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Hospitalisation psychiatrique : un rapport de l’IGAS pointe de nombreux dysfonctionnements

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Fugues, agressions, parfois meurtres ou viols… l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) a enquêté à de multiples reprises, ces cinq dernières années, sur divers événements graves survenus « au cours d’hospitalisations psychiatriques ou juste après ». Ce travail de longue haleine a abouti à la rédaction d’un rapport de 200 pages que l’administration a rendu public le 31 mai (1), alors que l’Assemblée nationale adoptait en seconde lecture le projet de loi réformant l’hospitalisation d’office. Le constat qui y est dressé est accablant pour le dispositif hospitalier de santé mentale (sur les réactions des acteurs de terrain, voir ce numéro, page 22). Les inspecteurs ont en effet constaté que, « derrière les drames individuels », se répétaient « des dysfonctionnements systémiques », des problèmes d’organisation récurrents qui favorisent la survenue des accidents. Ils proposent en conséquence des solutions opérationnelles pour en éviter la reproduction.

Un sombre état des lieux

Premier constat : les hôpitaux, qui ont perdu 60 % de leurs lits et qui, dans le même temps, accueillent un nombre croissant de personnes hospitalisées sans leur consentement (80 000 aujourd’hui), « sont confrontés à des violences qu’ils savent mal prévenir ou gérer ». Le rapport décrit, à cet égard, l’ensemble des accidents que les inspecteurs ont eu à connaître : homicides ou tentatives d’homicides dans l’établissement ou en dehors (près d’une vingtaine en cinq ans) ; agressions de malades envers d’autres malades mentaux ou envers les personnels soignants ; viols et agressions sexuelles à l’intérieur des établissements avec, dans la plupart des cas observés, une attitude des personnels « marquée par le déni ». L’IGAS évoque par ailleurs le problème de la maltraitance physique des malades par les personnels, un phénomène caché selon le rapport malgré les efforts accomplis. « Les exemples rencontrés présentent des points communs : une présence médicale lointaine, un encadrement défaillant, des locaux et des équipements vétustes, un enfermement des malades », écrivent les inspecteurs. « Confrontées à une réalité quotidienne vécue comme pénible et sans perspective, les personnes maltraitantes étaient généralement des aides-soignantes livrées à elles-mêmes, avec une infirmière inexpérimentée ou débordée. »

Autre motif d’inquiétude : « les détenus et les malades hospitalisés sans leur consentement fuguent facilement des établissements de santé mentale ». La mission a évalué entre 8 000 et 14 000 le nombre annuel de fugues de patients hospitalisés d’office ou à la demande de tiers. Quant aux détenus, ils sont, selon le rapport, une quarantaine par an à s’évader d’un hôpital psychiatrique. « Dans la grande majorité des cas, les malades fuguent à pied, en plein jour, par le portail central de l’établissement », soulignent les inspecteurs. De plus, dans la quasi-totalité des cas, le retour est rapide et les fugues sans conséquences graves bien qu’elles induisent des ruptures thérapeutiques. Mais plusieurs décès se produisent tout de même chaque année au cours de ces fugues, par suicide ou par accident.

Une organisation défaillante

Pour l’IGAS, ces incidents ne sont pas une fatalité et pourraient être évités. Il faudrait pour cela, en premier lieu, être capable d’apprécier réellement la dangerosité des patients et pour cela, disposer d’un « outil diagnostique fiable ». Or rien de tel n’existe aujourd’hui. « Les informations permettant d’apprécier la dangerosité (et notamment les antécédents de violence) sont éparpillées et personne ne les réunit en une seule main », soulignent les enquêteurs. Le psychiatre comme l’entourage du malade ne disposent que d’informations fragmentaires tout comme les services de police et de gendarmerie, les maires ou le préfet, soumettant les personnes responsables d’une décision de sortie « à une inévitable part d’aléa ». Face à cette incertitude, « certains mauvais usages hospitaliers, qui ne respectent pas les droits des malades, créent des conditions favorables au passage à l’acte », indique encore le rapport, évoquant à titre d’exemple le « confinement, dans des espaces étroits, de personnes de tous âges présentant des pathologies et des origines diverses, certaines délirantes et en crise aiguë et d’autres proches de la sortie ».

Encore plus grave, la conception même du dispositif hospitalier joue, aux yeux des inspecteurs, un rôle essentiel dans les défaillances constatées. Les installations ne tiennent pas suffisamment compte des besoins. Les accès sont « mal aménagés et peu surveillés », les allées et venues dans les unités de soins « souvent mal gérées »… En outre, l’organisation interne des établissements n’a pas suffisamment évolué depuis les années 1960 pour prendre en compte les changements intervenus. Aussi et surtout, la gestion des ressources humaines dans les établissements de santé « est à l’origine de bien des difficultés ». « Contrairement à une idée répandue, affirment les auteurs du rapport, ce ne sont pas les effectifs de personnels qui font défaut, sauf exception localisée ». Le nombre de médecins employés dans les centres hospitaliers psychiatriques a régulièrement augmenté au plan national depuis 1989 et, si le nombre d’infirmiers a diminué, il l’a fait dans des proportions moindres que la baisse du nombre de lits, ce qui a permis une croissance régulière du nombre de soignants par lit. Ce qui pose problème aux yeux des inspecteurs, c’est que la charge de travail des infirmiers en hospitalisation complète s’est alourdie tandis que le temps de présence des personnels a été réduit. Ainsi, « l’absentéisme des personnels soignants atteint parfois des niveaux inquiétants ». De plus, « les accords de réduction du temps de travail ont été négociés dans certains établissements de façon anormalement libérale et réduisent un temps de travail que viennent grignoter les trop nombreuses pauses des fumeurs ». Enfin, le rapport met en cause la formation initiale des infirmiers à la prise en charge des malades mentaux – qui ne prévoit pas de module spécifique à la prévention et à la gestion des situations d’agressivité en psychiatrie – et dénonce des autorités de tutelle « peu investies ».

Un « changement d’état d’esprit »

Au vu des constats effectués, les inspecteurs prônent avant tout un « changement d’état d’esprit ». « Non seulement la sécurité et la qualité des soins ne sont pas des notions opposées, mais la sécurité fait partie de la qualité des soins », écrivent-ils. Au-delà, le rapport de l’IGAS ouvre plusieurs pistes prioritaires de réforme. Il propose notamment des aménagements physiques relativement simples tels que la création de véritables sas d’entrée ou le recours à des badges électroniques permettant de filtrer les allées et venues, mais aussi – plus ambitieux – plaide pour le remplacement des chambres collectives par des chambres individuelles ou bien encore la création des unités de pédopsychiatrie qui font défaut sur le territoire.

Les enquêteurs estiment par ailleurs que la gestion des ressources humaines dans les hôpitaux psychiatriques « mérite un chantier d’envergure pour limiter les dérives ». « Les établissements devraient mettre en œuvre des formations spécifiques à destination des nouvelles recrues, toutes catégories professionnelles confondues, pour apprendre à prévenir et à gérer les situations d’agressivité », suggèrent-ils. Ils pourraient également « développer, dans le cadre de la formation continue, des stages sur les procédures de sécurité, sur la prévention des incidents et proposer des entraînements physiques réguliers au contrôle des agressions à l’ensemble du personnel ».

Notes

(1) Analyse d’accidents en psychiatrie et propositions pour les éviter – Rapport IGAS RM2011-071P – Françoise Lalande, Carole Lépine – Mai 2011 – Disp. sur www.igas.gouv.fr.protection sociale

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