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« Intervenir auprès des jeunes errants exige de la durée »

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Au début des années 1990, les grands festivals d’été ont vu débarquer un nouveau public : les jeunes errants. Les premières expérimentations d’accompagnement étaient aussitôt lancées. Vingt ans après, ces jeunes ont-ils changé de visage ? Les modes d’intervention se sont-ils affinés ? L’analyse de François Chobeaux, l’un des pionniers en la matière, dont une nouvelle édition de l’ouvrage phare « Les nomades du vide » vient de paraître.

Depuis la première édition des Nomades du vide, en 1996, les jeunes errants ont-ils changé ?

Indéniablement, ne serait-ce que parce qu’ils ont vieilli. Ce qui a changé aussi, c’est la féminisation de l’errance active. Depuis 1995, on est passé de 85 % à près de 60 % d’hommes. De même, les dynamiques de vie se sont transformées. Jusqu’en 2000, elles étaient aléatoires, avec des parcours très individuels. On se stabilisait l’hiver et on bougeait l’été dans les festivals. Aujourd’hui, les entrées en errance débouchent très vite sur des sédentarisations rurales ou urbaines en lien avec l’errance la plus dure, celle des squats, de la marginalité établie et des produits. Car il circule dans ce milieu beaucoup plus de stupéfiants qu’en 1995. Un jeune de 15 ou 16ans qui rencontre la zone lors de ses premières grandes fugues risque désormais, dans les deux ou trois ans qui suivent, d’aller loin dans la marginalité et l’usage des drogues. En outre, la nature de celles-ci a changé, avec l’arrivée de dérivés de morphine, de nouveaux produits de la chimie ou encore de mélanges.

Le nombre de ces jeunes a-t-il continué à croître ?

En 1991, il fallait regarder de près, dans les festivals ou dans les rues de quelques grandes villes, pour trouver ces jeunes en errance. Aujourd’hui, dans toutes les villes moyennes de France, il existe un noyau dur de jeunes vivant ce type de rupture. Toutefois, on ne peut pas donner de chiffres fiables car il n’existe pas de catégorie statistique « jeune en errance », ni de définition claire. Pour certains, c’est un jeune sans domiciliation stable. Mais cela englobe aussi bien celui qui est accueilli en CHRS que celui qui vit dans un bas d’immeuble ou dans un squat. En réalité, on ne sait pas trop de qui on parle. La question de l’âge n’est pas non plus tranchée, même s’il n’y a pas officiellement de mineurs en errance en France.

En 2007, vous classiez les jeunes errants en trois groupes : ceux qui se cherchent, ceux qui se fuient et ceux qui se perdent. Cette catégorisation reste-t-elle valide ?

Pas complètement. Il me semble aujourd’hui que ceux qui se cherchent, qui sont dans une dynamique initiatique individuelle, ne sont en réalité pas en errance. Ils viennent cheminer avec l’errance mais, psychologiquement, ils ne sont pas constitués comme les jeunes errants. Ils sont dans une quête intime assez difficile à exprimer. Ils cherchent quelque chose sans trop savoir quoi et, à un moment donné, ils trouvent et en terminent avec l’errance. Cela n’a rien à voir avec la véritable errance qui, pour moi, relève d’une absence de liens à soi-même, d’un vide intérieur, d’une fuite permanente pour exister avec au bout, pour ceux qui se perdent, l’effet des maladies et du désespoir et le passage à une carrière de sans-abri, de clochards.

Pourquoi prend-on le chemin de l’errance ?

Dans le noyau dur de la souffrance de ces jeunes qui se fuient, on retrouve toujours des souffrances vécues dans la petite enfance, des inattentions éducatives, des maltraitances physiques et parfois sexuelles. On observe aussi des déséquilibres dans la construction psychologique, avec une image de soi pas très solidifiée, une confiance en soi pas trop structurée, des fonctionnements abandonniques et dépressifs. La grande errance nationale réunit ces enfants du malheur précoce. Mais le chômage ou les problèmes de logement ne semblent pas avoir davantage un effet direct sur l’entrée dans l’errance qu’en 1995.

Les festivals sont-ils toujours des lieux d’agrégation de l’errance ?

A l’origine, le terrain d’aventures de l’errance était en effet les festivals. Mais petit à petit ceux-ci se sont organisés pour gérer cette population, soit de façon policière et répressive, soit sur un mode social et éducatif. Dans tous les cas, le terrain de jeu n’était plus aussi amusant car il était organisé et contrôlé. Il n’était plus possible de faire n’importe quoi. Les gens en avaient assez. En outre, en prenant de l’âge, beaucoup de jeunes errants ont commencé à avoir envie de se stabiliser, de vivre en couple, de faire des bébés… Toutes choses qui vont assez mal avec l’errance festivalière. Ils se sont donc peu à peu stabilisés dans des zones urbaines, périurbaines ou au fin fond de certains secteurs ruraux désertés. Ce qui explique que les nouvelles générations de jeunes errants prennent très vite le chemin de ces squats urbains ou de ces sédentarisations rurales.

Les jeunes étrangers sans papiers font-ils partie des errants ?

Il n’y a pas de relation entre les deux. Les seuls contacts entre ces deux populations ont lieu, parfois, à la porte des espaces d’accueil. Et en général cela frotte très vite. Une population chasse l’autre. Les parcours, les modes de vie, les cultures ne sont pas les mêmes. On m’a ainsi rapporté des épisodes d’ultra­violence de la part de jeunes d’Europe centrale qui ont fait place nette dans certains quartiers.

Les pratiques professionnelles ont-elles évolué ?

Enormément. D’abord parce qu’elles existent, ce qui n’était pas le cas il y a vingt ans. En 1991, il n’existait aucune équipe pérenne intervenant auprès des jeunes errants. Nous étions en pleine découverte. En 1996-1997, les premières réponses sociales ont commencé à se développer. Un déclencheur institutionnel fort a été la volonté de Xavier Emmanuelli, alors secrétaire d’Etat à l’action humanitaire d’urgence, de faire en sorte que l’Etat réponde. Il a mobilisé l’administration, qui a avancé assez efficacement. Le résultat est que, actuellement, on identifie sur le territoire national environ 200 équipes intervenant, pour partie ou en totalité, avec des jeunes en errance. Ces équipes, qui fonctionnent toute l’année, travaillent dans la rue, dans des centres de jour, au sein de CHRS, auprès des toxicomanes… Il existe une multitude de solutions. On sait aujourd’hui s’y prendre avec ces populations. Nous n’en sommes plus aux expérimentations. C’est acquis.

Le but de ces équipes est-il de réinsérer les jeunes errants ?

L’objectif n’est pas forcément de les réinsérer dans la société mais de faire d’abord en sorte qu’ils fassent lucidement leur propre choix. L’ambition est qu’ils sachent ce qu’ils veulent faire d’eux-mêmes. Ce n’est pas simple pour des jeunes qui sont mal dans leur tête depuis la petite enfance et qui ont dérivé à l’adolescence avant d’entrer dans l’errance entre 17 et 25 ans. Nous essayons qu’ils se remobilisent sur leur parcours de vie, même si cela ne les amène que vers des petites vies sédentarisées en milieu rural ou dans la vaste fournée des assistés de nos grandes villes. C’est évidemment assez en décalage avec les grands objectifs assignés aujourd’hui aux travailleurs sociaux.

Les équipes de terrain se heurtent, dites-vous, à un courant conceptuel et gestionnaire. Avec quelles conséquences ?

C’est, par exemple, l’accueil de jour de la ville d’Alès, auquel on demande de produire des évaluations mensuelles de réinsertion. Mais en trois mois les éducateurs commencent tout juste à connaître les jeunes. Ils n’en sont pas à leur trouver un logement ou à les mettre au travail. D’autant que, dans le bassin d’Alès, le taux de chômage des moins de 25 ans atteint 70 % ! C’est aussi lorsque, à Toulouse, les autorités demandent à trois accueils de jour de se mutualiser pour créer une structure unique. En oubliant le fait que ces structures correspondent à des populations très différentes. Si on les mélange, on en perdra automatiquement deux. Cette tendance a émergé depuis deux ans avec les mesures nationales d’économies annoncées par le gouvernement. En 2010, les crédits nationaux du programme 177 destiné à l’inclusion sociale ont baissé de 30 %. Des petites structures sont obligées de fermer car elles ne peuvent plus faire face aux retards de versement des subventions ni à la baisse brutale de leur montant. Certaines se font absorber par des organisations plus importantes, avec souvent à la clé une normalisation des pratiques. En matière d’insertion de la marginalité, je crains que la doctrine publique de l’Etat ne soit désormais : des moyens normalisés pour les insérables, et pour tous les autres, les associations caritatives. Mais intervenir auprès des jeunes errants exige de la durée, et de supprimer la sempiternelle distance entre professionnel et usagers. Il faut aider, ne pas juger et accepter des phases de stagnation, des retours en arrière. Le problème est que les politiques ont du mal à entendre ce genre de discours.

REPÈRES

François Chobeaux est responsable national des secteurs « social » et « jeunesse » aux Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA). A l’origine des premières actions conduites auprès des jeunes en errance, au début des années 1990, il anime le réseau national « Jeunes en errance ». En 1996, il a publié Les nomades du vide,dont une nouvelle édition vient de paraître en poche (Ed. La Découverte, 2011). Il est également l’auteur d’Intervenir auprès des jeunes en errance (Ed. La Découverte, 2009).

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