. Et ça, ça leur fait beaucoup de bien. »
Orientés ou non par des travailleurs sociaux ou des soignants d’autres structures vers le SAVS, le DIMO ou le GEM, les malades doivent impérativement passer par le « sas d’entrée ». « Je reçois toutes les personnes qui demandent à intégrer l’un de nos dispositifs, explique Virginie Valiani. Je les vois une ou deux fois afin d’analyser leurs besoins et leur projet. L’objectif de ces entretiens est de m’assurer que la personne fait bien partie du public que la MAPH-psy a pour mission d’accueillir, qu’elle est stabilisée et peut vivre dans un groupe sans se mettre ni le mettre en danger. »
Après le « sas d’entrée », le parcours de l’adhérent comporte une phase de découverte obligatoire, qui doit permettre de réaliser une première évaluation de ses compétences sociales et/ou professionnelles. Il s’agit, pour l’équipe, de « définir des objectifs mesurables et évaluables dans le temps ainsi que les états et les moyens nécessaires pour les atteindre ». Un contrat est ensuite rédigé conjointement par le malade et son professionnel référent – pour le SAVS, Virginie Valiani ou Emeline Menguelti, actuellement remplacée par Cathy Monsel, et pour le DIMO, Emilie Trausch –, qui s’engagent l’un envers l’autre et définissent des axes de travail, tels que la participation aux modules, le rythme des entretiens individuels et des visites à domicile, l’inscription à différentes activités, les espaces de médiation et d’expérimentation en milieu ordinaire, etc. La phase d’accompagnement dure ensuite trois mois, renouvelable trois fois, afin de permettre à la personne handicapée de travailler successivement sur plusieurs axes. Vient enfin une phase de maintien du lien et de suivi, qui, elle, n’est pas limitée dans le temps. Dans tous les cas, une rencontre est prévue entre le référent et l’adhérent usager au moins une fois dans les six mois qui suivent la sortie d’un service.
Lors de la phase de suivi, le bénéficiaire peut être pris en charge à la fois par le SAVS et le DIMO et/ou intégrer parallèlement le groupe d’entraide mutuelle. « C’est le plus apporté par la MAPH-psy de Longwy, remarque sa responsable. Contrairement à ce qui se pratique souvent ailleurs, chez nous, tout est rassemblé en un même lieu, ce qui évite à notre public fragile d’avoir à effectuer des trajets en transports en commun pour se rendre à un module collectif puis, par exemple, à un rendez-vous avec son référent. » Durant cette période, les personnes intégrées au SAVS travaillent sur quelques-uns des sept axes proposés : gestion de l’administratif ; santé psychique et physique (aller vers une démarche de soin, prendre rendez-vous chez un psychiatre ou un nutritionniste en cas de diabète ou d’obésité…) ; vie sociale et relation à l’autre (savoir dire non, engager une discussion, gérer son agressivité, intégrer un collectif, tel le GEM) ; présentation et image de soi ; logement et espace de vie (recherche d’un appartement, entretien de son logement, de son linge…) ; organisation et planification du temps et de l’espace (gérer un planning, se rendre d’un point A à un point B) ; et enfin hygiène alimentaire (ateliers cuisine notamment). « Emeline, qui a une formation initiale de conseillère en économie sociale et familiale, et moi-même nous répartissons ces modules en fonction de nos compétences respectives, précise Virginie Valiani. Elle se positionne plus volontiers sur les axes de travail concernant l’alimentation, le logement ou l’administratif. Quant à moi, je travaille plutôt sur la santé psychique, les relations aux autres et la présentation de soi. »
Troisième volet de l’offre, le DIMO a pour objectif de préparer et d’accompagner les adhérents qui souhaitent s’insérer professionnellement. Il comprend plusieurs étapes : d’abord, une analyse approfondie de la demande du malade psychique (cinq heures au maximum), une évaluation, un appui à l’élaboration ou une validation du projet professionnel de la personne (55 heures sur 12 mois), puis un suivi de un an une fois intégré l’emploi ou la formation. Chargée d’insertion professionnelle à la MAPH-psy, Emilie Trausch y travaille en lien avec Cap-Emploi, où Christophe Chouve est chargé de mission. Ce dernier explique : « Notre travail est d’amener les personnes frappées de tout type de handicap, physique, moteur, intellectuel, vers l’emploi en milieu ordinaire. Pour les malades psychiques, nous déléguons cette mission à Espoir 54, par le biais d’un “pass prestation d’appui spécifique” [ndlr : environ 10 à 15 personnes par an bénéficient de cette réorientation]. Leur expertise en la matière est plus fine que la nôtre, leur expérience d’accompagnement sur la durée de ces pathologies plus grande. »
Une fois intégrés dans le DIMO, les bénéficiaires exposent leur projet à Emilie Trausch, dont la première tâche consiste à évaluer sa faisabilité : « C’est rare que les personnes arrivent avec une idée précise, remarque-t-elle. Mais si c’est le cas, nous voyons ensemble si le projet est réalisable, au vu des aptitudes et de la formation de la personne, mais également du marché de l’emploi local. Il est parfois nécessaire de faire le deuil de certains souhaits et de l’orienter vers une formation ou un emploi différent. » Pour cette psychologue clinicienne ayant exercé au service de l’adoption du conseil général de Moselle, puis au sein d’un organisme prestataire de Pôle emploi en tant que chargée d’insertion professionnelle, intervenir au sein de la MAPH-psy est très enrichissant. « J’y ai la double casquette. De plus, je n’ai pas d’objectifs chiffrés de “placements” en entreprise ou en formation. Je peux prendre le temps avec chacun, être plus à l’écoute des besoins individuels. S’il faut attendre un mois pour revoir un malade hospitalisé, on peut ensuite le rencontrer trois fois dans la semaine avant un entretien important. C’est très souple. »
Reste que des raisons sans liens avec l’intérêt du projet mis en œuvre par la structure tempèrent l’enthousiasme des professionnels de la MAPH-psy. D’abord, la situation géographique et économique « difficile » de la ville, comme le reconnaît la responsable. Distant d’environ 60 kilomètres de Metz, Longwy est en effet passé de plus de 23 000 à environ 15 000 habitants depuis la fin de l’activité sidérurgique, dans les années 1980. La ville peine depuis à retrouver un réel dynamisme économique. D’autant que la moitié de la population active travaille au Luxembourg tout proche. L’autre difficulté d’Espoir 54 est le niveau peu attractif des salaires proposés, faute de moyens. D’où un turn-over important en matière de personnel. Toujours en quête de financements, ponctuels ou sur du long terme, la MAPH-psy de Longwy est actuellement subventionnée par la DRASS (pour le GEM), par l’Agefiph (pour le DIMO 54) et par le conseil général de Meurthe-et-Moselle (pour le SAVS), son budget 2010 s’élevant à 212 400 €.
(1) MAPH-psy : Espoir 54 – 5, avenue Hippolyte-d’Huart – 54400 Longwy-le-Bas – Tél. 03 82 44 69 80 –